Entretien avec Dustin Guy Defa pour la sortie de Manhattan Stories

Entretien avec Dustin Guy Defa pour la sortie de Manhattan Stories

A l'occasion de la sortie de "Manhattan Stories", rencontre avec le réalisateur Dustin Guy Defa. Avec ce deuxième long-métrage, le cinéaste nous offre une comédie qui dévoile une facette inédite de New York, dans laquelle évoluent de nombreux personnages attachants et brillamment interprétés.

Dans Manhattan Storiesle spectateur fait la connaissance de nombreux protagonistes au cours d'une journée passée dans les rues de New York. Si ces personnages ne se croisent pas forcément, il émane de chacun d'eux une générosité et une douceur qui offrent de très belles séquences.

Derrière ce film, nous retrouvons Dustin Guy Defa, réalisateur installé depuis plusieurs années dans la ville. La force du cinéaste est d'avoir su retranscrire l'énergie de Manhattan en plantant sa caméra dans des rues que l'on voit peu au cinéma. Contrairement à de nombreuses comédies, Manhattan Stories évite en effet le syndrome du "film carte postale".

Pour ce deuxième long-métrage, le réalisateur a par ailleurs tourné avec un ami proche, Bene Coopersmith. Cet acteur non-professionnel s'impose comme l'une des révélations du film, au même titre que l'excellente Tavi Gevinson. Dustin Guy Defa a évoqué avec nous sa relation avec Coopersmith, point de départ d'un film qui nous plonge dans une ville inépuisable, dotée d'un charme intemporel.

On découvre dans le film une facette et des lieux de New York que l’on voit peu au cinéma, à l’image de la boutique du personnage de Philip Baker Hall. Aviez-vous la volonté de montrer un versant de la ville peu représenté ?

Oui, absolument. Je ne voulais pas montrer de grands repères assez typiques, qui sont très faciles à filmer à New York, à l’image d’un building facilement reconnaissable que l’on a déjà vu auparavant. De mémoire, le lieu le plus célèbre du film est le Brooklyn Bridge, que le personnage d’Abbi Jacobson traverse en scooter. Nous ne voulions pas particulièrement mettre en évidence le pont, seulement donner l’impression qu’il s’agit du Brooklyn Bridge.

L’une de mes intentions sur le film était de mettre en valeur beaucoup de rues apparemment anodines que je trouve incroyables. Si vous vous baladez dans ces rues, vous pouvez par exemple voir des gens qui se disputent. Lorsque l’on vit dans ces rues, on découvre des tranches de vie d’autres personnes. Je voulais montrer des endroits que l’on ne voit jamais au cinéma.

Dans le film, vous arrivez à boucler chacune des histoires et à développer une galerie de personnages attachants. Était-ce difficile de filmer cette multitude de protagonistes tout en parvenant à donner une cohérence et un rythme dynamique au long-métrage ?

Je voulais qu’il n’y ait aucune hiérarchie entre les différents personnages. Toutes les personnes qui ont travaillé sur le film étaient au courant de cette dynamique. Au moment d’écrire le script, je ne savais pas qu’il y aurait des comédiens que le public a l’habitude de voir au casting.  

Durant le tournage, nous avons eu la chance de pouvoir tourner la plupart des histoires séparément. Toutes ces histoires ne forment qu’un film mais au moment du tournage, nous avions donc la possibilité de rester un peu plus dans l’univers de chaque personnage grâce à ce procédé, ce qui était très pratique. Toute l’équipe savait que le scénario était serré et que nous devions nous y coller. On savait où on allait et il y avait une sorte d’énergie commune. Grâce à cela, ça n’a pas été trop difficile de naviguer entre chaque histoire et entre les acteurs professionnels et non-professionnels, pour ensuite construire un film cohérent.

Pourquoi ne pas avoir voulu que les personnages se croisent dans le film ?

Je pense que la raison initiale est que je n’avais jamais vu ça auparavant. Je ne connais pas de film choral où les personnages ne sont pas connectés entre eux, d’une manière ou d’une autre. Dans Short Cuts et Magnolia, ils sont par exemple connectés par le tremblement de terre et la pluie de grenouilles.

