Le Bureau des Légendes : Eric Rochant parle de la saison 4

Le Bureau des Légendes : Eric Rochant parle de la saison 4

"Le Bureau des légendes" entame sa quatrième saison le 22 octobre sur Canal +. Dix épisodes qui signent un bouleversement dans le quotidien des agents de la DGSE, car sur le terrain et dans les bureaux l'ennemi change de visage et les enjeux se font plus complexes. Complètement de son temps, faisant siennes les problématiques actuelles de cyberguerre et d'ingérence des services russes, "Le Bureau des légendes" est un bijou d'écriture et d'imagination, où la paranoïa confond à merveille réalité et fiction. Nous avons rencontré son créateur et showrunner Eric Rochant.

Le rendez-vous avait été donné à l'espace Oscar Niemeyer, siège du Parti communiste français, dans le 19ème arrondissement de Paris. Un clin d’œil évident à la thématique russe de la quatrième saison de la série Le Bureau des légendes, sans doute la meilleure production française actuelle, et création déjà culte. Dans un mobilier qui semble n'avoir pas été changé depuis la Guerre froide, le créateur et scénariste de la série, Eric Rochant, a répondu à beaucoup de questions, tout en laissant, à la manière de ses personnages, des zones d'ombre et des secrets...

 

Comment avez-vous conçu cette saison ?

C’est pendant le tournage d’une saison qu’on réfléchit et commence à écrire la suivante. On ne s’arrête pas et on est obligé de prendre du recul sur ce que l’on tourne. Comme on veut faire une saison par année, cela induit un processus créatif particulier. Avec Camille de Castelnau (co-scénariste, ndlr), on se demande ainsi très tôt quelle va être l’histoire suivante, où en seront les personnages, quels seront les processus dramatiques, etc. Et puis pour les personnages, on hérite de ce qui est déjà fait. Quand Malotru est fait prisonnier par Daesh, naturellement, la saison suivante va en traiter. Pour Marina, on se demande ainsi ce qu’on va faire, si on va l’envoyer de nouveau sur le terrain.

Cela faisait un petit bout de temps qu’on voulait qu’un personnage de la sécurité interne intervienne. On a eu l’idée de ce personnage joué par Mathieu Amalric, qui va en quelque sorte siffler la fin de la récréation. C’est le premier « méchant » interne, dans le sens où il va faire du mal aux personnages qu’on aime. On a voulu confronter nos personnages à ce qu’on leur a fait faire.

Le Bureau des légendes - s04

Le Bureau des légendes est une série réaliste, vous explorez donc les thèmes les plus chauds ?

Une fois qu’on a posé l’idée du conflit interne, on s’est demandé quels thèmes géopolitiques on allait pouvoir exploiter. On a donc pris le thème des revenants (le retour en France des soldats de Daesh, ndlr), un sujet d’actualité et en lien avec la saison précédente. Mais surtout, on cherche les lames de fond, des questions qui ne sont pas ponctuelles mais durent dans le temps. Donc la Russie, qui revient sur la scène internationale depuis deux ans et qui reprend la main, nous a semblé un sujet très pertinent. Très important aussi, s’attaquer à la cyberguerre. On entend souvent lors d’une attaque informatique d’ampleur que c’est le FSB aux commandes. Je me suis donc demandé ce que cela pouvait signifier concrètement, comment cela fonctionne.

Le principe de la série est de décrire un milieu, et on ne peut le décrire que dans ses crises, qui révèlent ses lignes de fracture. Depuis trois ans, on raconte cet énorme dysfonctionnement qu’est le destin de Malotru. Dans n’importe quel milieu, on ferait l’audit d’une telle crise. C’est pourquoi cette saison est aussi comme un premier bilan des trois précédentes.

 

On découvre dans cette saison un peu des coulisses des services de renseignements russes. Quelles sont vos sources ?

On a des taupes (rires). Si Canal + se fait pirater ou inquiéter pendant la diffusion, c’est qu’on aura vu juste ! Pour la véracité de certaines situations, on les a sur Internet. C’est incroyable à quel point quasiment tout est sur Internet. Même les agents de la DGSE sont étonnés de ce qu’on peut y trouver.

 

Cette saison met l’accent sur les personnages féminins, dans un milieu encore très masculin.

