Alessandro Nivola (Many Saints of Newark) : "Tous les êtres humains sont capables de comportements extrêmes"

Entretien avec le premier rôle de "Many Saints of Newark"

Alessandro Nivola (Many Saints of Newark) : "Tous les êtres humains sont capables de comportements extrêmes"

Alessandro Nivola est à l'affiche de "Many Saints of Newark", le long-métrage écrit par David Chase et réalisé par Alan Taylor qui fait office de préquel pour l'immense série télévisée "Les Soprano". On a pu lui poser quelques questions sur son rapport à la série, l'idée de David Chase pour ce film et la création de son personnage de Dickie Moltisanti.

Alessandro Nivola est un visage connu du paysage hollywoodien, avec une riche filmographie qui court maintenant sur plus de vingt-cinq ans. Il a notamment été Pollux Troy dans Volte/Face, Billy Brennan dans Jurassic Park 3, une star du foot dans Goal et Goal 2un procureur dans American Bluff, Dovid Kuperman dans Désobéissance. Mais il n'avait jamais été jusque-là au plein centre d'un grand projet. Acteur au registre très étendu et au visage familier, le fait que sa popularité ne soit pas pour autant planétaire a pu jouer en sa faveur au moment de prendre en charge le personnage de Dickie Moltisanti, rôle principal de Many Saints of Newark, le préquel de la monumentale série Les Soprano.

Nous avons eu la chance de nous entretenir avec lui pour ce rôle inédit dans l'univers de la série, celui du mentor de Tony Soprano.

Many Saints of Newark
Many Saints of Newark ©Warner Bros.

Quel était, avant Many Saints of Newark, votre rapport à la série Les Soprano ?

Alessandro Nivola : Je n’avais pas tout vu, parce que je n’ai jamais vraiment regardé la télévision. Mais évidemment je connaissais de réputation et j’avais vu quelques épisodes, et je savais que c’était quelque chose d’unique, de spécial, qui avait bouleversé la télévision. Quand j’étais un jeune acteur, à l’époque, c’était comme une défaite de se retrouver dans une série télévisée, comme une décision d’abandonner et de simplement prendre un cachet. La série Les Soprano a changé ça, elle a changé le regard qu’on portait sur les séries.

D’une certaine manière, elle a transformé ce qu’on voyait comme une création de seconde zone en quelque chose de plus proche du cinéma, avec un vrai storytelling et en offrant un développement des personnages parfois plus profond et plus fort que dans certains films. Il y a donc quelque chose de fondamental. C’est une série pionnière du changement de perception des shows télévisés. J’en avais donc vu des parties, et quand j’ai eu le rôle, j’ai enfin tout regardé.

Vous incarnez Dickie Moltisanti, un personnage absent de la série mais dont l'ombre y plane. Comment avez-vous perçu ce personnage et son développement ?

A. N. : J’ai senti que David Chase avait naturellement fait quelque chose de très intelligent dans son approche de ce préquel, en développant un personnage principal qui n’existait que dans la mythologie de l’univers. Ce qui lui a permis en tant que scénariste et m’a permis à moi en tant qu’acteur d’inventer entièrement le personnage. Plutôt que de prendre la responsabilité de recréer un personnage ou imiter un autre acteur de la série.

Et tout ce qui est dit dans la série à propos de Dickie Moltisanti peut être vrai comme entièrement faux. Car tous ces personnages ne sont pas des narrateurs fiables, on ne peut pas vraiment leur faire confiance.

Ainsi, Chris Moltisanti peut très bien connaître la vérité sur son père, comme l’ignorer. Et Tony peut très bien ne pas dire non plus la vérité. Nous avions donc beaucoup de liberté pour créer avec Many Saints of Newark une histoire à la fois autonome et connectée à la série.

Many Saints of Newark
Many Saints of Newark ©Warner Bros.

Dickie Moltisanti est un homme déchiré, à la fois attachant et détestable, dont les actions sont néfastes. Cette ambiguïté morale vous intéresse ?

A. N. : Oui, parce que dès qu’on est au théâtre ou au cinéma, je ne m’explique pas les personnages selon un ordre moral. Il n'y a pas les bons et les mauvais. Je me concentre vraiment sur l’expérience du personnage, comment le faire agir selon ses propres termes. À partir de là, tous les êtres humains sont capables de comportements extrêmes, d’avoir en eux une sincère gentillesse tout comme une profonde violence.

Je vois Dickie comme quelqu’un qui est né dans le mauvais milieu, qui aurait pu grandir ailleurs et ne pas être du tout dans le monde criminel. Je pense que David Chase, c’est un des points forts du film, a essayé de mettre en place la mécanique du destin, de la fatalité, au sens de la tragédie grecque.

Peut-on échapper à sa lignée, à ses parents, à l’endroit d’où on vient ? La violence perpétrée par les parents sur les enfants, qui ensuite se perpétue par ces enfants devenus adultes… Je crois que David a conçu ce personnage comme s’il avait plusieurs voix dans la tête, certaines qui le poussent à faire le bien, faire des choses nobles, mais d’autres qui l'entraînent du côté obscur, auquel il ne peut pas échapper.

Il était battu par son père , il a cette rage en lui qu’il ne peut pas contrôler. Ce qu’il commet dans le film, il le fait sous le coup de la passion, ce n’est pas rationnel, c’est fulgurant. Il est sans cesse rattrapé par ce qui le détruit, lui et ses proches.

Many Saints of Newark
Many Saints of Newark ©Warner Bros.

À côté de l'histoire de la famille et l'intrigue mafieuse, il y a aussi une chronique sociale dans Many Saints of Newark, avec l'opposition des communautés italienne et afro-américaine.

A. N. : Je crois qu’il était important pour David de peindre cette réalité sociale des États-Unis dans Many Saints of Newark, celle d’hier et d’aujourd’hui, et donc la relation entre les communautés italienne et afro-américaine. Il ne voulait surtout pas embellir le langage et les comportements vis-vis de la communauté afro-américaine. Nous avons filmé avant le meurtre de George Floyd. Et quand c’est arrivé, j’ai été stupéfait de voir combien ce que nous avions montré dans Many Saints of Newark pouvait résonner. Ce drame a rendu l’histoire du film et ses descriptions d’autant plus pertinentes.