Michel Blanc (Les Petites victoires) : "Il faut se dire : j'ai peur de ne pas y arriver"

Michel Blanc (Les Petites victoires) : "Il faut se dire : j'ai peur de ne pas y arriver"

Pour son deuxième long-métrage, "Les Petites victoires", Mélanie Auffret dirige Michel Blanc dans un film qui traite avec perspicacité et émotion des thèmes de la désertification rurale et de l'illettrisme. On a rencontré l'acteur et la réalisatrice de cette très jolie comédie populaire.

Les Petites victoires, la belle performance de Mélanie Auffret

Après RoxaneMélanie Auffret est de retour au cinéma avec son deuxième long-métrage, la comédie populaire Les Petites victoires. Une comédie touchante qui aborde des thèmes complexes avec la distance idéale pour y réfléchir, en rire, s'en émouvoir, avec toujours une justesse précieuse. On a rencontré la réalisatrice, accompagnée de son acteur principal Michel Blanc, qui livre dans ce film le portrait d'un homme aussi drôle qu'émouvant.

Rencontre

Mélanie, comment avez-vous imaginé l'histoire de votre film Les Petites victoires ?

Mélanie Auffret : Faire un premier film est difficile, mais le deuxième je crois l’est encore plus. Il faut trouver la bonne histoire, les bons sujets, c’est 3-4 ans de votre vie. Je voulais parler pour ce film de la désertification, et je suis tombée sur un article au sujet d'un maire d’un petit village dont l’école allait fermer faute d’effectifs. Il manquait cinq élèves, et le jour de la rentrée ces cinq élèves étaient là, et c’était des moutons ! Je me suis dit, plutôt que des moutons, si c’était des personnes qui revenaient pour apprendre à lire et à écrire ?

De ce petit pitch, j’ai ressorti deux thèmes : les maires de petits villages et l’illettrisme. À partir de là comme la partie que j’adore, c’est partir à la rencontre de l’histoire et des personnages. J’ai passé du temps avec une vingtaine d’élus, un peu partout en France. Je ne voulais pas m’arrêter à la Bretagne, je voulais une histoire universelle à nos campagnes, qu’elle ne soit pas que régionale.

J’ai vite compris qu’être maire d’un petit village c’est beaucoup plus qu’une fonction, c’est un dévouement. On est tout à la fois, technicien de voirie, d’EDF, psychologue… Je voulais mettre ces héros du quotidien en lumière. Ensuite, il y a eu l’illettrisme, j’ignorais que c’était autant une réalité en France, avec près de 7% de la population qui en souffre. J’ai pris contact avec des associations, j’ai rencontré beaucoup d’"Émile" qui sont retournés apprendre à l’âge adulte.

Ce sont des personnes incroyables, dotées d’une intelligence folle, parce qu’ils veulent rester invisibles et mettent donc en place toute une stratégie pour laisser ce handicap dans l’ombre. Il y a ainsi des gens qui ont une formidable mémoire photographique, qui ont ce « périmètre ». Ils ont un complice, un partenaire de vie, et quand ce partenaire disparaît, c’est très compliqué pour eux, ils perdent vraiment leur moitié.

Ce deuil concerne le personnage de Michel Blanc, Émile, mais aussi celui de Julia Piaton, Alice, qui incarne la maire.

Mélanie Auffret : Pour Alice, le deuil est aussi présent, on sent qu’elle fait tout ça dans l’ombre de son père. C’est vraiment en ayant cette connaissance des personnages qu’on a réussi à construire ce film, avec mon co-scénariste Michaël Souhaité. Il y a eu un important travail de terrain pour éviter la caricature, le cliché.

On a construit Les Petites victoires sur la rencontre entre Alice et Émile, pour faire ce duo avec un enjeu humain important, à la manière d’Intouchables. Et autour de ce duo, tous les personnages qui gravitent autour. Que ce soit les enfants, les habitants du village, le village lui-même, tout va évoluer au contact de ce duo.

Les Petites victoires
Les Petites victoires ©Zinc Films

Michel, comment avez-vous rejoint Mélanie pour Les Petites victoires ?

Michel Blanc : La première condition, c’est qu’on ait envie de jouer le personnage. On regarde sa nature, il faut à la fois le trouver fort et se dire "j’ai peur de ne pas y arriver". Si on se dit ça, c’est bon signe parce ça veut dire qu’on ne l’a pas déjà fait et qu’il y a un enjeu. On va alors être beaucoup plus exigeant. Ensuite on analyse l’ensemble du scénario, ce que ça raconte.

On peut avoir un très beau personnage dans un film qui ne tient pas debout et dans ce cas-là... Mais Les Petites victoires cochaient ces deux cases, le personnage et le scénario.

Ce que je trouve formidable pour les personnages, c’est cette notion de "périmètre". Ça décrit une réalité physique pour mon personnage. J’ai des repères, pas besoin de lire les panneaux, savoir qu’on tourne après la maison aux volets bleus, puis ensuite il y a le poteau, etc.

Concernant Alice, elle a son "périmètre" aussi, celui du souvenir de son père, celui de la nécessité de rester dans le village, de rester à l’école pour les petits. Tous les deux sont prisonniers de leur propre périmètre, et c’est une assez belle idée. Ce sont deux prisonniers qui vont se libérer l’un l’autre, chacun va briser les chaînes de l’autre. Ça m'a beaucoup plu.

