François Créton (Les Héroïques) : " Michel est un personnage tellement borderline..."

Rencontre avec l'acteur principal du film "Les Héroïques"

François Créton (Les Héroïques) : " Michel est un personnage tellement borderline..."

Interprète principal et révélation du film "Les Héroïques", François Créton y incarne un homme marqué par les addictions, en lutte avec ses démons et une histoire familiale. À l'occasion de la sortie en salles de ce film, premier long-métrage de Maxime Roy, nous avons rencontré l'acteur.

Quel est le point de départ du film Les Héroïques ?

François Créton : À la base du film Les Héroïques, je rencontre Maxime Roy, parce d'abord que c'est le chéri de ma grande fille. Très vite se crée une relation très forte entre nous. J'ai des cassettes que mon père m'a laissées à la fin de sa vie. Il est alors très malade, il sait qu'il va mourir, il me demande de lui apporter une caméra et il se filme en auto-interview, gros plan, plein cadre. Il essaye de parler, fait sept cassettes d'une heure chacune. J'en regarde une après sa mort, et ça me charge bien, je range les autres dans un tiroir. Et quand je rencontre Max, c'est avec lui que j'ai envie de les voir, donc je lui en parle. Mon idée, vague, est peut-être d'en faire un documentaire.

On les regarde, ensemble, et à la fin Max me dit : "ce qui m'intéresse, c'est pas les cassettes de ton père, et le documentaire c'est pas mon truc. Ce qui m'intéresse, c'est une fiction, et ta relation avec ton père". On commence à écrire l'histoire de Michel, on l'invente, c'est tiré de ma propre histoire mais ça reste une invention, pour se permettre d'aller partout et plus loin. Les Héroïques est donc l'histoire de Michel et de son père, et du fils de Michel qui l'accompagne.

Maxime Roy
Maxime Roy - Festival de Cannes 2021 ©Pascal Le Segretain/Getty Images

Qui est Michel ? Qu'est-ce que raconte ce portrait ?

F.C. : Michel est lui-même un gamin. Il ne veut pas grandir. Enfin, il veut bien grandir, mais ne pas rentrer dans le système. Mais s'il grandit, selon lui, il rentrera dans le système, donc il y a un rejet en bloc de tout ça. Michel doit accepter sa relation avec son père, pour s'accepter lui-même en tant que père et donc assurer avec ses propres enfants, accepter et assumer l'homme qu'il est. L'histoire est proche, elle est inspirée de ma vie, mais ça reste une fiction. On a voulu Michel comme un personnage de fiction, avec des caricatures, des accentuations très fortes. C'était le seul moyen pour moi de ne pas tomber dans la psychologie de comptoir ou l'impudeur. C'est un personnage de fiction qui nous permet d'aller où on veut.

Michel doit grandir, mais grandir ça veut dire retourner à l'école, apprendre des trucs qu'il sait déjà faire, donc il refuse. Mais il n'a pas le choix. Si tu veux faire ce que t'as envie de faire, il faut passer par certaines étapes, entrer dans certaines cases. Ou alors tu acceptes une marginalité, et tu t'enlèves de beaucoup de choses. Ce qui mène à la précarité, à la marge, à la solitude, dans des histoires parallèles. Alors tu prends de la drogue parce que tu te considères comme marginal, et le fait de prendre de la drogue te marginalise encore plus. Et ça devient une identité.

Les Héroïques s'ouvre sur un monologue magistral et très poignant, en un seul et même plan. Comment l'avez-vous tourné ?

F.C. : Je suis allé et je vais encore, très régulièrement, en réunion d'Alcooliques Anonymes. Quand on écrivait le film j'y ai emmené Max, beaucoup. On a travaillé sur les points de vue, le travail d'écoute, les différents personnages. Il fallait déterminer une vision autre, contre celle qu'on a souvent : des salles éclairées au néon où les gens font la gueule. Alors que non, les gens partagent, se racontent des choses, se prennent dans les bras, c'est pas du tout l'image qu'on s'en fait. J'ai connu cette situation dans ma vie où je me retrouve avec un enfant et très amoureux de la maman, ce qui m'a déchiré. On a beaucoup réécrit, mais cette séquence ressemble à un témoignage que j'avais fait un jour, sur ma douleur à accepter la situation.

C'est un seul plan, une seule et même prise, de 3mn 15. Maxime s'est battu comme un chiffonier, parce que la production avait très peur d'ouvrir le film avec un plan aussi long, et que le public n'adhère pas. Max a dit : "si on ne met pas cette scène, on n'aura pas d'empathie pour Michel". Parce que ce qu'on voit après, c'est un personnage tellement borderline... Cette scène crée l'attachement au personnage, et d'une certaine manière on lui pardonne beaucoup plus ce qui arrive ensuite.

