Karim Leklou (Pour la France) : "Ce film casse 25 ans de clichés"

Il porte avec brio l'histoire vraie et personnelle de Rachid Hami dans "Pour la France". À 40 ans, l'acteur Karim Leklou s'est imposé comme un des acteurs les plus doués et charismatiques de sa génération. Nous l'avons rencontré pour parler de ce très beau film, drame fraternel que la richesse des nuances apportées par le metteur en scène sublime en une fable universelle.

Karim Leklou en pleine lumière

Karim Leklou est aujourd'hui une présence très recherchée par les cinéastes français, un acteur dont le physique et le charisme font des merveilles. Depuis Le Monde est à toi de Romain Gavras, il enchaîne à un rythme soutenu les performances remarquées, notamment dans des premiers ou seconds longs-métrages. C'était le cas dans La Troisième guerre de Giovanni Aloi, et ça l'est encore dans Pour la France de Rachid Hami, récit adapté de son histoire personnelle. Dans ce très beau drame, développé en trois lieux et trois temps différents, il incarne le frère aîné d'une famille endeuillé par la mort accidentelle de son petit frère lors d'un "bahutage" à Saint-Cyr. Une histoire vraie qui avait fait les gros titres en 2012.

Ismaël (Karim Leklou) - Pour la France
Ismaël (Karim Leklou) - Pour la France ©Memento Distribution

Brillant dans ce développement d'un personnage complexe, Karim Leklou a répondu à nos questions, alors que Pour la France est au cinéma depuis le 8 février 2023.

Rencontre

Comment définiriez-vous Pour la France, qui va bien plus loin que le simple drame familial ?

Karim Leklou : C’est un film qui surprend, c’est la beauté de ce scénario. C’est une odyssée familiale, sur trois continents, en France en Algérie et à Taïwan. On y suit le destin de deux frères, à trois époque différentes. Un destin marqué par le décès d’un des deux frères, lors d’un « bahutage », un exercice militaire qui n’a pas été encadré comme il aurait dû l’être. C’est tiré d’un fait réel, mais Rachid Hami ne va pas tant sur le terrain de la sphère privée. Il emmène le récit dans quelque chose de plus grand. Ce qui m’a saisi immédiatement dans ce projet, c’est donc son ampleur, son passage de l’intime à l’universel. J’ai été ému par le destin de ces frères, et ce que j’y ai trouvé d’universel m’a marqué.

Pour la France
Pour la France ©Memento Distribution

C’est un film extrêmement nuancé, qui n’est pas antimilitariste ou à charge envers une institution. Comme partout il y a des gens bien, et d’autres avec une morale douteuse. Le fait que ce soit l’histoire personnelle de Rachid Hami mais qu’il en tire autant de nuances, c’est très beau. Voir ces personnages de banlieue évoluer à Taipei, découvrir Aïssa et Nadia, ça s’inscrit dans la réalité et la nuance, et c’est courageux de faire des films comme ça. Pour la France casse 25 ans de clichés.

Comment a été le travail avec Shaïn Boumedine, qui incarne votre frère ?

Karim Leklou : Le travail avec Shaïn était merveilleux. C’est un acteur incroyable, d’une grande maturité. Sa finesse, sa délicatesse, son investissement sont exceptionnels. On a commencé à tourner les séquences autour du deuil, donc une partie où il n’est plus là. On se disait à peine bonjour sur le plateau, on ne se parlait pas, volontairement, pour garder la découverte des enjeux et des sensations des séquences à Taïwan. Lorsqu’ils s’y retrouvent, il y a un malaise, parce qu’ils ne se sont pas vus depuis longtemps. Cette distance imposée entre nous a permis de jouer ça.

Shaïn n’est pas un acteur qui joue seul, il donne tout à son partenaire, même hors champ. C’est quelqu’un d’extraordinairement généreux, je souhaite à toutes les actrices et acteurs, réalisatrices et réalisateurs, de travailler avec lui. C’est une belle personne. Parfois vous pouvez rencontrer un grand acteur et être déçu sur le plan humain. Shaïn, en plus d’être un acteur génial, est un être humain fantastique.

