Ladj Ly (Bâtiment 5) : "l'idée est de raconter ces quartiers, et ce que j'ai pu y vivre"

Ladj Ly (Bâtiment 5) : "l'idée est de raconter ces quartiers, et ce que j'ai pu y vivre"

Après son grand succès "Les Misérables", Ladj Ly poursuit sa trilogie avec "Bâtiment 5", où il aborde avec une écriture ambitieuse le thème du mal-logement. On l'a rencontré, avec son acteur Alexis Manenti, pour qu'ils nous racontent la fabrication de ce nouveau film.

Bâtiment 5, Ladj Ly poursuit son oeuvre

Plus à Montfermeil mais quand même un peu, plus de violences policières mais une autre autorité dont les abus menacent aussi... Et encore, toujours, ces escaliers dans lesquels Ladj Ly aime poser ses caméras, montrer l'étroitesse et la difficulté d'une ascension - ou d'une descente -, se serrer aux gens et les montrer à l'effort, dans leur vie authentique. Et quoi de mieux qu'une cage d'escalier pour montrer la vérité nue ? C'est dans des escaliers que se terminait Les Misérables, et c'est dans des escaliers que commence Bâtiment 5. Cette fois-ci, il n'est plus question de rentrer quelque part, mais d'en sortir, de gré ou de force.

C'est ainsi l'histoire de Bâtiment 5, celle d'un adjoint au maire promu maire du jour au lendemain et engagé dans un plan de réaménagement qui implique la destruction d'une tour de logements, et celle d'Haby, une jeune habitante du quartier investie dans sa sauvegarde, militante et très impliquée dans la vie associative de sa ville. Une autre histoire que celle de son grand succès Les Misérables, mais une même intensité et un même regard perçant et visuellement saisissant des réalités sociales dont Ladj Ly s'est fait un observateur important et précieux.

On l'a rencontré, avec son acteur Alexis Manenti, passé de chef très nerveux d'un groupe de la BAC à un jeune maire de droite grisé par le pouvoir, pour entrer dans les détails de la fabrication de leur nouveau film.

Les Misérables a été un très grand succès. Comment ce succès a-t-il conditionné Bâtiment 5, dans la mesure où on a l'impression qu'il y a à la fois plus de moyens et moins de "spectacle", mais toujours la même intensité ?

Ladj Ly : Ça reste dans la veine Kourtrajmé, mais évidemment on a eu plus de moyens que pour Les Misérables, qu’on avait fait avec un tout petit budget. Disons que, là, on a eu un budget « normal » pour faire un film de ce calibre. Il y a de l’énergie, du monde, on a quatre personnages, des décors… En termes aussi de matériel, de caméras, de ce qu'on pouvait techniquement faire, c’était un plaisir d’avoir ces moyens pour s’exprimer.

Mais à la différence des Misérables, qui avait cet aspect « film coup de poing », caméra à l’épaule, ici le sujet que je voulais traiter, le mal-logement, impliquait d’être plus posé, avec une matière plus politique, et c’était un challenge pour moi de mettre néanmoins le paquet sur la mise en scène. On a pris le temps de le faire, et avec mon chef-op on s’est vraiment pris la tête pour être à la hauteur, parce qu’on savait qu’après un succès tel que Les Misérables on était attendus. Il fallait assurer.

Comme pour Les Misérables, l'enjeu de Bâtiment 5 est de mettre à jour une situation collective que vous avez personnellement vécu ?

Ladj Ly : Oui, l'’idée de ce récit est de raconter ces quartiers, ce que j’ai pu y vivre. En écrivant Les Misérables on s’était rendu compte que les sujets sont nombreux, très denses, et que ce serait difficile de tout raconter dans un seul film. À partir de là, on s’est dit qu’on allait en faire une trilogie, avec dès Les Misérables l’idée de passer ensuite au mal-logement.

Le sujet du mal-logement me tenait à coeur parce que je l’ai vécu personnellement, j’ai grandi dans ce « Bâtiment 5 », j’ai été relogé, et ce sujet qui m’est personnel concerne aussi énormément de personnes en France, ainsi qu’à l’étranger. On se rend compte que ces problématiques existent dans toutes les grandes villes du monde.

