Anthony Bajon (La Troisième guerre) : "J'ai un immense respect pour ces gens et leur travail"

Rencontre avec Anthony Bajon et Giovanni Aloi

Anthony Bajon (La Troisième guerre) : "J'ai un immense respect pour ces gens et leur travail"

À l'occasion de la sortie au cinéma de "La Troisième guerre" avec son beau casting composé d'Anthony Bajon, Karim Leklou et Leïla Bekhti, nous avons pu rencontrer le réalisateur Giovanni Aloi, ainsi que son interprète principal Anthony Bajon. L'opportunité d'en savoir un peu plus sur ce film de guerre si particulier.

Le film s'appelle La Troisième guerre. Pourquoi ce titre ?

Giovanni Aloi : Le titre vient d'une déclaration de Manuel Valls en 2015, qui disait "nous sommes en guerre contre le terrorisme", et l'image d'un film de guerre dans Paris, aujourd'hui, m'est apparue. Une image très différente donc de Paris au cinéma, une ville qu'on a plus l'habitude de voir dans des films romantiques. En tant qu'étranger, je suis habitué à ces images, et je voulais montrer la ville différemment, dans un film de guerre qui partirait de faits réels.

Anthony Bajon : Concernant les deux Guerres mondiales, il y avait quelque chose de très palpable, c'était physique, il y a eu des millions de morts. Cette "troisième guerre", elle, est impalpable, invisible, c'est une nouvelle forme de guerre.

G.A. : Pour aller dans le sens d'Anthony, le film évoque un ennemi invisible, qui suscite une grande peur. C'est une guerre vécue au quotidien, on ne sait pas quand elle a commencé, quand elle finira, c'est donc vraiment une perception plus qu'une réalité. Ce que le film montre notamment, c'est le changement de regard des citoyens, un regard plus méfiant, et un regard aussi qui a changé vis-à-vis des militaires. On s'est habitués à voir des militaires dans les rues avec la mission Sentinelle, et cette habitude les a comme invisibilisés. Personnellement, je pense que c'est anormal.

Le film raconte une profonde solitude de ces militaires, dans une société qui a perdu ses repères. Comment percevez-vous ce métier ?

A.B. : Je crois qu'il y a un manque de considération envers ces gens-là, qui sont devenus partie intégrante du quotidien. On ne les regarde pas, on ne leur sourit pas, on ne leur dit pas bonjour, alors qu'ils sont là pour nous protéger. Cette forme d'intégration à notre quotidien a quelque chose d'incroyable. D'autant plus qu'ils ont un filtre, ils ne peuvent intervenir quasiment sur rien, alors qu'ils sont là avec des armes de guerre. Mon personnage a lui envie de sauver la nation, de se trouver une identité, d'être utile et de servir, il va donc d'une certaine manière se créer sa propre mission.

La troisième guerre
La Troisième guerre ©Capricci

Quand j'étais plus jeune, je les voyais un peu les militaires comme des robots, ou des gens surhumains. Je les voyais comme une élite, avec ce sentiment qu'ils étaient inaccessibles, que c'était des individus qui même pris dans un guet-apens avec vingt gars qui leur tapent dessus réussiraient à s'en sortir. En grandissant j'en ai appris plus sur leur métier, sur qui ils étaient, leurs fonctions, leurs statuts. Si je les vois différemment aujourd'hui, je garde un immense respect pour ces gens et leur travail.

Peut-on parler d'indifférence vis-à-vis de ces hommes et de ces femmes, et d'un refus d'assumer la gravité de la situation ?

G.A. : Plus largement, je crois que l'homme occidental se sent coupable. On sait que nous sommes en train de détruire la planète, on sait que beaucoup de gens souffrent sur plusieurs continents. Mais on continue à vivre notre vie et finalement on s'en fout du reste... C'est quelque chose qui est bien analysé par Dostoïevski dans Crime et Châtiment, avec ce personnage qui a tué deux femmes. Nous sommes dans une même situation, qui reste très actuelle, celle de commettre et de voir des crimes mais de rester assis sans rien faire.

Le personnage de Léo fait penser à d'autres anti-héros célèbres du cinéma, dont celui de Taxi Driver. Vous l'avez écrit comme ça ?

G.A. : Avec Anthony, avant le tournage, on a discuté sur un plan plus personnel, on a partagé nos vécus et on s'est trouvé des approches similaires sur le personnage qu'il allait incarner dans le film. Ensuite pour les références, il y a évidemment Taxi Driver et son parcours qui amène son personnage à la folie. J'avais envie de traiter dans mon film du phénomène de vouloir aider quelqu'un d'inconnu, et aussi de la solitude. C'est quelqu'un qui rentre dans l'armée, qui s'y fait des potes mais qui garde en lui une grande solitude.

La Troisième guerre
La Troisième guerre ©Capricci

Le casting de La Troisième guerre est brillant. Comment était le travail avec Karim Leklou et Leïla Bekhti ?

A.B. : Ce sont deux grandes inspirations pour moi. Je les estime tous les deux immensément. On est devenus très proches avec Karim grâce à ce tournage, c'est une rencontre marquante. Ils sont tous les deux très généreux, travailler avec eux me donnait l'impression d'être vraiment dans la "cour des grands". Ce sont des gens qui envoient très vite, très fort, et c'est donc une responsabilité de leur donner la bonne réplique.

G.A. : Je dirais la même chose, en y incluant Anthony ! C'était une chance pour moi de travailler avec de si bons acteurs. À la base il y a le scénario, et ces acteurs ont voulu sur cette base participer au projet, en s'y incluant à 100% et en comprenant parfaitement leurs personnages. Ces trois acteurs donnent tout, ils ne lâchent rien, ils sont très généreux et c'était donc une énorme chance pour moi de travailler avec eux. Ils m'ont en effet beaucoup aidé, parce que c'était mon premier film donc j'avais besoin qu'ils y croient et qu'ils soient d'accord pour refaire les prises tant que nécessaire. Si Anthony ne croyait pas à 100% à une prise, alors il en demandait une autre et bien sûr on refaisait. C'était vraiment un échange constant, et ça a donné un résultat où leur travail en tant qu'acteurs est inattaquable.