How to Talk to Girls at Parties : entretien avec le réalisateur John Cameron Mitchell

How to Talk to Girls at Parties : entretien avec le réalisateur John Cameron Mitchell

A l'occasion de la sortie de "How to Talk to Girls at Parties", nous avons rencontré le cinéaste John Cameron Mitchell. Avec cette histoire d'amour entre une alien et un jeune punk dans l'Angleterre des années 70, le réalisateur n'a aucun mal à exprimer son besoin de liberté et livre une satire sociale détonante.

Comédie romantique retraçant la rencontre entre deux êtres rejetés par leur espèce, How to Talk to Girls at Parties est une œuvre pleine d'énergie qui oscille entre de nombreux genres. Quatrième réalisation de John Cameron Mitchell, le film nous plonge dans l'univers d'Enn, jeune punk qui rêve de se faire une place dans la culture qui le passionne. Un soir, il débarque par hasard dans une fête étrange où il fait la connaissance de Zan. L'extra-terrestre est rapidement fascinée par les habitudes du jeune homme, et réciproquement. Malheureusement, Zan n'a plus que deux jours à passer sur Terre.

Après Hedwig and the Angry Inch, John Cameron Mitchell évoque une nouvelle fois sa passion pour le rock dans ce quatrième long-métrage. Néanmoins, c'est bien évidemment l'histoire d'amour qui éclate toute forme de clivage que l'on retient avant tout du film, notamment parce qu'elle portée par deux jeunes comédiens excellents. Le réalisateur de Shortbus a évoqué avec nous sa passion pour la culture punk, ce qui l'a inspiré pour créer une atmosphère hybride délirante, ou encore ce qui l'a convaincu de travailler avec Elle Fanning et Nicole Kidman.

How to Talk to Girls at Parties n’est pas le premier film dans lequel vous abordez la culture punk. Qu’est-ce qui vous attire dans ce mouvement ?

Eh bien, je pense que le "punk" est plutôt une façon de penser qu’un mouvement. C’est quelque chose de difficile à définir et en vérité, ce ne serait pas très punk de la définir. En ce sens, le terme est proche de "queer", lui aussi difficile à définir mais reconnaissable lorsqu’on le voit.

Ayant grandi en tant que queer et ayant fait mon coming-out dans les années 80, en pleine adolescence, il y avait quelque chose de très punk dans ce combat héroïque contre la négligence et l’oppression, qui conduisaient directement à la mort. Le queercore a fait son apparition à cette époque et Hedwig est née grâce à tout cela, grâce à cette scène. Il y avait notamment un club qui s’appelait le Squeezebox à New York.

Même si je n’ai pas grandi comme un punk et que je n’ai jamais été punk, je m’identifiais à cette idée de remettre en question l’autorité d’une façon irrévérencieuse et parfois surréaliste en utilisant de l’humour, des métaphores et de l’agressivité dans le but de contester. J’ai d’ailleurs fait une blague là-dessus dans Hedwig. Elle crache de l’eau à la figure du public et dit : "C’est un geste de heavy metal, un geste punk aurait consisté à se cracher dessus". C’est la direction de l’agression qui définit le style.

Le mouvement punk a toujours su se moquer de lui-même. Il a bien sûr été corrompu par certaines personnes car n’importe quelle musique agressive peut être corrompue par des connards. Parfois, les queers avaient peur de l’agressivité des punks, car cela leur rappelait les brutes de l’école. Mais je me souviens qu’il y avait un grand pouvoir, qui était très queer, chez des rockstars comme Little Richard, Patti Smith, les Buzzcocks ou encore Jane County, qui sont mes héros. Bowie aussi était très queer, même si je pense qu’il était hétéro. Il est certain qu’il observait le monde par le prisme du genre et avec une ouverture vers l’étranger. D’ailleurs, ce film est très "bowiesque" puisque l’on y croise des punks et des aliens.

Est-ce le décalage entre l’extra-terrestre qui vit dans un monde complètement stérile et l’adolescent punk qui vous a le plus intéressé dans cette histoire ?

Enn et Zan appartiennent tous deux à des tribus extérieures. Ils n’ont pas leur place sur Terre. Le Royaume-Uni a tendance établir des groupes culturels, comme les Skinheads, les Teddy Boys, les Mods, les rockeurs… Après, il y a eu les Nouveaux Romantiques. La sous-culture est une tradition là-bas et les gens y sont très loyaux. Cela vient peut-être de leur Histoire.