Mélanie Auffret : On sent qu’Émile est prisonnier de son périmètre, alors qu’Alice s’impose le sien.

Michel Blanc : C’est toi qui as écrit Les Petites victoires, donc c’est toi qui as raison ! Mais je pense que ce n’est pas seulement qu’elle s’enferme elle-même, elle a mis le doigt dans un engrenage dont, au bout du compte, elle ne peut pas se sortir seule.

Votre personnage est d'autant plus touchant qu'il n'est pas une victime, ce n'est pas un portrait misérabiliste.

Michel Blanc : C’est à partir du moment où Émile avoue que sa honte disparaît. Quand il hurle la vérité derrière la porte, c’est une vie de chaînes qui tombe. Avant il y a de la honte. Il n’a pas été foutu de faire comprendre à cette femme qu’il était amoureux d’elle, il y a des choses qu'il n'a pas réussies. Il n’y a pas de misérabilisme, mais avant ça il y a de la misère. Et il est suffisamment chiant et bougon pour ne pas passer pour une victime !

Les Petites victoires
Les Petites victoires ©Zinc Films

Mélanie, comment était-ce de collaborer avec Michel ?

Mélanie Auffret : C’était un rêve pour moi, je ne pensais pas que ça allait se réaliser. J’ai grandi avec Michel. Il m’a fait rire, pleurer, je connais par coeur ses répliques. C’est une chance incroyable de pouvoir travailler avec lui. Ça a été une vraie rencontre et un vrai bonheur. J’ai grandi avec beaucoup des films de Michel, j’ai joué Le Père Noël est une ordure et Les Bronzés au théâtre!

Michel Blanc : Tu jouais qui dans Le Père Noël ?

Mélanie Auffret : Zézette !

Michel Blanc : C’était ça ou Mme Musquin, ou alors le rôle magnifiquement joué par la regrettée Anémone. Mais je te vois parfaitement en Zézette !

Michel, vous êtes aussi metteur en scène, avez-vous échangé avec Mélanie depuis ce point de vue sur la fabrication du film ?

Michel Blanc : Chacun reste à sa place. Mais il m’est arrivé, très rarement, d’avoir quelques suggestions. C’est de l’ordre de la virgule. Le premier montage que tu m’as montré, il y avait une scène coupée et j’ai dit que je pensais que c’était une erreur, qu'on arrivait trop vite dans la classe.

Et à la fin, sur une scène, l’émotion ne passait pas comme elle passait sur le tournage, parce que tu as monté ce plan avec moi en amorce de dos, et je pensais qu’il fallait avoir l’échange pour que ce soit émouvant. Les deux seules choses que je me suis permis de remarquer. De temps en temps, on a ces petites certitudes, qui restent évidemment personnelles et on peut toujours se tromper.

Mélanie Auffret : J’ai trouvé ça gratifiant, parce que c'était une vraie marque de confiance. Michel a une grande bienveillance, et ça me donnait encore plus confiance en moi. C’était extraordinairement précieux. Il pouvait me dire "Mélanie, est-ce que tu penses qu'ici, sur cette ligne, je peux bouger cette virgule ?". Je répondais : "Mais Michel, évidemment !".

Mélanie, vous retenez une séquence du tournage en particulier ?

Mélanie Auffret : Il y avait une telle alchimie entre Michel et Julia, malgré leurs générations et leurs méthodes différentes. Parfois, au montage, j’avais beaucoup de mal à les séparer ! Je pense à ce moment où vous êtes tous les deux appuyés contre la voiture, vous avez cette discussion et vous fumez cette cigarette, on a vraiment l’impression de la partager avec vous, et d’avoir accès à cette conversation intime. Sur le plateau, avec les techniciens, on en avait des frissons. Tout se jouait en direct, et toute l’histoire était là, toutes les problématiques de leurs personnages.

Les Petites victoires
Les Petites victoires ©Zinc Films

À ce sujet, il devient de plus en plus rare d'avoir au cinéma des protagonistes qui fument, alors qu'en l'occurrence ça apporte ici une crédibilité précieuse...

Michel Blanc : Je ne supporte pas la cigarette, et donc ce n'est en aucun cas un plaidoyer pour Marlboro ou je ne sais qui. Mais je m’interroge sur ce qu’on est devenus comme civilisation. Ce politiquement correct... Qu’on en soit arrivés à dire « ah quand même, vous êtes gonflés vous mettez des mecs qui fument… » On en est là ? Vraiment ? C’est terrifiant.

Mélanie Auffret : Ça me semblait indispensable qu’Émile fume. Et qu’il fume des roulées. Ça raconte des choses sur lui. On voit que ses vêtements sont habités par le tabac. C’est un partage. On sent qu’Alice est une fumeuse plus occasionnelle, mais le fait qu’ils partagent cette cigarette créé cette intimité, c’est leur moment à eux. La vraie vie se passe comme ça, je le crois sincèrement. C’est ce qui m’intéresse, c'est donner accès à ces moments privilégiés entre deux personnages. Et le plus dur, c’est parvenir à créer ce réel dans la fiction.