Entretien avec Hylnur Pálmason : « J’aime qu’un projet me surprenne »

Entretien avec Hylnur Pálmason : « J’aime qu’un projet me surprenne »

Son premier film, « Winter Brothers », sort en salle ce mercredi. Hylnur Palmason, couronné au Danemark, évoque sa méthode de travail et sa vision du jeune cinéma européen.

Le 4 février dernier, un premier film a tout raflé au cours de la 34ème cérémonie des Robert danois, l’équivalent des César pour les films danois. Meilleur film, meilleure mise en scène, meilleur acteur, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur décors, meilleure photographie, meilleurs costumes, meilleurs maquillages, meilleur son : au total, neuf trophées ont été attribués à Winter Brothers, le premier long-métrage de l’islando-danois Hylnur Palmason. Son nom ne vous dit sûrement rien, mais une telle razzia menée au cours d’une cérémonie grand public par un film aussi singulier est déjà un fait d’armes notable.

Winter Brothers suit l’errance d’un jeune mineur dans une usine d’extraction de calcaire au Danemark, Emil, qui fabrique une mixture frelatée qu’il revend clandestinement à ses collègues. Ingénu, mais passionné, le jeune Emil est confronté à la violence de son monde et à la solitude, qu’il tente de combler. Le film, dans son allégorique immersion au fond d’une mine assourdissante, est un choc sensoriel. Nous avons rencontré le jeune réalisateur (33 ans) derrière cette petite pépite, Hylnur Palmason, récemment couronné prince du nouveau cinéma danois.

Passé par la Danish Film School of Denmark, où ont fait leurs classes les plus grands réalisateurs nationaux, de Lars Von Trier à Thomas Vinterberg, et issu d’une autre génération que les deux têtes d’affiche de l’école historique, Hylnur Palmason se distingue surtout de ses pairs de par son origine.

Né à Hornafjörður en Islande, Hylnur Palmason puise de ses deux cultures un cinéma d’une fraîcheur revigorante qu’il entretient à travers une méthode de tournage bien particulière : toutes les phases de production semblent s’y entremêler pour accoucher de films d’une richesse surprenante. Il est actuellement en préparation de son prochain long-métrage, A White White Day, tourné en Islande, son pays natal.

 

On ne vous connaît pas beaucoup en France, pouvez vous nous raconter votre parcours ?

À l’âge de 13 ans, je suis devenu obsédé par les formes audiovisuelles. J’ai commencé à travailler dans la peinture, la photographie et la vidéo, des fois en les mélangeant. J’adorais ça ! Par la suite, c’est devenu plus sérieux. J’ai réalisé des courts-métrages aux scénarios un peu plus élaborés.

Au fur et à mesure, les projets devenaient trop ambitieux pour moi tout seul et j’ai eu besoin de trouver des collaborateurs. J’ai commencé à me demander où je pouvais rencontrer des gens créatifs avec qui travailler : des gens qui sont, par exemple, plus intéressés au montage ou à la direction de la photographie que je le suis. J’ai donc choisi la National Film School of Denmark à Copenhague car je pense que c’était le meilleur endroit pour rencontrer de futurs collaborateurs. Une fois que j’y ai été accepté, j’ai essayé ensuite de trouver mon propre langage et de rencontrer des gens qui allaient stimuler mon travail.

 

Pourquoi avoir eu le besoin de vous tourner vers le cinéma spécifiquement ?

Pour moi, les projets décident eux-mêmes s’ils seront des installations vidéos, des films narratifs, des tableaux ou une série de photos. Ça vient de l’oeuvre en elle-même. Quand je suis dans un processus créatif, c’est le projet qui décide lui-même de la direction où aller et c’est à moi de le suivre. J’ai toujours travaillé parallèlement entre arts visuels et cinéma, ça fait partie de ma méthode et je ne m’arrêterai jamais de faire l’un ou l’autre.

 

Dans Winter Brothers, le personnage principal, Emil, est un enfant qui sème la mort : il fabrique un alcool frelaté, il suit un entraînement au tir, alors que d’un autre côté, il est d’une pure naïveté… Pourquoi un tel contraste ?

Tout dans le film repose sur ce contraste-là. C’est quelque chose auquel j’ai pensé dès le début. Le film peut être par exemple très lumineux ou très sombre, très touchant ou très brutal. Les personnages, l’image comme le son : tout va dans ce sens. Je pense que ça permet au film de s’exprimer pleinement. Je fais partie de ceux qui considèrent tous les aspects du film sans hiérarchie. Les décors, le son, l’image, tout est aussi important. Certains réalisateurs se concentrent peut-être trop sur l’aspect visuel ou l’histoire de leur film… Mais de mon côté, pour créer l’expérience de Winter Brothers, il a fallu aborder tous ses aspects avec la même attention et la même rigueur.

 

Vous avez donc écrit le film au fur et à mesure ?

Oui, j’ai écrit le script et développé l’univers en parallèle. J’ai écrit en grande partie le film à l’endroit même où il a été tourné. Je connaissais ainsi l’espace et les gens qui allaient être dans mon film. Ça permet au film de me surprendre en permanence. Dans ce sens, je reste ouvert à tout ce qui pourrait se présenter à moi. J'aime qu'un projet me surprenne.