Aïssa (Shaïn Boumedine) - Pour la France
Aïssa (Shaïn Boumedine) - Pour la France ©Memento Distribution

La scène la plus difficile, mais drôle aussi, a été celle de la bagarre. C’est un plan-séquence, dans lequel on doit d’abord donner des éléments de dialogue très importants, et ensuite se bagarrer. Pour l’anecdote, on a tous les deux le même agent artistique. Je lui avais donc demandé quel sport pratiquait Shaïn, il m’avait répondu « du ski ». Du coup j’étais assez confiant avant de faire cette scène… Mais j’ai découvert qu’il avait fait de la boxe aussi, et que ce garçon était très vif ! Ça a été une scène physiquement exigeante, on a cherché la limite pour trouver l’intensité. C’était une scène difficile à accomplir.

Mais Je retiens aussi la collaboration avec Lubna Azabal qui incarne la mère, Nadia. C'est une actrice bouleversante, qui apporte une telle force et une telle dignité à son personnage... C’est un portrait de femme encore rarement vu au cinéma, et tourner avec elle a été un régal. Et puis Lyes Salem, Slimane Dazi, Alicia Hava, Laurent Capelluto… C’était formidable.

Pour la France, c'est aussi un film avec traitement intelligent et moderne du rapport entre l'identité et la nation.

Karim Leklou : Le thème de l’intégration est abordé avec modernité. Il y a Aïssa qui veut rendre quelque chose à la France, mais Ismaël lui ne se pose pas la question. C’est naturel pour l’un de s’engager dans l’armée, c’est naturel pour l’autre de ne pas se poser les mêmes questions. J’apprécie justement que ce ne soit pas une question, un débat, qu’on sorte des thématiques basiques des origines, de l’intégration, pour avoir enfin un récit moderne. Ismaël et Aïssa sont français, c’est tout. En réalité, ils auraient pu s’appeler Benoît, Pierre, c’est exactement la même chose.

Les origines ne sont plus un sujet, mais simplement un élément de décor, et j’aime vraiment cette modernité. Il faut avancer, au bout d’un moment il faut s’en foutre des origines d’untel ou d’untel, les origines ne définissent pas les actes.

Pour la France offre une séquence de taxi-karaoké mémorable. Comment l'avez-vous vécue ?

Karim Leklou : Cette séquence a été exceptionnelle à faire, et même à un moment cauchemardesque ! Le taxi s’est transformé en Christine, on était en plein Stephen King. Il s’arrêtait, la boule à facettes ne tournait plus ; on l’a tournée trois fois, deux fois on a été battus par la lumière du jour, on a failli mourir… C’était une séquence vraiment « possédée », on était très contents d’enfin réussir à la faire. « Pour ceux » est un morceau légendaire, qui n’a pas beaucoup été utilisé dans le cinéma, alors qu’il est très important et significatif. Aussi, par le chant, il s’agissait de marquer la réconciliation familiale, et ça donne une belle émotion. Et cette séquence finale fait écho à celle d’ouverture, avec le chant « Commandos d’Afrique ». Rachid Hami est un metteur en scène qui ne laisse rien au hasard.

Le film a récemment été présenté au Festival Premiers Plans d'Angers 2023, comment était-ce ?

Karim Leklou : C’est un super festival, les salles sont pleines. Le débat qu’on a eu autour du film était intelligent, et aussi marrant. J’ai adoré la présentation de Pour la France là-bas. J’ai un rapport particulier à ce festival, parce que j’y étais en 2013 pour le moyen-métrage de Marie Monge, Marseille la nuit (Karim Leklou a été récompensé du Prix d’interprétation masculine, ndlr). Je crois que je dois beaucoup à Marie, c’était mon premier rôle important, et ça m’a permis d’avoir ensuite des rôles dans des longs-métrages, et donc d’être aussi devant vous aujourd’hui.