Ary Abittan (Apprendre à t'aimer) : "Stéphanie Pillonca m'a offert mon plus beau rôle !"

Ary Abittan (Apprendre à t'aimer) : "Stéphanie Pillonca m'a offert mon plus beau rôle !"

"Apprendre à t'aimer" a remporté le Prix Coup de Cœur Fiction au Festival des créations audiovisuelles de Luchon. Là-bas, on a rencontré Ary Abittan, dont c'est le premier rôle dramatique, ainsi que Julie de Bona, la réalisatrice Stéphanie Pillonca et le producteur Nathanaël La Combe.

A l'occasion du Festival des créations télévisuelles de Luchon, où était présentée la fiction Apprendre à t'aimer, nous avons rencontré l’équipe du film : la réalisatrice Stéphanie Pillonca, les acteurs Ary Abittan (dans son premier rôle dramatique) et Julie de Bona, et le producteur Nathanaël La Combe. Ils nous ont livré avec beaucoup d’émotions leurs impressions de tournage. Une expérience bouleversante sur un sujet éminemment délicat qui, comme souvent avec les films de la réalisatrice-documentariste, permet de changer et d'ouvrir le regard.

Comment est née l’idée ?

Stéphanie Pillonca : Quand j’ai tourné mon documentaire Laissez-moi aimer, j’ai rencontré beaucoup de papas d’enfants porteurs de trisomie 21, et j’ai été étonnée de voir comment les couples pouvaient être impactés et le vivaient différemment. D’une manière générale, c'est pour l’homme la fuite et la grande douleur, alors que la femme surmonte avec plus de rapidité. J’ai été touchée par le témoignage de ces hommes très affectés et qui avaient un grand chemin à faire avant l’acceptation et la paix. Le film parle du handicap, mais aussi comment le couple vit l’entrave et les embûches, et comment il arrive à se relever. J’avais très envie d’écrire pour un homme, et spécialement pour Ary. L’écriture est riche d’un travail d’investigation auprès de 33 familles et d’hommes, ce qui a permis de donner la véracité sur le fonds de situations et de vécu et d’être juste.

Comment fait-on pour se plonger dans des rôles aussi forts et poignants et n’a-t-on pas d’appréhension à la lecture du scénario ?

Ary Abittan : C’est le travail de chacun et on en revient à la genèse de l’acteur : et si ça t’arrivait ? Je suis papa de 3 enfants, et c’est pour ça que je suis allé rencontrer la petite actrice Naomi, ainsi que ses parents. J’ai été touché par les parents, qui donnent tellement de courage, de dignité, de force, d’amour et d’écoute. Je me suis occupé de Naomi comme une petite nièce, et c’est elle qui a mis au diapason tout le plateau. Chaque scène aurait pu être compliquée car c’est déjà compliqué de tourner avec des enfants, mais on s’est laissé emporter par la joie, l’amour et le sourire de Naomi. Ces enfants trisomiques ne demandent qu’une seule chose : être aimés et être incorporés dans la société. Ce sont des enfants, qui te montrent le monde sans brutalité et sans violence et qui nous aident à être adultes, à nous remplir le cœur et à voir le monde avec amour.

En fait, j’avais déjà quand même une grande expérience du handicap. J’ai habité Sarcelles et pour faire plaisir à mon père j’ai été chauffeur de taxi à 19 ans. J’ai accompagné pendant deux ans des enfants autistes matin et soir, de l’hôpital de jour à la Porte de Saint-Ouen jusqu’à leur domicile. Je parlais régulièrement avec le médecin chef, j’ai partagé des moments avec eux dans la journée et j’ai beaucoup appris à leur contact. Je n’avais pas peur de faire le film, mais par contre j’avais envie de transmettre ça. À 19 ans, je rêvais d’être acteur de cinéma et 25 ans après, on m’offre un rôle avec ces mêmes enfants. Sauf que là, c’est moi qui suis acteur, et c’est moi qui les mets en lumière.

Julie de Bona : Pour nous les acteurs, c’est une approche surprenante, parce que la réalisatrice s’immerge dans l’univers. Elle nous a écrit un film à la manière d’un documentaire fictionné et c’est ça qui rend la véracité. Sa démarche est vraiment sur l’authenticité, comme pour ses documentaires qu’on a vus avant de s’engager. Elle respecte tellement les propos et les gens qu’on a accepté. La seule chose qu’on ressent, c’est la fragilité des bébés, comme avec la petite Camille qui joue Sara à trois mois, on a juste envie de la protéger. La fragilité et la beauté du monde créent un peu plus d’émotions qu’un enfant normal. Surtout que la maman de Camille venait de découvrir ce que mon personnage découvre à propos des problèmes cardiaques de Sara.

Ary, dans quelle mesure avez-vous mis votre personnalité expansive au service du personnage ?

Ary Abittan : C’est ce qui fait la profondeur d’une réalisatrice comme Stéphanie et des acteurs qui jouent de la comédie et qui ont la chance qu’on leur offre des rôles un peu plus dramatiques, et Stéphanie m’a offert mon plus beau rôle. Mais dans le film, je ne compose pas, c’est moi.