Pierre Forges (Alexis Manenti) - Bâtiment 5
Pierre Forges (Alexis Manenti) - Bâtiment 5 ©Le Pacte

Alexis Manenti, vous tenez un des deux rôles principaux, celui du maire de cette ville de banlieue. Un personnage très différent de celui que vous incarniez dans Les Misérables. Comment l'avez-vous composé ?

Alexis Manenti : On a beaucoup travaillé en amont avec Ladj, et j’ai fait des essais. On a beaucoup travaillé sur son langage, sa manière de parler. Comme on avait fait ce personnage de Chris dans Les Misérables, un personnage important, on voulait surtout ne pas refaire la même chose.

C’est difficile quand on a un certain phrasé, une voix, un physique, de se transformer en un nouveau personnage et que les gens y croient.

Pour le personnage de Pierre, on s’est inspirés de plusieurs personnalités physiques différentes. Moi je voulais partir sur quelque chose de moderne, quelque chose d’ostentatoire et d’un peu agressif mais Ladj m’a ramené à l’opposé : un personnage discret, assez lâche, peureux, quelqu’un de banal avec une vie normale. Jusqu’à ce qu’il accède au pouvoir et devienne quelqu’un d’autre. La trajectoire est très intéressante.

Est-ce qu'on peut s'attacher à un personnage comme celui-ci ?

Alexis Manenti : S'attacher je ne sais pas, mais j’ai pris du plaisir à le jouer. Il est complexe. On voit dans sa vie privée qu’il est différent, et on comprend comment on peut être happé par le monde politique quand on n’en est pas issu, comment ça devient grisant, comment il faut composer entre les attentes d’un parti politique et les citoyens, la situation politique locale. On a coupé certaines choses au montage, parce que c’est le jeu, mais c'est un personnage très complexe et j’ai aimé le jouer comme ça.

Pierre Forges (Alexis Manenti) - Bâtiment 5
Pierre Forges (Alexis Manenti) - Bâtiment 5 ©Le Pacte

L'écriture de Bâtiment 5 est très ambitieuse, avec plusieurs personnages dont les trajectoires opposées se répondent avec une certaine symétrie. Il y a la trajectoire de Roger (Steve Tientcheu) et celle de Blaz (Aristote Luyindula), celle de Pierre et celle d'Haby (Anta Diaw)...

Ladj Ly : Ce n'est pas évident d’écrire un film avec cette dimension chorale, où on passe d’un personnage à l’autre. Il faut trouver le bon équilibre. Pour que le propos soit vrai, il faut que tous ces personnages soient forts, développés. L’écriture a demandé beaucoup de travail, pour que l’histoire soit racontée à travers tous ces personnages, sans perdre le fil et sans s’ennuyer. C’est un vrai pari qu’on s’est lancés avec mon co-scénariste, et je crois qu’on est assez contents du résultat.

Bâtiment 5
Bâtiment 5 ©Le Pacte

Pour le personnage d’Haby, il me semblait important d’avoir ce personnage féminin, noir, militant, qu’on voit rarement au cinéma. Son rôle est très important dans son quartier, elle se bat au quotidien, elle gère des associations, et c’est un personnage d’espoir qui va un jour arriver au pouvoir.

Sur ce sujet de l'accession au pouvoir, sa trajectoire est à l’opposé de celle du personnage d’Alexis Manenti.

Est-ce que, chacun, vous retenez un moment particulier du tournage, une séquence qui vous a marqué ?

Ladj Ly : Je dirais la scène d’évacuation, parce qu’il y avait plus de 200 figurants, et on avait une tour entière à disposition pour la mettre en scène. Et tourner dans des escaliers, c’est toujours complexe, on est à l’étroit, il y a du monde. On a pu y faire un véritable incendie, parce que cette tour était sur le point d’être détruite, et on a eu trois semaines pour rentrer toutes ces séquences, avec toute cette figuration. C’est une scène que j’apprécie beaucoup.

Alexis Manenti : Je retiens la scène de fin, qui était très costaude à faire. On a terminé le tournage par la séquence finale du film, de nuit, il faisait -4°C et on était tous dehors. C’était la fin du film et la performance d’Aristote Luyindula a été assez incroyable. On l’a refaite plusieurs fois, on a cherché ensemble, et ça a été une scène très marquante pour moi.