Cette dissociation entre différents groupes peut mener à des événements comme le Brexit mais peut également déboucher sur des mouvements constructifs comme le punk, l’unionisme, la liberté d’expression et d’autres courants nés en Grande-Bretagne. La France a trouvé sa propre indépendance avec la Révolution et les communards. Dans un certain sens, la France a donné naissance à une nouvelle forme de démocratie.

Je suis donc extrêmement intéressé par ces groupes et les punks et les aliens, dans le film, sont un peu comme les Montaigu et les Capulet, dans Roméo et Juliette, très éloignés au premier abord mais qui ont en réalité de nombreux points communs et finissent par apprendre les uns des autres. Les aliens sont en quelque sorte des Nord-Coréens dans le contrôle total. Ils sont tous complémentaires et l’individualité n’est pas vraiment la bienvenue chez eux. Ils sont tellement soucieux d’utiliser des ressources naturelles qu’ils ne consomment que leurs propres enfants, ce qui fait qu’ils sont dans une légère impasse.

De l’autre côté, les punks sont plus flamboyants, ils éclatent les idées pré-établies, parfois de manière contradictoire. Ils aiment être les rebelles détestés par la majorité. Et c’est quelque chose que j’ai déjà ressenti. Etant queer, je pensais que ce courant était intrinsèquement intéressant. Aujourd’hui, je suis convaincu que ce n’est pas le cas. Pour le punk, c’est pareil, ce n’est pas intrinsèquement intéressant, c’est ce que l’on fait avec le punk qui devient intéressant.

Dans le film, on a donc besoin d’un punk et d’un alien pour créer le futur, pour créer une nouvelle colonie ouverte, inclusive, anti-Brexit, en faveur du métissage. En ce moment, aux Etats-Unis, il y a une nouvelle sorte de fascisme né de la peur et une vision réactionnaire qui donnent l’impression que le pays est une expérience finie et que tout cela se terminera dans les larmes. C’est important de contester ça, même dans un film fun et pop comme celui-ci.

John Cameron Mitchell : Interview du réalisateur de "How To Talk To Girls At Parties".

Mélanger romance, science-fiction et musique dans un seul film est un exercice qui paraît ardu au premier abord. Comment trouver un équilibre dans une histoire qui oscille entre autant de genres ?

Tous mes films sont difficiles à catégoriser, ce qui fait qu’ils sont difficiles à vendre. Ils ne fonctionnent pas vraiment lors de leur sortie mais finissent par trouver leur public grâce au bouche à oreille, ce qui fait qu’ils ne récoltent pas beaucoup d’argent et rendent parfois les factures difficiles à payer.

Pourtant, la vie n’est pas non plus faite d’un seul genre. On peut y trouver de l’absurde, du comique, du tragique, de la musique, du sexe et toutes ces choses, même en une seule journée. Pourquoi les films devraient donc se limiter à une seule catégorie ?

La société capitaliste et le marketing nous apprennent à catégoriser avant même que l’on croit à la catégorisation, dans le but de vendre un produit. Un enfant n’y connaît rien aux genres. Il connaît seulement ce qu’il aime. On lui apprend à consommer. J’ai grandi dans les années 70, où l’on ressentait moins ce besoin de catégoriser. Je mets donc tout ce qui m’intéresse dans mes films et mes pièces de théâtre, même si cela signifie que je dois alterner entre différents tons. Je peux faire une blague maintenant puis, la seconde d’après, sortir et me mettre à pleurer. Cela fait-il de ma vie une comédie ou un drame ? Je ne sais pas… Certaines personnes peuvent être dérangées par cette multiplicité de tons, en fonction de leurs goûts, et je le comprends. Mais j’aime à la fois les comics, la science-fiction, Shakespeare, Beckett et parfois j’ai envie de tout mélanger. Je peux aussi tout à fait apprécier des films purement dramatiques et des séries ou romans policiers. Mais mes conteurs préférés sont ceux qui mélangent tous les genres.

Était-ce difficile de créer une atmosphère hybride entre le côté pop des extra-terrestres et l’aspect punk ? Aviez-vous peur de la surenchère, ou au contraire de ne pas être suffisamment expressif ?