Stéphanie Pillonca : Il a contribué avec ses vannes, qu’on a mises dans ses dialogues. Il n’y a pas beaucoup d’hommes qui auraient pu faire cette mise à nu, surtout un homme qui a cette aura et cette carte de visite de mec qui fait rire, qui emballe. Car on n’est pas dans la démarche du contre-emploi mais dans la démarche de dépouille, et c’est une grande démarche d’humilité de venir se dépouiller.

Vous espérez faire changer le regard des spectateurs grâce au film ?

Ary Abittan : Cette enfant a purifié le regard de mon personnage et l’a transformé en tant que père et homme. Sincèrement, quand les gens vont sortir de ce film et croiser des trisomiques, leur regard et leur façon de les voir vont changer. Il faut arrêter d’avoir peur de l’autre. Apprendre à t’aimer, c’est comme Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? : le personnage ne veut pas de Juifs, de noirs, de Chinois ou d’Arabes, parce qu’il a peur et qu’il ne connaît pas. Et à la fin, c’est l’amour. On dit la même chose, avec d’autres dialogues, d’autres réalisateurs et d’autres talents.

Julie de Bona : La société nous a formatés aux codes de la perfection. Les trisomiques nous obligent à sortir de nos préjugés et nous ouvrent le cœur, et on se demande pourquoi on est fou de ne pas avoir au quotidien des personnes comme ça, qui sont essentielles à notre société, parce qu’elles nous rendent meilleurs et plus heureux. Ce petit chromosome en plus amène de la poésie, de la magie, tout ce qui nous manque. Ils nous apprennent vraiment à accepter leurs différences, leurs imperfections.

Stéphanie Pillonca : Ce sont des petites filles qui nous ont beaucoup enseigné la patience, l’humilité, la simplicité. On a aussi beaucoup reçu, elles ont distribué les cartes. Le problème sur le film, ce n’est pas la trisomie ou la différence, le problème c’est le bien-portant. Nous sommes des privilégiés, nous sommes dans l’orgueil, l’exigence de nos petits egos, la perfection, dans la rentabilité qui nous cloisonne, nous jugule et nous empêche de voir. C’est nous qui sommes les personnes en situation de handicap lorsque nous sommes confrontés à ces enfants.

Ce qu’on essaye modestement de faire, en parlant du film avec les journalistes, c’est politique. Parce que notre mission et celle des journalistes, c’est de transmettre les paroles. Mettons ensemble ces enfants et ces familles en lumière et moi je crois très fort que c’est cette petite goutte qui va changer l’humanité. Il faut qu’on arrête d’avoir peur. Moi je vois les familles et je vois combien c’est dur le regard porté sur elles, la douleur qu’elles ressentent. Les termes de "gogol", de "mongolien" font partie de notre culture. Je crois que quand on a goûté à la douleur, l’âpreté de la difficulté dans la vie, on a plus d’empathie. C’est l’épreuve qui nous fait un grand cœur.

Le public est-il aujourd’hui plus prêt à recevoir ce type de projet ?

Stéphanie Pillonca : Il y a un truc très français, c’est qu’on veut montrer le handicap dans la performance : « il a traversé la Manche alors qu’il n’a ni bras, ni jambes », « elle a fait les jeux paralympiques ». On est trop dans « ils sont porteurs de handicap, mais quelle exception » ! Je n’ai pas envie de voir un performer, un athlète, quelqu’un de remarquable. C’est fou de mettre une pression pareille de dépassement de soi. J’adore la performance mais là, j’avais envie de voir une famille normale, humble, dans quelque chose de classique, de lambda, de quotidien, en province. Je crois que c’est en ça que ça change en ce moment.

Julie de Bona : On espère sincèrement que le public est prêt. M6 prend un grand risque. Stéphanie voulait un regard juste, elle ne voulait pas faire de cette enfant trisomique une enfant exceptionnelle.

Nathanaël La Combe : Il y a une autre thématique universelle que le regard sur la différence, et sur laquelle on peut tous se retrouver, c’est l’acceptation de l’enfant tel qu’il arrive, par rapport à celui qu’on imagine et sur lequel on projette nos rêves de parents. On peut d’ailleurs fabriquer de plus en plus l’enfant parfait. L’enfant est là, ce n’était pas prévu, et la question c’est : comment on fait ? Et ça nous ramène à l’humilité d’accepter la vie telle qu’elle est.

Ary Abittan : Mais ça, c’est valable aussi pour ma fille : quand elle me ramène un 2 en maths, je n’ai pas rêvé à ça ! Tous les parents sont des parents déçus.

Vous revoyez les familles qui ont participé au film ?

Julie de Bona : Oui on a revu Naomi, et je reste en contact avec les mamans sur Instagram.

Stéphanie Pillonca : La trisomie c’est un monde, je vous invite à suivre les influenceuses du handicap, qui sont de jeunes mamans qui montrent leurs enfants : "La jolie vie de Naomi" et "Le monde de Camille".

Ary Abittan : Je voudrais finir avec une phrase de l’écrivain Tahar Ben Jelloun, qui dit de son fils trisomique : « On m'a dit quand il est né : il ne fera pas de grandes écoles. En fait il a fait mieux : telle une route tracée sur le flan d’une montagne verticale, il a tracé dans sa vie et la nôtre un perpétuel arc-en-ciel, un amour qui dément la brutalité et la bêtise ».

Propos recueillis par Sylvie-Noëlle

Apprendre à t'aimer diffusé le 8 septembre à 21h05 sur M6.