Rencontre avec Raphaël Quenard, présent et futur du grand cinéma français

Rencontre avec Raphaël Quenard, présent et futur du grand cinéma français

À l'affiche du très réussi "Chien de la casse" de Jean-Baptiste Durand, Raphaël Quenard tient - enfin - le premier rôle d'un long-métrage. La confirmation d'un talent immense et l'assurance que l'acteur, après s'être illustré dans des rôles secondaires, sera bientôt une figure éminente du cinéma. Rencontre.

Raphaël Quenard, enfin

Écouter Raphaël Quenard parler, c'est déjà du cinéma. Un voyage, une aventure, un spectacle. À 32 ans, l'acteur compte déjà de nombreuses apparitions remarquées chez, notamment, Jacques Audiard (Les Olympiades), Michel Hazanavicius (Coupez !), Jeanne Herry (Je verrai toujours vos visages), Cédric Jimenez (Novembre) ou encore Quentin Dupieux (Fumer fait tousser). Des seconds rôles, parfois des arrières-plans, mais où son charisme irradie déjà pleinement. Sa voix, son corps longiligne, ses yeux à la couleur profonde, tout concourt à un style loufoque, mais pas seulement. Effrayant aussi, séduisant sûrement, définitivement troublant.

Si on lui propose une ressemblance avec Viggo Mortensen, il admet qu'on lui a déjà dit. Soulignant d'emblée qu'on parle là d'une légende, et qu'il signerait les yeux fermés pour la carrière et les performances de cet acteur qu'il adore. Ils partagent effectivement des traits de visage, des traits que les deux acteurs savent faire tendres ou durs, doux puis brutaux en un clin d'oeil.

Mirales (Raphaël Quenard) - Chien de la casse
Mirales (Raphaël Quenard) - Chien de la casse ©BAC Films

Un premier rôle idéal

Sa voix, qu'on pense souvent et à tort accentuée, cette voix "bizarre" comme sortie d'un pays imaginaire, à l'origine trouble, est presque contredite par le vocabulaire et la musique qu'elle déroule. Il y a des termes rares, des variations de formules, des tics aussi, comme tout le monde. Parce que Raphaël Quenard est comme tout le monde, mais sans ressembler à personne. Un des paradoxes du métier de comédien, résolu entre autres par son éloquence folle. Une marque de fabrique qui n'est pas une coquetterie mais, à l'image de son corps, un outil d'existence qui peut le conduire partout, et conduire aussi son spectateur et auditeur dans des histoires, des images et des sensations encore inexplorées.

Ce corps et cette voix, Raphaël Quenard en tire le meilleur pour son premier premier rôle dans un long-métrage, le très réussi Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. Sa grande performance dans ce rôle d'un tout jeune adulte, dont la violence de sa relation avec son meilleur ami Dog dissimule la déchirante solitude et son absence de place dans le monde, vient d'ailleurs de loin. Chien de la casse est la révélation de son réalisateur, et la confirmation - presque tardive tant elle est évidente - de son acteur principal. Une belle histoire à l'écran, une belle histoire pour l'acteur et le réalisateur, un film touchant et une performance marquante...

Nous avons rencontré Raphaël Quenard, parce qu'on ne rate pas l'occasion d'en savoir plus sur celui qui est, déjà, le présent et le futur du grand cinéma français.

Rencontre

On vous a vu déjà dans de nombreux longs-métrages, ainsi que dans des séries. Mais Chien de la casse est votre premier rôle principal dans un film. Comment avez-vous rencontré Jean-Baptiste Durand ?

Raphaël Quenard : Ça date un peu. J’étais dans une association qui s’appelle Mille visages, où j’ai notamment travaillé avec Emma Benestan. J'y faisais aussi des ateliers d’impro avec Halima Ouardiri, et un jour elle me dit qu’elle écrit, dans une résidence d’écriture Groupe Ouest, et elle y est avec Jean-Baptiste Durand. On est en 2018 je crois. Elle me dit qu’il écrit un rôle, et qu’elle pense que ça m’irait. Donc j’ai commencé un peu à le traquer JB. Je me suis rendu à une projection au Lincoln, à Paris, où il était. Je lui ai serré la main, puis je lui ai écrit plusieurs messages sur Facebook. Pas vraiment de réponse, sinon de le recontacter dans six mois. Donc je l'ai recontacté, il m'a parlé du casting, dit qu’il avait déjà vu beaucoup de profils, et c'est là qu'on s'est vraiment rencontrés.

Ce personnage, Mirales, il est entièrement défini quand vous le découvrez ?

Raphaël Quenard : Le personnage est écrit, mais avec JB on partage ce goût pour l’improvisation. Tout est déjà écrit, parce qu’il n’y a pas de bonne improvisation sans une structure solide. Mais j’aime proposer, donc si le réalisateur le permet, je soumets quelques idées.

Mirales vient de Grenoble, la région où vous avez grandi. Ça ne peut pas être une coïncidence.

Raphaël Quenard : Alors oui, sur ce point, Jean-Baptiste a adapté. Parce qu'au début il me disait, "ça va pas être crédible un gars avec cette voix dans le sud", il se disait que j’avais un accent.

