Yann Gozlan (Visions) : "Il faut accepter d'être un peu perdu parfois"

Yann Gozlan (Visions) : "Il faut accepter d'être un peu perdu parfois"

Yann Gozlan nous parle de son nouveau film "Visions", thriller hypnotique et sensoriel porté par Diane Kruger et Mathieu Kassovitz. Le réalisateur décrypte avec nous son œuvre.

Visions, le nouveau thriller de Yann Gozlan

Seulement deux ans quasiment jour pour jour après Boîte noire (2021), le réalisateur Yann Gozlan est déjà de retour avec Visions. Il signe là un étrange thriller, entre paranoïa, érotisme et irrationnel. Dedans, on suit Estelle (Diane Kruger), une pilote de ligne qui vit avec son mari Guillaume (Mathieu Kassovitz).

Diane Kruger - Visions ©SND
Diane Kruger - Visions ©SND

Autant dans son métier que sa vie personnelle, Estelle est en un contrôle de tout. Elle ne laisse rien au hasard, que ce soit ses heures de sommeil, sa nourriture, ou même ses rapports sexuels avec son époux dans le but d'avoir un enfant. Mais cette vie où tout semble minuté va être bouleversée par sa rencontre hasardeuse d'Ana (Marta Nieto), avec qui elle a vécu une relation passionnelle vingt ans auparavant. Des sentiments ressurgissent, mais peu de temps après leur nouvelle liaison, Ana disparaît et Estelle imagine le pire.

Avec Visions, Yann Gozlan va au-delà du thriller classique, cherchant à proposer une expérience sensorielle avec des séquences de rêves qui viennent bouleverser les acquis du spectateur. Rencontré lors de la promotion du film, le réalisateur décrypte avec nous son œuvre.

Après Boîte noire, vous renouez avec un thriller qui se déroule encore dans le monde de l'aéronautique.

Tout à fait. C'est un univers qui me fascine, que je trouve photogénique. Mais ici, cela vient de la thématique à l'origine du film. Cela faisait longtemps que je voulais parler du contrôle et du dérèglement. Une dualité qu'on a en chacun de nous car on aspire tous à une forme de répétition, de sécurité et d'ordre dans nos vies.

Et en même temps, on a envie de sortir de ce carcan et vivre des aventures parfois destructrices. C'est le conflit entre passion et raison. J'ai donc longtemps cherché l'univers, le personnage et le métier pour développer cela au mieux, Et finalement je trouvais que la figure de cette femme pilote de ligne était le plus pertinent pour traiter de ce dérèglement.

En quoi Estelle incarne-t-elle cette dualité ?

J'ai côtoyé beaucoup de femmes commandants de bord pour connaître leur vie. C'est des métiers où vous êtes constamment contrôlés avec des tests d'aptitude, des entretiens avec des psychologues, des examens médicaux, etc. J'ai trouvé ça intéressant pour initier la mécanique du dérèglement.

Diane Kruger - Visions ©SND
Diane Kruger - Visions ©SND

C'est aussi une femme hantée par des rêves. Et la notion de rêve, la question du sommeil pour un pilote long courrier, est là aussi fondamentale. Ils sont jetlagués en permanence, et parfois certains ont du mal à se recaler. Certains utilisent des somnifères quand ils reviennent de leur vol, notamment du stilnox, qui est un somnifère très puissant. Là, c'est intéressant car mon personnage est hanté, son sommeil est alors déréglé dès le début.

La question du contrôle, on la retrouve également dans la vie personnelle d'Estelle

Exactement. J'aimais bien d'ailleurs le fait qu'elle utilise une application pour suivre son cycle de fertilité pour avoir un enfant. Elle utilise tous les moyens technologiques, même dans sa maison qui est très clinique. D'ailleurs, ce décor vient d'une maison d'une pilote de ligne avec qui je mettais entretenu et que je trouvais d'une propreté excessive, toujours dans le contrôle.

Vous aviez donc dès le début cette volonté de présenter un personnage féminin ?

