Jean-Paul Salomé (La Syndicaliste) : "Le film devait avoir le culot de ne pas être classique"

Jean-Paul Salomé (La Syndicaliste) : "Le film devait avoir le culot de ne pas être classique"

On a rencontré Jean-Paul Salomé, réalisateur de "La Syndicaliste" avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre. Un thriller politique adapté d'une histoire vraie, mais aussi une proposition de chronique contemporaine sur la condition féminine. Un film aux thématiques brûlantes, au sujet duquel le réalisateur a détaillé son intention et son travail avec l'actrice.

La Syndicaliste, scandale d'état et portrait de femme

Après La Daronne, Jean-Paul Salomé retrouve Isabelle Huppert pour La Syndicaliste. Un film qui, en adaptant le livre du même nom de la journaliste Caroline Michel-Aguirre, apporte un éclairage sur un scandale d'État passé sous silence, tout en dressant le portrait de Maureen Kearney, syndicaliste du groupe Areva qui a été agressée en 2012 alors qu'elle tentait de révéler des malversations en cours au plus haut niveau de l'entreprise. La Syndicaliste allie ainsi la puissance d'une enquête exemplaire à la force d'interprétation de son actrice principale, Isabelle Huppert. On a rencontré le réalisateur, qui nous a expliqué son intention, la forme de son film et son travail avec l'actrice.

Rencontre

Il y a à l'origine de La Syndicaliste une histoire vraie méconnue. Votre ambition était donc de la faire connaître ?

Oui, en tant que metteur en scène et cinéaste, je me suis demandé comment me mettre au service de cette histoire pour toucher le plus grand nombre et la faire connaître. Parce que cette histoire, malgré tout ce qui a déjà été dit, est très peu connue du grand public. J’ai ainsi voulu mettre ma sensibilité au service de l’histoire de Maureen Kearney, et restituer les émotions que j’ai eues en lisant le formidable livre-enquête écrit par Caroline Michel-Aguirre. Ce livre est extrêmement riche et dense, avec ses personnages, ses accélérations, ses retournements de situations. C’est déjà un vrai thriller ! J’ai eu envie de me plonger là-dedans, et que le public en perçoive les enjeux : l’injustice, la maltraitance, la remise en cause… C’est ce que, avec Isabelle Huppert, on a voulu partager.

La Syndicaliste
La Syndicaliste ©Le Pacte

C'est un thriller politique, mais aussi un portrait de femme qui va bien au-delà de l'affaire en elle-même. Il y a quelque chose d'universel et de transposable à d'autres situations.

C’est le portrait d’une femme, qui à l’origine devient lanceuse d’alerte. Mais en lisant le livre, je me suis rendu compte que ça allait bien au-delà du portrait classique d’une lanceuse d’alerte.

Le cinéma, la fiction en général, ont déjà donné des portraits de lanceuse d’alerte. Mais là, il y avait une nouvelle dimension, notamment par rapport à la violence qu’on lui a fait subir, et ensuite concernant l’impact que ça a eu sur sa vie, particulièrement sur la remise en cause de sa parole.

Le film devait donc avoir le culot de ne pas être classique, ne pas rester dans les rails d’un film classique sur une lanceuse d’alerte. C’est pourquoi il commence comme un thriller politique et, après le pivot central qu’est l’agression, quand la vie de Maureen Kearney bascule, suit ce chemin de traverse qu’est son parcours intime, comment elle a vécu de l’histoire de l’intérieur, et l’accompagne dans cette vision. En tant que metteur en scène, ce qui m’a intéressé était de négocier ce virage, pour emmener le spectateur vers autre chose.

Vous enchaînez un deuxième film avec Isabelle Huppert. C'était une évidence qu'elle serait "La Syndicaliste" ?

On venait de faire La Daronne, et on voulait tourner ensemble de nouveau. Quand j’ai lu le livre et découvert à quoi ressemblait Maureen Kearney, je me suis dit qu’Isabelle pouvait être physiquement très proche. Je lui ai demandé de lire le livre, et elle a été convaincue par le côté insensé de cette histoire et par le personnage. Elle m’a dit : « Écris le scénario et je le ferai ». On l’a donc écrit avec Fadette Drouard pour elle.

Maureen Kearney (Isabelle Huppert) - La Syndicaliste
Maureen Kearney (Isabelle Huppert) - La Syndicaliste ©Le Pacte

Je savais qu’Isabelle amènerait d’elle-même ce mystère, cette froideur même, mais pas seulement. Je tenais à ce qu’elle transmette aussi une vraie fragilité, une vulnérabilité, ce qu'en tant que spectateur je ne l’avais pas vu faire récemment. Il était intéressant de faire émerger ces deux pôles, pour en quelque sorte créer un courant électrique.

Il y a aussi un casting masculin très performant dans La Syndicaliste, avec leurs regards qui conditionnent la réception de la parole de Maureen Kearney.

Pour ces personnages, je me suis inspiré de ce que j’ai lu, et de ce que je pressentais. Par exemple, j’ai rencontré Maureen et son mari, mais j’ai aussi traduit à l’écran ce qui m’est apparu, intimement, lors de ces échanges. Pour Luc Oursel, j’ai senti la très forte opposition avec Maureen Kearney, mais aussi la forme de respect qu’elle avait pour lui, parce qu’il vivait lui-même une tragédie personnelle. Il a aussi été une victime de cette affaire, ce que ne sont pas les autres hommes. Lui aussi a été broyé.

La Syndicaliste
La Syndicaliste ©Le Pacte

Retenez-vous de ce tournage des séquences particulières ?

Le sujet est assez fort, il y a donc beaucoup de scènes qui ont été particulières à tourner. Je pense aux scènes de procès par exemple, sérieuses et denses. Surtout la première, où elle est accusée. C’est à ce moment qu’on doit mettre en scène et faire ressentir cette fragilité. Et puis il y a les scènes où elle doit répondre aux convocations du médecin de l’unité médico-légale. Quand on lui demande de se remettre en situation de l’agression. Il y a un effet de sidération, et c’est ce qui est complexe à transmettre en termes de mise en scène. Mais grâce à une actrice comme Isabelle Huppert, ce n’est pas si compliqué ! Quand on est sur le plateau, grâce à sa présence, les choses se font d’elles-mêmes et tout passe à l’image.