J’ai été tenté de les connecter en écrivant le film, mais j’ai finalement abandonné l’idée. Je voulais que l’on puisse le regarder sans attendre une connexion particulière. On ne s’attend pas à ce que les personnages soient reliés dans le film. C’était un challenge de se débarrasser de cette attente ! Je voulais également retranscrire le sentiment que je ressens, quand je suis à New York, que des choses et des personnes sont liées sans même que l’on s’en rende compte. J’ai l’impression que ce que l’on appelle l’effet papillon se produit beaucoup plus vite dans cette ville.

S’il y a un incendie dans l’Upper Manhattan, cela peut affecter le sud de la ville sans que l’on sache pourquoi. On ne sait pas vraiment pourquoi cela nous affecte mais c’est pourtant un sentiment palpable, et que j’ai tenté de retranscrire dans le film. C’est par ce sentiment que les personnages sont liés, même s’ils ne se croisent pas physiquement.

Y a-t-il un personnage dont vous vous sentez le plus proche ?

Je me sens proche de chacun d’eux mais davantage de Benny . Bene est un ami très proche. Mais si je dois choisir celui qui me ressemble le plus, ce serait probablement Wendy, l’adolescente . Ce n’est pas tant dans sa manière parler, car elle parle beaucoup et ce n’est pas vraiment mon cas dans la vie de tous les jours, mais plutôt dans son désir de se connecter avec le monde et d’être consciente de ce qui l'entoure. Ce sont des traits de caractère qui me ressemblent.

Dustin Guy Defa : Interview du réalisateur de Manhattan Stories.
© Magnolia Pictures

Selon vous, quel est le point commun inhérent à tous les personnages du film, et que vous pouvez retrouver plus généralement dans New York ?

Il y a une chose, je ne dirais pas que c’est propre à New York mais en tout cas je la retrouve dans la ville, c’est une certaine bonté. Je voulais que ce film soit positif. Même si certaines choses se passent mal, les personnages se traitent avec une certaine décence. C’est d’ailleurs quelque chose que l’on ne voit pas souvent au cinéma.

C’est drôle parce que certaines personnes pensent que New York est une ville agressive et que les habitants ne sont pas sympas. Au contraire, je pense que c’est l’une des villes les plus agréables dans la manière dont les gens interagissent entre eux. Si vous êtes touriste et que vous êtes perdu, mettez-vous à n’importe quel coin de rue avec votre carte et vous verrez des gens venir vous aider. C’est une ville où l’on peut voir des personnes en aider d’autres. Dans un sens, et c’est un sentiment très particulier, les gens vivent ensemble à New York. La ville a besoin de ça pour fonctionner.

On a l’impression que vous aviez déjà pensé aux acteurs au moment d’écrire les personnages. Était-ce le cas ?

Bene était le seul choix vraiment évident pour moi. Je n’avais aucune idée pour les autres comédiens. La seule autre à qui j’avais déjà pensée est Tavi , qui n’avait fait qu’un seul film jusqu’à Manhattan Stories. Je n’avais pas vu ce film mais je la connaissais, je savais ce qu’elle faisait. J’y ai pensé au moment de l’écriture mais je ne savais absolument pas quelle place elle pourrait tenir dans le film.

J’ai fait un court-métrage avec Bene  et nous étions colocataires à une époque. J’ai toujours voulu faire avec un film avec lui car il est extrêmement charismatique dans la vraie vie. Je ne savais pas quel rôle lui écrire et à mesure que nous sommes devenus proches, les idées ont germé. Bene était la première inspiration pour ce film. Il m’a appris tellement de chose sur l’amitié que j’ai voulu en faire l’un des thèmes principaux. J’ai vraiment commencé à écrire à partir de ce que signifiait l’amitié pour moi.

Avez-vous d’autres projets de long-métrage pour la suite ?

Oui, je suis en train de finir d’écrire mon prochain film. Je ne sais pas encore quand je pourrais le tourner. Ce serait incroyable si je pouvais le tourner à l’automne prochain. Je ne peux pas encore vraiment en parler tant que le script n’est pas terminé mais ce sera vraiment différent de Manhattan Stories.

Propos recueillis par Kevin Romanet

Manhattan Stories de Dustin Guy Defa, en salle le 16 mai 2018. Ci-dessus la bande-annonce.