Je voulais un personnage féminin d'abord parce qu'il y a encore beaucoup d'hommes dans ce métier et les valeurs qui y sont rattachées sont, à tort, traditionnellement rattachés au domaine masculin. C'est-à-dire l'idée de la performance, de la maîtrise, du contrôle. Je trouvais ça plus surprenant et novateur d'avoir une femme qui incarne et s'approprie ces valeurs.

Le film navigue entre différents sous-genres du thriller, notamment avec un fort aspect érotique.

Ce n'est pas l'acte physique qui m'intéressait. Je voulais aller vers quelque chose d'abstrait sur la fusion des corps. J'ai tenté de saisir le trouble de l'obsession amoureuse, le trouble qui va faire dérailler le personnage principal. Et surtout répondre à un besoin d'abandon. Je n'avais pas vraiment de modèle mais plus envie de saisir une sensation impalpable.

Marta Nieto - Visions ©SND
Marta Nieto - Visions ©SND

Il y a des œuvres étranges qui m'ont marqué adolescent, comme Le Cri du sorcier de Jerzy Skolimowski. Des films qui vous envoutent, dont vous ne saisissez pas le propos immédiatement au premier abord. Mais ils ont quelque chose de tellement puissant sur le travail de l'image et du son qu'ils vous hantent.

Pour le coup, le son a une place très importante dans Visions, dans la lignée de Boîte noire.

Le son est très important pour moi. D'autant plus qu'on est dans un monde où on nous bombarde d'images en permanence. Pour moi le son a une puissance émotionnelle. C'est une arme secrète pour un metteur en scène car on peut toucher l'inconscient du spectateur sans qu'il s'en rende compte. Comme je voulais faire un film très sensoriel, le son permettait de faire ressentir au spectateur ce que ressent le personnage. Et de quitter une forme de naturalisme pour aller vers quelque chose d'assez abstrait et mental qui est la psyché du personnage. Donc il y a eu un travail très long là-dessus.

Vous parlez de film sensoriel, cela sert aussi à amener votre film vers quelque chose presque de fantastique, où l'irrationnel est assumé.

C'est vrai que j'avais envie pour ce film de pousser les curseurs vers un film immersif et sensoriel. Et j'avais envie de faire un thriller captivant, mais avec un deuxième niveau. On parle des rêves, des pulsions, de ce qui est souterrain et de la part irrationnelle de l'Homme. Il me semblait important que le film soit hypnotique, avec une énigme à résoudre. Même s'il y a une grande partie du film qui est résolue, il y a des éléments qui restent mystérieux.

C'est surtout avec le dernier plan qui interroge.

Le concept du film, c'est que cette femme fait des rêves qui paraissent prémonitoires. Et il y a des motifs visuels récurrents qui sont des éléments d'abord rêvés avant de survenir dans le réel. C'est l'idée d'un réel contaminé par les cauchemars. Je voulais aller au bout de ce processus. Donc à la fin, même si des choses sont résolues, quelque part l'irrationnel a totalement contaminé le réel, à tel point qu'on se retrouve dans une espèce de boucle, où rêve et réalité se confondent.

Diane Kruger - Visions ©SND
Diane Kruger - Visions ©SND

On peut voir ce final comme une boucle. Mais aussi, de manière plus simple et réaliste, on peut se dire que l'héroïne, après ce qu'elle a traversé, peut se remémorer ce qui s'est passé et, malgré tout ce qu'elle a traversé, je crois qu'elle y retournerait. Même si ça lui fait du mal. Mais j'insiste sur le fait qu'il y a une part irrationnelle.

Vous n'aviez pas peur que cet aspect perde les spectateurs ?

Le film dialogue avec le spectateur et je pense que pour rentrer dans le film il faut accepter ce jeu. J'ai tenté de faire en sorte que les cartes soient rebattues en permanence. Il faut accepter d'être un peu perdu parfois. Et ce jeu où la frontière entre rêve et réalité est brouillée, il faut l'accepter. Pour moi, c'est un voyage immersif, sensoriel dans la psyché de l'héroïne.

Visions est à découvrir en salles le 6 septembre 2023.