Louise Bourgoin (Anti-Squat) : "On dirait un futur proche, mais ça se passe aujourd’hui"

Louise Bourgoin (Anti-Squat) : "On dirait un futur proche, mais ça se passe aujourd’hui"

Dans le thriller social de Nicolas Silhol "Anti-Squat", Louise Bourgoin incarne Inès, une mère célibataire menacée d'expulsion de son appartement et qui "manage" des logements précaires. On l'a rencontrée pour détailler ce personnage complexe et cette réalité glaçante.

Le film d'une réalité

Porté par Louise Bourgoin, Anti-Squat de Nicolas Silhol (Corporate) peut être classé dans ce genre de cinéma qui s'attache à des personnages en désespoir économique. Un thriller social, où l'actrice incarne Inès, mère célibataire toute proche de se retrouver à la rue, et qui trouve in extremis un boulot de "residents manager". Sa mission ? Loger et gérer des personnes précaires dans des bureaux désertés, en attendant que ceux-là soient vendus ou réaménagés.

Ce qui pourrait être perçu comme un dispositif d'aide au logement apparaît en réalité vite comme un système destiné à éviter les squats dans les bureaux, et qui pour ce faire impose des règles abusives aux résidents.

Anti-Squat
Anti-Squat ©Diaphana Distribution

On a rencontré l'actrice, attirée par l'incarnation femme broyée par ce système cynique et ultra-capitaliste qui n'épargne personne.

Le carton d'introduction d'Anti-squat énonce un dispositif légal méconnu. Vous en aviez entendu parler au moment de tourner le film ?

Louise Bourgoin : Je l'ignorais. Lorsqu’on a tourné il y a deux ans, la loi Elan avait déjà permis à ce dispositif d’exister à titre expérimental en 2018, et la loi est passée en juin dernier. Ça décrit très bien le monde du travail tel qu’il est aujourd’hui, ça m’a fait penser au cinéma de Ken Loach, avec Sorry we missed you, un monde professionnel très ubérisé. À la lecture du scénario, je voulais voir des images de ce monde un peu dystopique, des gens qui résident dans des bureaux vides, en dehors des règles du droit commun. On dirait un futur proche, mais ça se passe aujourd’hui.

Votre personnage, Inès, fait face à un dilemme dans ce monde. C'est son ambivalence qui vous a attirée ?

Louise Bourgoin : Je voulais jouer ce personnage, cette femme qui doit manager les résidents mais qui porte un masque pour les faire adhérer à des règles complètement abusives. C’est une exploitation de la précarité.

Mère célibataire, elle devient précaire du jour au lendemain, menacée d’expulsion par son propriétaire, et doit sauver sa peau et celle de son fils. C’est intéressant à quel point elle est tiraillée entre l’empathie qu’elle a pour les résidents, et le sale boulot qu’elle est prête à faire.

J’ai autour de moi de nombreuses copines qui se sentent vulnérables à cet endroit-là, sur la question du logement. C’est un problème qui concerne énormément de gens. Il y a 4 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, plus de 200 000 SDF, et des millions de m2 de bureaux inoccupés. Inès voit d’abord dans le dispositif quelque chose d’humaniste, avant de très vite se rendre compte qu’il y a des choses qui ne passent pas.

La complexité d'Inès est soulignée par sa relation avec son fils, qui lui rappelle certaines valeurs.

Louise Bourgoin : C’est sa conscience morale, il porte une forme d’utopie sans concession, celle qu’on a quand on est jeune. Mais elle, adulte, doit faire ces concessions pour le sauver. On n’avait pas peur que mon personnage soit froid, antipathique, parce qu’on peut comprendre qu’elle n’a pas le choix. Le film n’est pas à charge, ce n’est pas une personne contre une autre. C’est ce que montre aussi le personnage d’Antoine Gouy, même lui est en mode "sauve qui peut". C’est une servitude volontaire, parce que la précarité pousse à accepter des choses qu’on ne devrait pas accepter.

Certains échanges entre les personnages sont saisissants de naturel. Tout était scripté ou est-ce qu'il y avait une liberté sur le plateau ?

Louise Bourgoin : Tout était écrit comme on le voit. Mais Nicolas Silhol aime les choses naturalistes, et on a joué avec des acteurs non-professionnels. Ça donne des petits accidents, des ajustements sur les marques, des lignes à reprendre, donc il y a du naturel. Mais j’aime ces accidents qui m’aident à sortir de mon autoroute d’actrice professionnelle.