Le film a une dimension plus drôle, plus folle, plus intense que la vie et c’est ce qui me plaît. Ayant grandi dans les années 70, mes réalisateurs favoris étaient Bob Fosse, Robert Altman, John Cassavetes et Sydney Lumet, qui venaient tous du théâtre. Il y a toujours eu ce sentiment d’intensité dans leur travail. Ce n’est pas Ken Loach ni les frères Dardenne, même si je les adore et que j’adore le néo-réalisme, la Nouvelle Vague… Il faudrait peut-être que je m’essaye à un film de ce genre et l’un de mes films favoris est d’ailleurs Une femme sous influence . Mais je viens du théâtre.

J’essaie donc toujours de trouver un équilibre entre l’intensité et des émotions vraies, comme dans le théâtre musical. Que le spectacle commence de Bob Fosse, qui possède cette intensité, est probablement ma plus grosse influence d’un point de vue esthétique pour How to Talk to Girls at Parties.

De plus, j’ai grandi avec l’humour anglais et j’ai donc un goût prononcé pour l’absurdité. J’adore aussi l’humour juif des Etats-Unis, qui se rapproche d’ailleurs de l’humour queer, puisque c’est aussi une sous-culture d’outsider. Le point commun entre ces deux styles d’humour est qu’il est dans les deux cas facile de faire croire que l’on fait partie de la majorité. Aux Etats-Unis, les outsiders comprennent le sens de la métaphore plus jeunes que la part dominante de la société. L’adversité engendre la métaphore.

À quel moment avez-vous pensé à Elle Fanning pour interpréter Zan ?

Nous nous sommes tournés vers trois comédiennes dont l’âge correspondait à celui de Zan. A l’époque, Elle Fanning n’était pas encore une grande star mais elle était très respectée et travaillait énormément. Toutes les actrices qui nous ont intéressés sont très talentueuses mais Elle possède cette sorte de "luminosité joyeuse". Au départ, je pensais que Zan était un peu plus mystérieuse et froide. Quand j’ai vu Elle dans le film Ginger & Rosa, je me suis dit que c’était Zan. Elle a toujours été géniale, je l’adore depuis qu’elle est enfant. Lorsque je l’ai rencontrée, elle était tellement agréable, elle ne s’est pas du tout comportée comme une star. Elle a lu le script et l’a adoré. Elle est ensuite venue voir Hedwig à Broadway et a adoré. C’est la première qui a rejoint le casting.

Nicole , avec laquelle j’avais déjà travaillé, est ensuite arrivée. Elle était excitée à l’idée de jouer ce rôle qui ne ressemble à aucun autre de sa filmographie. Elle a été immédiatement acceptée.

Il nous a fallu plus de temps pour trouver l’acteur masculin principal. J’ai fait des recherches au Royaume-Uni mais je ne parvenais à trouver quelqu’un qui combine à la fois cette sensibilité, cette intelligence et cet humour. J’ai rencontré Alex Sharp parce que nous avons tous deux été récompensés lors de la cérémonie des Tony Awards de 2015. Il a reçu ce prix pour une pièce qu’il jouait à Broadway et c’était son premier grand rôle. Il n’avait jamais tourné dans un film auparavant.

A propos de Nicole Kidman, avez-vous immédiatement songé à elle pour interpréter la reine des punks ?

Je n’ai pas pensé à elle tout de suite. Malheureusement, en tant qu’acteur, j’ai l’impression qu’on manque d’imagination vis-à-vis des comédiens et qu’on leur attribue des rôles auxquels ils sont habitués. J’ai pensé à Tilda Swinton et elle m’a dit : "Chéri, j’ai fait un million de rôles comme celui-ci". Et elle avait raison. Je lui ai dit que je ne l’aurais pas fait si j’étais elle.

John Cameron Mitchell : Interview du réalisateur de "How To Talk To Girls At Parties".

Puis, je me suis dit : "Mais ! Il y a Nicole !". Elle a tendance à jouer des rôles qui sont un peu plus, euh, disons, moins sales , moins obscènes. Il me semble qu’elle a voulu sortir de sa zone de confort, tenter quelque chose de plus crasseux. Nous n’avions pas beaucoup de temps pour répéter. Elle jouait une pièce à Londres et je suis allé la voir, entre deux passages. Elle m’a dit : "Tu serais formidable dans ce rôle donc pourquoi ne me récites-tu pas les dialogues et je te copierai". C’est comme ça que nous avons travaillé.

Propos recueillis par Kevin Romanet

 

How to Talk to Girls at Parties est actuellement en salles. Ci-dessus la bande-annonce.