 

Vous avez procédé de la même façon pour vos deux courts-métrages ?

Oui, mes deux précédents projets, Seven Boat et A Painter, ont la même approche que Winter Brothers. On peut même dire qu’ils sont des projets « parallèles », car ils ont été conçus de la même manière. C’est à ça que j’ai utilisé mon temps passé à la National Film School, pour trouver ma façon de faire des films, et c’est à travers celle-ci que je m’exprime pleinement.

 

Le personnage interprété par Elliott Crosset Hove renvoie d’ailleurs à celui qu’il incarnait déjà dans A Painter : la façon dont il marche, la façon dont il parle, et aussi son manque d’amour. Comment travaillez-vous avec lui ? Qui a créé ce personnage ?

Quand je travaillais sur A Painter, je ne l’avais pas encore rencontré, donc je n’ai pas vraiment écrit ce personnage pour lui. Mais quand j’ai rencontré Elliott, je suis tombé profondément amoureux ! J’adorais le filmer... Son visage est différent d’un jour à l’autre ! C’était génial de travailler ensemble sur A Painter et on a voulu remettre ça pour Winter Brothers. J’ai donc écrit son personnage avec lui en tête cette fois-ci. Au cours de l’écriture, on s’est vu de nombreuses fois et on a travaillé ensemble sur beaucoup d’aspects de son personnage.

 

Son personnage d’Emil est, en quelque sorte, un enfant qui veut devenir adulte. Considéreriez vous Winter Brothers comme un conte initiatique ?

Je n’ai jamais vraiment pensé ça de cette manière. Mon approche envers le personnage s’est surtout concentrée sur le manque d’amour et ce que ce manque signifiait pour lui : son envie d’être vu et de faire partie de quelque chose. C’était une belle idée et je voulais en explorer plus de ce côté-là. Comme vous l’avez soulignez, c’est quelque chose que j’avais déjà fait dans A Painter mais je voulais pousser l’idée encore plus loin cette fois-ci.

 

Winter Brothers parle donc plus d’une solitude que d’une initiation…

Oui. Je ne pense pas qu’à la fin du film, on peut dire qu’il a véritablement changé. Je voulais surtout qu’on parte d’Emil et du fait qu’il travaille dans ce monde-là, mais aussi du fait que la machine continue de tourner sans lui. La première fois que l’on va sous terre, c’est sans Emil. Je voulais qu’on sente que, quoiqu’il arrive à Emil, la mine continuerait de tourner comme avant, dans sa routine.

Comment avez-vous tourné ces scènes au fond de la mine ? Elles sont incroyables !

En vérité, tout est faux. Il n’y a pas de sous-terrain dans la mine de calcaire où nous avons tourné ! On a tourné à la surface, la nuit. Tout était noir et mon chef décorateur a construit des murs de pierre pour que l’on ait l’impression que l’on soit sous terre. Avec les machines déjà présentes et le calcaire, on a donc pu recréer un véritable tunnel sous-terrain, mais à la surface ! Ce n’est que quand il a commencé à pleuvoir qu’on a dû tout arrêter…. Au fond, on doit beaucoup au lieu où nous avons tourné. On avait peu d’argent mais on a pu faire ce qu’on voulait grâce à ce qui était là.

 

Avez-vous retravaillé le son de ces scènes en post-prod, où tout était là au moment de tourner ?

On a enregistré tellement de sons différents à l’usine. On a essayé de les exploiter au maximum et ça a été l’une des parties les plus longues de la production du film. Avant même que l’on tourne, on avait déjà enregistré énormément de sons tout au long de la préparation. Même en cours d’écriture j’ai moi-même enregistré beaucoup de choses. Ça nous a permis de rentrer dans l’esprit du film car, dans Winter Brothers, beaucoup de dialogues se font au coeur de l’usine et sont presque inaudibles. Winter Brothers parle d’incommunicabilité et d’incompréhension mutuelle.

Emil est, en quelque sorte, un incompris. L’idée que le son envahisse l’espace sonore ainsi allait de pair avec ces difficultés de communication que l’on voulait montrer. Tout est construit autour de ça. Par exemple, on ne sait pas s’il est au courant du mal qu’il a provoqué par exemple, ou même si c’est, justement, de sa faute. On ne comprend pas tout dans le film et ça correspondait au monde de cette mine. Quoiqu’il en soit, le sound designer a utilisé beaucoup de temps à réaliser le son des scènes dans la mine. C’était un travail colossal ! On y revenait semaine après semaine pour que ça fonctionne… Il fallait que l’on ressente un isolement profond. Il fallait que ça semble vrai et je pense qu’on a réussi.

 

Vous travaillez également la bande-sonore en même temps que le reste ?

