À l'occasion de la sortie en salles du film "Enquête sur un scandale d'état", thriller où le cinéma se penche sur la révélation en 2016 d'un scandale majeur, on a pu rencontrer son réalisateur Thierry de Peretti et l'acteur Pio Marmaï. L'occasion de parler justesse de jeu et pouvoir de la fiction sur le réel.
Thriller journalistique et objet de cinéma particulier, Enquête sur un scandale d'état est le nouveau long-métrage de Thierry de Peretti, après Les Apaches et Une vie violente. Loin de la Corse de ces deux films, le réalisateur nous plonge avec ses personnages dans un scandale majeur impliquant les stups en 2016, révélé à l'époque par le journaliste de Libération Emmanuel Fansten et l'ancien agent officieux des stups Hubert Avoine.
Avec Pio Marmaï, qui incarne le journaliste du film, il nous parlent ensemble de ce film-enquête singulier.
Comment comprendre Enquête sur un scandale d'état, qui semble échapper constamment à une définition satisfaisante ?
Thierry de Peretti : On essaie de faire des films à plusieurs détentes, qui peuvent être lus à plusieurs niveaux. Il y a d’abord la question principale de l’enquête, celle menée par Stéphane Vilner et la rédaction de Libération, et de leur point de vue c’est un scandale d’état. Mais le film s’attache à raconter tout le cirque, tout le théâtre autour de ça. On voit donc aussi la procureure de la république, les policiers, tout l’environnement de ces sujets.

Il y a aussi une critique des constructions médiatiques et de la société du spectacle. Ce qui est le plus important, c’est la question du récit. Qui raconte quoi ? Est-ce que c’est Hubert Antoine, qui a des choses à prouver, à démontrer ? Est-ce que c’est le personnage joué par Pio Marmaï qui relie les événements et les écrit, en leur donnant ainsi une signification ?
L'histoire de Stéphane Vilner justement, son enquête qui est la matière du film, comment la restituer au plus juste ?
Pio Marmaï : Avec Thierry, on a essayé de trouver un espace de liberté dans la langue. C’est-à-dire, comme Emmanuel Fansten, réussir, sans trop vulgariser, à rendre accessibles, digestes et vivantes des informations aussi tentaculaires. Donc trouver une forme de vérité de ce que peut être Emmanuel comme journaliste, dans ce rapport à la langue. J’ai travaillé sur énormément de textes, et comme il y a beaucoup de plans-séquences, la précision est cruciale, il faut trouver la fluidité, l’aisance. Quand ça marche j’ai une sensation d’évidence, c’est extrêmement jouissif.
Pour ma relation à Hubert, le personnage de Roschdy Zem, il y avait cette somme de textes comme base du travail, les mêmes enregistrements qui ont servi au livre L'infiltré: de la traque du Chapo Guzman au scandale français des stups. On a donc écouté tous les enregistrements entre Emmanuel et Hubert. On rejouait ensuite les échanges.
Thierry de Peretti : Ils se sont branchés sur les personnages, à partir des mots que les vraies personnes avaient prononcés. Comment ils pensent, comment ils parlent, avec quel vocabulaire. Ça rejoint ce que dit Pio, la prise de parole est centrale dans le film.
On a tous tendance à penser que ce qu’on entend ou lit est vrai, authentique, mais il y a toujours un enjeu politique et narcissique, celui d’exister à travers les récits qu’on formule, les sujets qu’on choisit.
D’une certaine manière, pour Enquête sur un scandale d'état, on a mené nous une enquête sur les textes qui ont été prononcés. Dans les enregistrements, on les entendait rire, faire des digressions sur d’autres sujets, ça nous donnait énormément d’informations sur eux. Beaucoup plus que ce qu’on trouve d’habitude, avec des scènes d’un personnage dans son enfance, son intimité, sa petite amie, une crise. On n’a pas déduit leurs psychologies depuis ce genre de représentations, mais depuis ces entretiens.
Une véritable enquête donc pour vous aussi, mais dans une pure entreprise de cinéma ?
Thierry de Peretti : Enquête sur un scandale d'état interroge les histoires qui sont racontées, plutôt que simplement dire : « il y a une violence d’état, des méchants policiers corrompus et des gentils journalistes. » L’idée est de bien garder en tête que tout le monde a quelque chose à vendre. Et le pouvoir de la fiction, avec ces textes et ces interprètes, c’est de proposer une équivalence de cinéma à un fait réel.
Je crois que le cinéma peut faire accéder à des zones auxquelles le journaliste et le politique ne parviennent pas. Le politique a toujours trois idées derrière la tête et il y a une forme d’arnaque, le journaliste est lui presque obsédé par l'unique recherche de la réalité des faits. Avec le cinéma on est plus large, on pose la question de la réalité des faits et de la réalité des personnes. Et on essaie de le faire de la manière la plus captivante et la plus sensuelle possible, parce que Enquête sur un scandale d'état est une expérience plastique, musicale, une expérience de jeu aussi.

Pio Marmaï : Je repense à la première scène où on annonce avec Alexis Manenti qu’on a une source et qu’on prend la parole pour dire qu’on a potentiellement un sujet explosif. Je m’en rappelle parfaitement, le plan devait durer une vingtaine de minutes, et nous on commençait au bout de dix-douze minutes. On attendait, le temps que tout le comité de rédaction se mette en place, il y avait donc une trentaine de personnes qui relataient et développaient des faits de l’époque. J’avais une tension intérieure, c’est là où j’ai un peu touché je crois cette justesse, la précision dans la langue, tout en étant en retenue. Je n’étais pas dans un artifice, comme parfois je peux en créer pour exister à l’image.
Ces scènes dans la rédaction de Libération, quand chacun prend la parole, il y a un mouvement collectif, une sensation de vie que je n’ai connue que dans mon travail avec Thierry. C’est très précis, assez pointu, mais quand c’est maîtrisé c’est du pur plaisir.
Propos recueillis par Marc-Aurèle Garreau le 26 janvier 2022.