Grégory Montel (Chère Léa) : "Je l'ai écrite cette lettre, mais personne ne l'a lue"

Rencontre avec l'acteur principal du nouveau film de Jérôme Bonnell

Grégory Montel (Chère Léa) : "Je l'ai écrite cette lettre, mais personne ne l'a lue"

À l'affiche de "Chère Léa", nouveau film de Jérôme Bonnell, il livre une belle performance pour son premier grand rôle principal. Après la série "Dix pour cent" et plusieurs apparitions très remarquées au cinéma, notamment et récemment dans "Les Parfums" et "Rose", l'acteur Grégory Montel prend maintenant toute la lumière pour raconter la fin d'une passion amoureuse. Un rôle complexe et émouvant sur lequel il est revenu pour nous.

Il fait partie de cette générations de comédiens très talentueux révélés par la série Dix pour cent. À l'instar de Camille Cottin et Laure Calamy, Nicolas Maury aussi, celui qui incarnait Gabriel a pris son envol et commence à occuper régulièrement le grand écran. Dans Chère Léa, Grégory Montel incarne Jonas, un quarantenaire encore amoureux de son ancienne maîtresse, Léa (Anaïs Demoustier), et un homme pour qui la journée s'annonce compliquée. Entrepreneur en bâtiment et travaux publics, il a un problème urgent sur un chantier, il y a aussi son ex-femme (Léa Drucker), avec qui d'ultimes détails de la séparation ne sont pas encore réglés, sans oublier la rencontre avec un patron de café à la fois soucieux et admiratif (Grégory Gadebois).

Après une nuit arrosée, Jonas voit Léa une dernière fois avant d'entreprendre de lui écrire une lettre d'amour comme de rupture, des pages qu'il noircit au café en face de son immeuble. Commence alors une série d'événements qui, sous une apparence anodine, vont le transformer.

Votre rôle dans Chère Léa est un vrai rôle principal, avec de la complexité et de la profondeur. Vous attendiez ça depuis longtemps ?

Grégory Montel : Je vais être sincère, je suis comme beaucoup d'acteurs : j'ai attendu ça toute ma vie. Et je veux continuer à attendre ça, prendre en charge des personnages aussi complexes. J'ai adoré ce personnage de Jonas, ce qu'il avait à dire, à la fois son fond et sa forme. L'idée que ce soit un grand pragmatique, pas a priori un romantique, il n'a rien du poète maudit. C'est un mec terrien, il est touché comme tous les autres mecs du monde par la passion amoureuse et ça l'amène ailleurs.

Chère Léa
Chère Léa ©Diaphana Films

C'est inespéré que quelqu'un comme Jérôme Bonnell, avec une écriture aussi ciselée, si précise, m'offre un rôle comme ça. C'était une joie qu'il fasse appel à un acteur comme moi, un peu impétueux, un peu agité. C'était une preuve de confiance. Et comme Jonas dans le film, je crois que j'ai progressé avec Chère Léa, à la fois en tant qu'homme et en tant que comédien. Être avec des acteurs comme Grégory, Anaïs, Léa, Pablo, qui sont profondément agiles. C'était un cadeau.

Jonas est un homme déstabilisé par la passion, c'est ce profil qui vous intéresse ?

Je crois que quand on vit la passion, on devient beaucoup plus créatif. On s'intéresse à la profondeur des choses parce qu'on veut comprendre, alors on va piocher à l'intérieur de soi et on rentre dans l'introspection. Ce qui n'est pas forcément la came de ce personnage de Chère Léa. Jonas pourrait penser que c'est une sorte de faiblesse. Mais ce jour-là il décide de repousser ses échéances de la journée, parce qu'il a autre chose à fournir, il y a un truc qui doit sortir, qui le fera avancer, lui fera tourner la page, et peut-être en fera un autre homme. Donc oui, avoir un rôle comme ça, c'est forcément bandant !

Chère Léa s'inscrit complètement dans ce cinéma qui explore le discours amoureux et interroge sa possibilité même. Et on se dit que la fonction de Léa, une chanteuse lyrique et donc d'une certaine manière une experte du discours, ne peut pas être un hasard.

Oui, c'est tout à fait juste. Je suis obnubilé par le texte de Roland Barthes, Fragments du discours amoureux. Pour lui, le discours amoureux, on ne peut l'établir et le saisir qu'après la rupture amoureuse. C'est un texte qui est une discussion a posteriori, peut-être qu'après la passion amoureuse on est dans un état où on peut être plus objectif. Je pense que Jérôme Bonnell a voulu faire vraiment oeuvre de cinéma, faire un film qui traiterait d'un hors-champ amoureux. On va vivre la fin d'une histoire d'amour, Léa est toujours présente sans être visible. Ainsi, il fallait créer dans l'oeil de Jonas et aussi dans celui de Mathieu, le patron du bar.

Le fait que Léa soit chanteuse lyrique, c'est déjà qu'elle a la capacité de parler, quand lui n'a pas cette méthodologie. Il a l'appréhension de l'élément vocal, c'est pour ça peut-être qu'écrire est plus facile pour lui. Une chanteuse, c'est quelqu'un qu'on entend sans qu'elle soit forcément présente. On peut l'entendre à travers un disque, comme à travers une fenêtre entrouverte. Jonas s'établit en bas de son immeuble, et quand il ne le voit pas il peut l'entendre. Il est donc obsédé par par ce personnage, il n'y a aucun hasard dans toutes ces fonctions établies par Jérôme Bonnell dans Chère Léa.

Chère Léa
Chère Léa ©Diaphana Films

Il y a quoi dans cette lettre pour Léa ? C'était pour vous un pur accessoire ou vous vous êtes prêté vraiment au jeu ?

Je l'ai écrite cette lettre, mais personne ne l'a lue. C'est aussi une demande du réalisateur, j'ai écrit une soixantaine de pages, manuscrites, déjà pour les besoins du décor. J'ai évidemment saisi l'occasion. Quitte à écrire, autant s'amuser ! Je me suis aidé, j'ai lu, j'ai mis des références... Parfois j'ai écrit de la merde aussi, n'importe quoi, parfois j'en avais marre d'écrire ces pages, j'étais en écriture automatique, ou alors je récupérais des phrases de Camus et de Maria Casarès dans leur correspondance. Pour moi cette lettre existe, parce que je l'ai vraiment écrite. Ces pages m'ont beaucoup aidé pour construire Jonas. C'était mon écriture, mes pensées, mes colères à un moment précis. Mais je ne dévoilerai rien, ça appartient à chaque spectateur d'imaginer ce que contiennent les pages écrites par Jonas.

Une séquence que vous retenez en particulier ?

J'en retiens plein ! Mais je suis bouleversé par la scène entre Jonas et son ex-femme. J'ai adoré ce moment, jouer avec Léa cette jolie joute. Et je me suis surpris à aller chercher des choses que je n'avais jamais cherchées auparavant au cinéma. Il faut que j'avoue qu'à un moment du film, un moment de bascule pour le personnage, je me suis abandonné et je me suis fait surprendre par mes sanglots, je ne savais plus où j'étais. Je ne suis pas un acteur "stanislaskvien" , mais je suis tout de même allé chercher en moi, par respect pour le personnage et le film, pour donner le plus de vérité parce que je voulais que ce basculement existe le plus fort possible. Je suis allé chercher des choses dures pour Chère Léa, ce que jusque-là je me refusais à faire parce que ce n'est pas le rôle d'un acteur de se faire du mal. Mais là, je l'ai fait, par dévotion.