On fait plein de prises. Je n'y arrive pas. Presque, mais pas. Maxime est au cadre et on a un rapport très direct. Il coupe, on se regarde, on se dit que ça ne marche pas. Maxime fait vider le plateau, et me prend à part, "il faut qu'on parle". Et il me dit un truc très simple : "Arrête de faire François, fais Michel." On y est retourné, on a fait une prise, et c'était la bonne. Une fois de plus, c'est la fiction qui est déterminante.

Michel, c'est aussi des parcours d'autres personnages autour de lui. Comment était le travail avec le reste du casting ?

F.C. : Ça a été un bonheur. Pour Les Héroïques, Maxime a réussi à réunir dans son casting une famille. On s'est super bien entendus, on a tous accroché. Dès la première version du scénario on voulait que ce soit Richard Bohringer pour le rôle de mon père et dès la première version, il a dit oui. Il a été derrière nous pendant les deux ans et demi d'écriture et n'a jamais lâché. Ariane Ascaride, c'était une évidence. C'est une personne que les histoires de famille touchent beaucoup. Avec Patrick d'Assumçao ça a été la même chose, et avec Clotilde Courau c'était extraordinaire. On se prenait dans les bras avant chaque scène, on se serrait. Il y a eu un véritable élan, je crois que tout le monde a été touché par Michel, en dehors de ma propre histoire.

Il y a aussi votre propre fils, Roméo Créton, qui joue le fils de votre personnage Michel.

F.C. : Avec Roméo, ce qui a été bien, c'est qu'il est rentré dans la peau de Léo. Lui aussi est parti dans la fiction donc il n'y a pas eu de règlement de comptes entre nous, on était deux acteurs. Mais en même temps, il y a une histoire derrière tout ça, avec du vécu, et certaines scènes ont quand même été émouvantes à faire. Je pense que ça a tout de même permis, à l'un et à l'autre, de se dire qu'on pouvait passer à autre chose.

Les Héroïques
Roméo et François Créton - Festival de Cannes 2021 ©Kate Green/Getty Images

Les Héroïques montre des solitudes douloureuses, le film est-il aussi une ode à la solidarité ?

F.C. : Je dirais que la trajectoire de Michel, c'est essayer de se mettre debout, devenir responsable et devenir un homme bien. Dans cette trajectoire, il y a des histoires de vie. Une fiancée qui se barre, un papa qui va partir, un bébé qui arrive, un lien avec un grand fils... Je crois que ce sont des situations quotidiennes pour tout le monde. Dans les tournées qu'on a faites pour présenter le film, beaucoup de gens se sont reconnus. Je crois que Les Héroïques dit quelque chose qui nous concerne tous. Être à la fois un enfant et un parent, ce n'est simple pour personne.

Le film montre l'importance des groupes, de l'entraide. Les gens ne sont pas malveillants, mais la réalité est terrible. C'est peut-être dur à concevoir, mais il existe des gens encore plus précaires que Michel, qui lui a un enfant dont la mère peut aussi s'occuper, il n'est pas un parent seul. Il y a des mamans isolées avec un ou des enfants, qui consomment et qui sont à la rue. C'est difficile d'accepter son sort, mais c'est la condition pour être ensemble. Si tu es dans la résistance en permanence, tu n'es jamais avec l'autre. Ce qui est important pour Maxime et moi, c'est la capacité de résilience et l'espoir, mais toujours ensemble. Tout seul, tu ne peux rien faire, ou si peu. Alors qu'ensemble, tu peux aller quelque part. C'est aussi ce que Les Héroïques raconte.

Les Héroïques
Les Héroïques ©Pyramide Distribution

Avez-vous un nouveau projet de film ensemble ?

F.C. : Nous travaillons actuellement sur notre prochain projet, et on y retrouve cette idée d'agir et d'être ensemble. C'est une adaptation de la bande-dessinée de Wilfrid Lupano, Ma Révérence, et ça nous ressemble encore ! L'histoire d'un vieux, très marginal, et d'un jeune trentenaire un peu poète mais à côté de ses pompes. Et pour se sortir de leur situation ils vont inventer un braquo à la con. On est beaucoup plus dans la comédie, mais il y a cet élément de la BD qu'on travaille beaucoup, qui est l'inscription dans un champ social réel avec cette question de pourquoi, comment, à quel moment tu en arrives à penser que la seule solution restante est un braquage.