Hostile : entretien avec le réalisateur Mathieu Turi

Hostile : entretien avec le réalisateur Mathieu Turi

Mathieu Turi, le réalisateur d’"Hostile", un premier long-métrage très prometteur, nous explique comment il a créé son film et parle de sa passion pour le cinéma.

Avec son film Hostile, Mathieu Turi mélange le drame romantique et le film fantastique post apocalyptique. Un mélange qui peut paraître surprenant, mais qui au final marche totalement.
L’histoire se déroule dans un désert aride dans le futur. Après une catastrophe qui a décimé l’espèce humaine, les survivants tentent de survivre en présence de mystérieux zombis. Juliette fait partie d’un groupe bien organisé. Mais alors qu’elle s’apprête à rentrer, elle est victime d’un incident de camion et se retrouve bloquée, obligée de passer la nuit dehors. Les choses se compliquent lorsqu’elle est repérée par un zombi. Alors qu’elle se bat pour rester en vie, elle se souvient de sa vie avant la catastrophe, de la rencontre avec un homme et de leur histoire qui s’en est suivie - voir notre critique.

Le réalisateur nous parle de cinéma avec la sortie de son premier long-métrage. À travers ses propos, on sent la passion pour cet art et la maîtrise qu’il a de ce langage.

 

Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?

Lorsque j'ai eu envie de faire un court-métrage un peu carré, pour la première fois de ma vie, j'ai rédigé mon top 10 de films qui comptent pour moi. Et 80 % étaient de la science-fiction et de l’horreur. Dans cette liste, on retrouvait Terminator, Terminator 2, les films de Shyamalan, beaucoup de choses comme ça. C'est là que je me suis dit que j'avais envie de faire ça, un film de genre et de science-fiction. J’ai donc fait un court-métrage qui s’appelle Sons of chaos, du post apocalyptique très jeu vidéo, dans un monde futuriste mais verdoyant où il ne reste que les ruines de la civilisation. Les survivants avaient des masques à gaz et étaient obligés de s’intuber pour pouvoir manger. C'était une question qui m'intéressait, simplement savoir comment les gens s'alimentent dans un tel contexte. Il n’y avait pas vraiment d’histoire, c’était un personnage qui devait gagner trois médailles pour devenir un chasseur et tuer un monstre, qui en fait était un mutant. Et je me suis éclaté, on l’a fait avec très peu d’argent, mais en essayant de donner un maximum.

Ce court-métrage s’est retrouvé en compétition en festival dans le monde entier, ça a pris de l'ampleur. J’ai été confronté à autre chose aussi, nombre de personne aimait mon film, mais n'y voyait pas de travail de direction d'acteurs. Et effectivement, je jouais le rôle principal parce que mon acteur m’a lâché au dernier moment. Il n’y a pas de dialogue non plus. Et on me disait qu’il fallait voir comment je dirige les comédiens avant de me confier un long-métrage. Donc, j’ai fait un deuxième court-métrage, qui s’appelle Broken. Qui est l’opposé, celui-ci montre deux personnes coincées dans un ascenseur pendant 25 minutes et qui ne parlent pas la même langue. J’ai adoré ça, cela m’a aussi permis de voir ce qui me plaisait. Et donc, pour mon premier long, l’idée était de mettre un peu toutes mes références. Dans Hostile, il y a un peu tout ce que j’aime. Il y a des flingues, un monstre, une cascade de voiture, une histoire d’amour, un conflit entre un homme et une femme dans un contexte romantique, il y a un twist, un désert, des pays différents. C’est un mélange de tout ce que j’aime.

Hostile : entretien avec le réalisateur Mathieu Turi

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs pour créer leur personnage ?

Il y a quelque chose que l’on a fait avec Hostile, c’est de travailler la back story. On a recréé tout un passé avec le personnage de Juliette, son passé de junky et comment elle en était arrivée là. Moi, j’avais déjà une grosse base et Brittany Ashworth a pu rajouter des choses. On a créé aussi ce que j’appelle la post story. Pour moi, c’était obligatoire parce que ce qu’il se passe avant la partie post-apocalyptique et après la romance, c’est une partie que l’on ne raconte pas dans le film. Donc on a réfléchi à toute cette partie : qu’est-ce qui se passe après la fin ? Ça permet de voir ce vers quoi tend le personnage. Dans la vie de tous les jours, on avance avec notre passé, mais aussi avec notre avenir. C’est quelque chose que j’ai vraiment aimé faire, c’est comme ça que j’ai développé les personnages. Celui de Grégory Fitoussi, c’est pareil, on a dû lui trouver une raison. Dans le film, ce n’est pas vraiment expliqué pourquoi il s’attache au personnage de Brittany Ashworth. On a créé toute une logique autour de son histoire avec sa mère, qu'il a perdu à cause de l’alcool. Inconsciemment, il voulait réparer ce qu’il avait vécu avec sa mère. C’est très important pour les personnages. Même si on ne le dit pas franchement, le spectateur le ressent. Ça permet de rebondir sur des choses et de faire des improvisations qui sont logiques. Quand les comédiens sont en demande et qu’on crée ensemble un personnage, ça permet d'aller plus loin.