Oui, j’ai commencé à travailler ça très tôt. Pendant que j’écrivais, je travaillais déjà avec le compositeur et le monteur son. J’ai commencé dès le début à leur proposer des idées sur la bande-son ou suggérant ce à quoi la musique devait ressembler. Je savais que je voulais une musique atypique, pas une bande-son traditionnelle. Je ne voulais pas que l’on ressente le film et la musique séparément : j’ai conçu certaines scènes pour que la musique soit comprise dans la scène, qu’elle fusionne avec elle. Ça ne m’intéresse pas de travailler la musique après coup. Je voulais que la musique se forme en même temps que le reste. C’est pourquoi le plus important pour moi est d’impliquer mes collaborateurs le plus tôt possible pour qu’on travaille en équipes. C’est ce qui permet de rendre le film très homogène. Mais homogène d’une manière étrange !

 

Oui, ça explique pourquoi tous les éléments du film sont cohérents entre eux. Le passage de l’ombre à la lumière, la brutalité qui côtoie la naïveté…

Exactement. Certaines personnes considèrent que c’est une histoire trop simple. Mais je trouve que d’avoir trop d’éléments narratifs peut gâcher un film. Le format de la littérature se prête parfaitement à la narration. Mais au cinéma, on a affaire à tellement d’éléments différents qu’on ne peut pas en privilégier un plutôt qu’un autre.

 

Le lieu du film en dit déjà beaucoup...

Oui, complètement. Je pense que c’est la force du cinéma. Trop de films s’occupent trop de leur histoire en mettant le reste en retrait. Les décors, le son ou la musique ne sont par exemple là que pour faire fonctionner l’histoire, mais ne sont pas véritablement liés aux séquences.

Votre film vient de remporter de nombreux prix au Danemark. Quelle a été la réception là-bas ?

Les critiques ont été très positives, ce qui a permis au film de faire un peu plus d’entrées que ce à quoi il était destiné. On est très heureux de la manière dont a été reçu le film. Et tous ces récompenses, c’était une surprise totale ! On n’a pas pensé le film comme étant un film à succès. L’Académie qui décerne les prix au Danemark récompense très souvent des films populaires. C’était donc une bonne surprise de voir Winter Brothers là. Et je ne dis pas ça parce que je ne pense pas que le film le méritait, simplement parce que les autres films en lice était beaucoup plus grand public.

 

Quel regard portez-vous sur le cinéma danois aujourd’hui ?

Je viens de sortir mon premier film donc j’ai essayé de regarder principalement des premiers films ces dernières années, au cinéma et dans des festivals. Le cinéma danois a des projets très excitants à venir ou qui viennent de sortir. Et je suis vraiment enthousiaste à propos du jeune cinéma européen en général. J’ai vu des premiers films impressionnants ! Des films dont j’avais l’impression que leurs auteurs travaillaient dans le cinéma depuis bien longtemps. Jusqu’à la Garde est un premier film très très costaud par exemple. J’ai aussi beaucoup aimé Eté 93, un premier film espagnol, Team Hurricane, un premier film danois, ou encore Heartstone, de mon pays natal, l’Islande. Ça annonce de très bonnes choses pour la suite je pense.

 

À ce propos, vous travaillez actuellement sur votre second long-métrage, qui se déroule cette fois en Islande. Etait-ce un besoin pour vous d’aller tourner sur le lieu de vos origines ?

Oui, je pense le cinéma comme un langage international. J’espère que je travaillerai à nouveau en Islande, au Danemark, ou même en langue anglaise, qui est, au fond, ma troisième langue. Mais oui, j’ai ressenti un besoin de retourner en Islande car il y avait certains éléments que j’avais besoin d’exprimer et que je n’avais pas pu exprimer au Danemark. Le film s’appelle A White White Day et sera un drame mystérieux à propos du chagrin, de la peur et de la douleur qui reste chez les vivants après qu’ils aient perdus un être cher.

 

Quand commencez-vous à tourner ?

J’ai déjà tourné la scène d’ouverture et ça m’a pris deux ans ! C’est un prologue un peu séparé du reste du film et qui dure une quinzaine de minutes. Le reste du tournage commencera cette année au mois d’août et se terminera en octobre. Encore une fois, j’emploie la même méthode que pour Winter Brothers : j’écris et je conçois le film au fur et à mesure. J’ai vraiment envie de construire quelque chose et de voir le temps s’écouler au fil du projet.

Je voulais voir les saisons passer et laisser le film choisir lui-même où il allait se dérouler, à quelle saison par exemple. Tourner le prologue séparément du reste m’a permis de mettre un pied dans le film afin de voir quelle forme celui-ci allait prendre par la suite. Ce processus m’a vraiment consumé dans ma routine, ça m’a épuisé, mais ça a affecté le film d’une bonne manière. Ça me permet de creuser profondément et je pense que j’appliquerai encore ce processus à mes prochains projets, car ça me permet d’avoir beaucoup plus de temps. Mais avoir plus de temps, ça coûte beaucoup plus cher si on a toute une équipe en train de tourner avec nous. Donc je tourne la plupart du temps tout seul.

Propos recueillis par Corentin Lê

 

Winter Brothers de Hylnur Palmason, en salle le 21 février 2018. Ci-dessus la bande-annonce.