Mais c’est pas un accent. On me dit suisse, on me dit belge, de l’Est, enrhumé tout le temps. Ça c’est vrai, « enrhumé tout le temps » je l’entends. Il a commencé par me dire de prendre quelques cours d’orthophonie pour gommer tout ça. Mais avec le temps… bien sûr il y a des nuances dans la voix, mais l’ADN de ce qui fait ma voix, j’allais pas changer ça pour faire un truc trafiqué.

JB a donc décidé d’intégrer ça en faisant de Grenoble la ville d’origine de Mirales.

Mirales (Raphaël Quenard) - Chien de la casse
Mirales (Raphaël Quenard) - Chien de la casse ©BAC Films

Qu'est-ce que vous percevez et retenez de ce personnage ?

Raphaël Quenard : Beaucoup, beaucoup de choses. Ses nuances évidemment. Mirales est déséquilibré affectivement, il n’a pas son père, sa mère est dépressive. Il a un rapport avec son ami Dog en miroir de celui qu’il avec son chien Malabar. Il se comporte de manière tyrannique, mais il y a aussi la jalousie qui va apparaître quand Dog rencontre Elsa (Galatéa Bellugi, ndlr), et cette jalousie va lui permettre d’éclore, de se trouver. Ce sont des gars perdus, à la lisière de l’âge adulte, ils doivent prendre des décisions. Ça fait des années qu’ils se rongent leurs existences respectives. Et il y a aussi sa relation avec Elsa.

Le personnage est sur le fil, à un poil de cul de chèvre de basculer. Il fait le beau devant les autres, et en même temps toute la haine qu’il décharge sur son ami le plus proche, elle est mâtinée d’un amour très fort. Mais c’est un amour qui s’exprime très mal.

Il se croit digne d’un ailleurs glorieux, mais il est engoncé dans sa parlote, et les actes suivent pas. Là où Dog, qui est plus économe en mots et plus rentré, prend des décisions. C’est les mots vs. les actes.

Votre association avec Anthony Bajon est formidable, et déjà on vous trouvait tous les deux dans La Troisième guerre. Quelle est votre relation ?

Raphaël Quenard : Anthony, c’est extraordinaire. Avec Anthony, on est amis dans la vie, ce n’était pas compliqué de jouer l’attachement profond. Ce rapport hors cinéma a facilité le travail. Ensuite, dans le jeu, c’est un plaisir incommensurable. Il rend les choses faciles. On éprouve, on expérimente, avec Anthony on peut rentrer dans des discussions de l’ordre de l’intime, on n’hésite pas à se dire les choses. C’est un rapport sain et très précieux.

Dog (Anthony Bajon) - Chien de la casse
Dog (Anthony Bajon) - Chien de la casse ©BAC Films

Bien souvent un premier film a le charme de ses imperfections, de ses temps faibles. Ici, Chien de la casse transmet une belle maîtrise, un sens cinématographique déjà fort, une identité réelle.

Raphaël Quenard : Jean-Baptiste va être un grand réalisateur. Il a une vraie signature. Il cherche la grâce et il la trouve, en sublimant la banalité du quotidien d’une vie de province. Jean-Baptiste se saisit de ça et en sort de la grâce avec sa mise en scène, sa musique, son choix de cadres. C’est fort. C’est un premier film, donc il ne disposait pas de moyens extravagants, il a su s’adapter à l’économie du film. J’imagine qu’on lui accordera plus d’argent, si tant est que le film plaise un tant soit peu. Ce serait beau que Chien de la casse se fasse sa place, dans cette guerre acharnée du box-office. Il y a des gros morceaux. Il y a eu récemment les Trois Mousquetaires, il y a le Dany Boon, il y a le documentaire qui a eu l’Ours d’or...

Une séquence particulière du film que vous retenez ?

Raphaël Quenard : J’adore la scène du repas d'anniversaire. Tout se dessine de leur relation. Le noeud entre eux est exacerbé et mis en lumière par la présence des autres. La présence des autres accentue le comportement de Mirales, il est encore plus rugueux, dur, les remarques s’encaissent moins que quand on est en tête à tête. Et puis il y a Galatéa, donc c’est le trio entouré du groupe, lancé des reproches très personnels. Le travail de montage est bon, je trouve la scène vraiment très belle. Mais bon, ça, c’est pas à nous de le dire !

La scène nous a pris une petite journée. Normalement, une scène comme ça, ça peut prendre deux jours. On a eu, je crois, 22 jours de tournage, ce qui est réduit pour un long-métrage. Donc c’était rapide.

On vous voit où prochainement ?

Raphaël Quenard : Il y a un film d’escroquerie qui arrive bientôt sur Netflix, Yannick de Quentin Dupieux, Pourquoi tu souris avec Jean-Pascal Zadi… Maintenant il faut tourner ! Il faut enchaîner ! C’est pas facile de faire des choix, c’est assez nouveau pour moi, trouver le bon truc, ne pas se tromper. Mais j’essaye d’obéir à mon ventre surtout. Si on sent à l’intérieur qu’on est en désaccord, il faut suivre cette sensation. C’est le meilleur guide. On va essayer. Après, peut-être qu’on va livrer une ou deux « bananes », on n’est jamais à l’abri (rires).