Les personnages féminins nous intéressent au moins autant, si ce n’est plus, que les personnages masculins. Après, s’il y a plus de personnages féminins dans cette saison, cela relève un peu plus du fantasme que de la réalité, car le milieu décrit est encore très masculin. En mettre plus serait tricher. Cependant, leur présence permet d’apporter plus de contrastes. Je pense que cette idée de crise permanente, de conflit interne majeur, est plus flagrante sur des personnages féminins. C’est un milieu où on parle beaucoup de guerres. Il y a évidemment des hommes, des soldats et des caractères virils. Mais ce sont des thèmes qui sont encore plus intéressants avec des personnages féminins. Par exemple, Marie-Jeanne et Marina sont toutes deux radicalement engagées corps et âme dans leur mission. C’est quelque chose qu’on voit généralement, souvent, dans des incarnations masculines.

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Il y a beaucoup de changements, des intrigues secondaires et certains personnages gagnent en importance. Avez-vous la crainte de désarçonner le public, ou d’affaiblir le suspense ?

Je ne peux pas me mettre à la place des spectateurs, qui jugeront de ce suspense. On avait l’idée, disons plus charnelle, moins mécanique, de raconter des choses qui nous avaient touchées. On parle ainsi de Mossoul, de femmes combattantes Yezidies, de la prise de Rakka. Ces éléments nous ont semblé importants, et permettent de rester dans la réalité de la dernière saison. Aussi, on voulait développer la confrontation d’un analyste comme Jonas à la guerre, au terrain et à ses ruines. C’est enfin une porte sur la vision du terrorisme de la DGSE, avec du renseignement très en amont pour prévenir les attaques sur le territoire français.

 

Le Bureau des légendes, avec cette nouvelle saison, a-t-elle gagné en complexité ?

La complexité de cette saison vient peut-être du côté russe. Ils ont la réputation d’être très retors dans le monde du renseignement ! Avec l’aspect cyber, l’IA, on entre aussi dans un monde qui nous échappe de plus en plus, car c’est de moins en moins physique, charnel, visible. Tout va se jouer là. Tout ce qu’on vit aujourd’hui, et j’irai même jusqu’aux populismes, ce sont des réactions d’angoisse, de rage, à un monde devenu opaque, et dont on a perdu la maîtrise. Le Bureau des légendes s’appuie sur la réalité d’aujourd’hui, et toutes ses dimensions obscures, mensongères, invisibles. A l’image de la réalité, sans doute que la série gagne en complexité.

Le Bureau des légendes - s04

Comment définiriez-vous votre lien avec la DGSE ? Savez-vous ce qu’ils en pensent au boulevard Mortier ?

On écrit sur la DGSE depuis 4 ans, et le faire contre la DGSE, serait quelque chose de négatif. Cela implique d’avoir une certaine tendresse pour les personnages et les gens qui y travaillent. On filme leur engagement, dans les bureaux comme sur le terrain, et on ne peut pas réussir s’il n’y a pas d’empathie à l’égard de leurs sacrifices. Une bonne histoire implique quand même qu’on aime ses personnages.

Comme on travaille sur le sujet depuis longtemps, il y a avec eux un respect mutuel. Ils aiment bien la série. Bien sûr, les services secrets restent secrets, mais on rencontre parfois des gens qui y travaillent, ne serait-ce que lors des projections. Et certains nous ont dit être touchés par Le Bureau des légendes. Ils sont touchés, parce qu’ils ne peuvent rien dire à leurs proches, donc ils ne parlent jamais de leur travail, à personne. Le réalisme de la série permet à leurs proches de voir, à peu près, à quoi ça peut ressembler. Pour nous, il faut donc avoir du bon sens pour être réaliste sur le principe, et ne pas trop fantasmer. Ces agents et analystes sont assez sensibles au fait qu’on ne fantasme pas sur leur métier, qu’on ne l’idéalise pas, qu’on ne le juge pas.

 

Comment voyez-vous le futur de la série ?

Chaque saison, en termes de création, est pire que la précédente (rires) ! C’est une torture absolue. J’ai toujours dit qu’une saison réussie comporte au moins trois saisons. S’en tenir à trois, c’est un peu frustrant, généralement une série qui s’en contente a été arrêtée. En réalité, la question est différente selon le moment où on la pose. Tout de suite, à ce moment précis, je ne sais pas si j’ai envie de faire une cinquième saison. On remise tout à chaque fois, et c’est quelque chose qu’on ne fait pas au cinéma. Après un film, on passe à autre chose, on ne se dit pas qu’on va le refaire. Donc tout remiser, tout parier encore, c’est très pénible. Se pose la question de notre capacité, de notre imagination, de notre propre force créative. On ne veut surtout pas se retrouver prisonniers d’une routine, car ce serait alors un enfer.

Propos recueillis par Marc-Aurèle

Le Bureau des légendes saison 4, à partir du 22 octobre 2018 sur Canal+. Ci-dessous la bande-annonce :