Benoît Delépine (En même temps) : "Plus on se disait que c'était impossible, plus on avait envie de le faire"

Rencontre avec Benoît Delépine et Gustave Kervern

Benoît Delépine (En même temps) : "Plus on se disait que c'était impossible, plus on avait envie de le faire"

Gustave Kervern et Benoît Delépine occupent une place aussi précieuse qu'unique dans le cinéma français. Piliers de l'émission culte Groland, fournisseurs réguliers de comédies absurdes et souvent brillantes pour le cinéma, on les a rencontrés pour leur nouveau film "En même temps".

En même temps est le dixième film du duo de réalisateurs Benoît Delépine et Gustave Kervern, une nouvelle comédie après Effacer l'historique, dans laquelle ils peignent une collaboration absurde et hilarante entre deux hommes politiques, littéralement collés ensemble par un groupe de féministes radicales. Un film où leur humour ravageur se mêle à une critique pertinente et fondée de notre société. On les a rencontrés pour parler de ce nouveau film, de leur démarche, de leurs comédiens Jonathan Cohen et Vincent Macaigne, etc.

Votre nouvelle comédie En même temps, au-delà de sa force comique, dénonce certains traits de notre société mais sans méchanceté, sans cynisme. Au fond, est-ce qu'il y aurait ainsi dans votre démarche une mélancolie, ou peut-être une tristesse ?

Benoît Delépine : Je ne sais pas, je dirais qu'il y a peut-être une forme de tristesse générale, mais éclairée par des crises de rire, des explosions de rire, tellement tout est absurde. Et ça en devient drôle. C'est comme dans notre émission Groland, on tire le tapis nous-mêmes d’une certaine manière, rire reste la solution malgré tout. Dans ces éclats de rire, on voit les problèmes, on voit cette absurdité, on la dit et on essaye de l’expliciter. Mais pour trouver des solutions à ces problèmes, c’est une autre paire de manches...

Dans votre nouvelle comédie En même temps, vous avez l'idée folle de coller littéralement deux personnages. Était-ce simple à mettre en place ?

B.D. : En termes de comédie, c’est une recette vieille comme le monde, avec le clown blanc et l’auguste, les films de Veber, le fait que deux types restent ensemble contre leur gré… Mais ce n’était pas évident de proposer un développement original à ce propos.

Donc un jour on a eu cette idée de les coller, mais en se disant c’est impossible à faire, et plus on se disait que c’était impossible plus on avait envie de le faire.

On s’est débrouillés pour que les situations, les dialogues, les personnages, que tout ça paraisse jouable.

En même temps
En même temps ©Ad Vitam Distribution

Gustave Kervern : On a eu des gros doutes pendant la préparation du film, les autres en avaient aussi. On a eu des difficultés à le monter, mais heureusement les comédiens n’ont eux jamais douté, ni avant pendant ou après, et ça a aidé à concrétiser le projet. Mais jusqu’au dernier moment on s'est dit : « est-ce que deux mecs collés ensemble ça peut vraiment marcher ? ».

Sur le côté physique du truc, on a testé avec des copains dans un garage à Toulouse, ça semblait fonctionner, puis on a vu avec les comédiens. En tant que réalisateurs, l’idée était que ça ne paraisse ni glauque ni ridicule, et on y est arrivés, on oublie même à la fin qu’ils sont collés, on ne voit plus que ces deux personnages et leurs dialogues, on ne pense plus à leur position saugrenue.

B.D. : À l’écriture et à la mise en scène, c’était un challenge. L’incongruité de la situation d'abord, puis avoir ces deux personnages collés, ce qui n’est jamais arrivé au cinéma. Donc il fallait trouver des cadres originaux, parvenir à les montrer un par un alors que c’est a priori impossible. Ça nous a beaucoup plu pendant le tournage, on ne s’est jamais ennuyés ou eu l’impression de refaire ce qu’on avait déjà fait dans nos précédents films.

Comment avez-vous choisi vos deux acteurs principaux, Jonathan Cohen et Vincent Macaigne ?

G.K. : On ne fait jamais d’essais, jamais de lectures, jamais de répétitions. C’est tout juste si on les a vus deux fois avant le tournage. Une fois aux essais costumes, pour voir si ça marchait, et puis ensuite on est passés au tournage. À l’origine on devait faire En même temps avec Denis Podalydès et Bouli Lanners, mais ils n’ont pas pu venir.

B.D. : : ils étaient partants et enthousiastes.

G.K. : C’est eux qui nous ont donné envie de faire le film, alors que les gens nous disaient « non », mais on a tenu bon. Puis, il s'est trouvé qu’on était nommés au César 2021 pour le Meilleur scénario. C’était au moment du confinement, tout était fermé et vide, et on était quasiment tout seuls à la sortie...

B.D. : Seuls les gagnants des César ont droit à un taxi, les perdants n'ont droit à rien du tout. On s’est donc retrouvés sur le trottoir, sous la pluie, avec les autres perdants. Et parmi ceux-là, on a choisi quasi tous les acteurs qui sont dans En même temps .

Ce fut le soir de notre grand casting ! On les connaissait d’avant et on les aimait ce qu’ils faisaient au cinéma, et eux aussi nous aimaient, ils sont venus vers nous. On a bien ri ce soir-là, on a vu qu’ils s’entendaient bien, qu’ils faisaient la même taille, ça a nous alors semblé évident. Ça s’est fait naturellement, à partir de cette soirée un peu absurde.

En même temps
En même temps ©Ad Vitam Distribution

En même temps s'inscrit dans un paysage politique réaliste et contemporain. Mais avez-vous pensé à intervertir les rôles, à former un "attelage" différent, à sortir les personnages de leur définition politique ?

B.D. : On a hésité… Mais quand même, historiquement, il faut avouer que c’est la droite qui a pris le pas sur la gauche. Après des années où la gauche a cessé de faire des politiques de gauche pour faire des politiques libérales , quasi de droite. Il faut se rendre compte des choses, c’est donc pas un hasard si dans le film on met aussi De Gaulle derrière Jaurès. On a pensé à intervertir, donner le rôle du candidat de droite à Vincent, mais franchement… la suite nous a donné raison.

En même temps sort quelques jours avant le premier tour d'une élection présidentielle, et il avance certaines thématiques. Est-ce qu'on peut en tirer une idée en priorité ?

B.D. : Priorité à la nature et aux femmes. Malheureusement, il n’y a pas forcément quelqu’un qui serait à ce point détenteur de ces thèmes. C’est à chacun d’y penser, mais au moment de faire son choix, il faut d’abord penser à ça, à la nature et aux femmes. Pour le reste, ce sont des combats surannés, des trucs censés faire peur à ceux qui vont voter, ce à quoi il ne faut surtout pas penser au moment de voter.