 

Il y a un très fort suspense dans Hostile, notamment véhiculé par l’exploitation du son. Comment avez-vous travaillé tout cet environnement sonore ?

Le son, pour moi, c’est 50 % d’un film, surtout dans les films de genre. Le son peut vous amener une dimension autre. Pour le son de la créature par exemple, j’ai voulu des sons qui apportent une certaine originalité, mais surtout une justification. Pour nous, il y avait une certaine logique que le zombi ait la gorge complètement bouffée par le gaz, d’avoir des sons très gutturaux, quelque chose à son image, très frêle, qui peut avoir l’air faible, mais en même temps agressif. Pour les sons du désert, on a énormément travaillé en postproduction les sons des différents vents, qu’on a pris là-bas et qu’on a mixé avec d’autres. Pour la voiture, il y avait une petite dizaine de micros dans la voiture pour que l’ingénieur du son puisse capter tout le côté roulant. On avait des micros dans l’habitacle, mais aussi des micros près du moteur pour attraper les graviers pour donner vraiment vie à ce véhicule. Après, en postproduction, on a pu travailler tout cela. C’est primordial, ça peut te changer une scène. Par exemple une scène de coup de feu, tu peux rajouter des effets pour enfermer le personnage, en mettant des juxtapositions pour faire durer le son.

Hostile : entretien avec le réalisateur Mathieu Turi

Cela rajoute aussi de l’émotion aux scènes.

Quand on me demande en quoi le son peut changer une scène, je prends toujours deux exemples tiré de la trilogie du Parrain. Dans le Parrain 3, à la fin quand Al Pacino a dans ses bras sa fille qui vient de se faire tuer sur les marches. Il prend sa respiration juste avant de crier, la musique est partie, on le voit crier, mais il n’y a pas de son. Tout est sur son visage, la crispation, la souffrance. Et là où Coppola est très fort, c’est que je suis sûr que c’est une décision de postproduction. J’aimerais bien le rencontrer pour lui demander. Il décide de remettre le son à la respiration, il se sert de ça pour recréer le cri. Et ça donne un effet comme si la douleur était tellement forte qu’elle dépasse la mise en scène et ça donne dix fois plus de puissance à ce cri-là. De la même façon sur le premier Parrain, Michael doit se rendre dans un restaurant pour tuer un homme. Lorsqu'on est sur lui, il y a ce son de tramway qui vient de dehors, de rails qui grincent, un son hyper strident, et on fait une association entre la haine et ce son. On peut se dire qu'il est là pour couvrir le son du coup de feu, mais ça symbolise aussi sa colère qui monte au maximum. Le son utilisé comme cela, ça change vraiment une scène et ça peut l’améliorer.

Hostile : entretien avec le réalisateur Mathieu Turi

Il y a un thème fort qui est présent tout au long du film, c’est l’exploration du beau et du laid. On retrouve cela dans le clair-obscur, dans les décors. Est-ce que c’est un thème que vous vouliez explorer dès le départ ?

Ce qui m’intéressait dans Hostile, c’était d’unifier ce thème avec Francis Bacon. Le film lui-même est hybride, il est un mutant, un mélange entre deux genres très différents. Quand on regarde l’œuvre de Bacon, c’est le principe même de déconstruire tout cela et je voulais l'imprégner dans le film. Par exemple, je suis très intéressé par tout ce qu’a fait H.R. Giger, que ce soit la créature d’Alien, mais aussi ce qu'il a fait avant. Artistiquement, ce côté repoussant et attirant en même temps, je trouve ça passionnant. La beauté et la laideur, je pense qu’il y a un vrai lien entre les deux. Parce que la beauté, c’est très relatif, c’est quelque chose de subjectif. Un monstre a quelque chose de fascinant. S'il est bien fait, il aura une forme de beauté.

Aussi, c’est pour cela que je voulais que le personnage de Grégory Fitoussi soit très riche, pour avoir ce parallèle avec la galerie, l’énorme maison, le côté clinquant. Sa beauté plastique aussi, mais ce n’est pas forcement vrai et au même titre le monstrueux cache quelque chose de pas forcement monstrueux. On joue énormément sur les clichés avec ce film. J’ai utilisé les clichés du fantastique, du post-apocalyptique, mais aussi les clichés du drame romantique. Les personnages sont un peu clichés, lui est très prince charmant. Et jouer avec ça, des deux côtés, fait que ce qui est laid ne va pas être forcement négatif, et ce qui est beau pas forcement positif. Et la vie, c’est un mixte de tout cela.

Propos recueillis par Michael Leete

Hostile de Mathieu Turi, en salle le 26 septembre 2018. Ci-dessus la bande annonce.