Un Peuple et son roi : rencontre avec Pierre Schoeller

Un Peuple et son roi : rencontre avec Pierre Schoeller

Pierre Schoeller, qui avait marqué un grand coup avec "L'Exercice de l'état", César du meilleur scénario en 2012, fait l'actualité avec son nouveau long-métrage "Un Peuple et son roi". Celui qui s'est fait une spécialité de déconstruire les mécaniques du pouvoir a, à l'occasion de la sortie de cette fresque historique, accepté de répondre à nos questions.

Un Peuple et son roi est un film très ambitieux, à plusieurs égards. Film historique, il s'attaque aux premières années de la Révolution française. Gigantesque défi en soi, il l'est encore plus avec un casting rassemblant ce qui se fait de mieux en France : Laurent Lafitte, Louis GarrelCéline Sallette et Olivier GourmetGaspard Ulliel et Adèle Haenel (leur interview ici), pour ne citer qu'eux. Aussi, au-delà de la facture du film, l'intention de l'auteur de mêler à ce moment collectif historique des éléments personnels et intimes en fait un objet rare, qui demande à être exploré. A cette fin, nous avons recueilli les propos de son réalisateur.

Plus de deux cent ans après, la révolution française est toujours le sujet le plus important de notre histoire. Vous avez mis plusieurs années à monter Un Peuple et son roi, ce temps était nécessaire ?

Il a fallu du temps. Non pas que je prenais mon temps, mais je voulais bien faire chaque étape de travail. Si vous faites bien chaque étape, la suivante est plus facile. Il a fallu d’abord construire le récit, en disant «  voilà, je vais rentrer dans les évènements révolutionnaires à cet endroit, et en sortir à cet autre endroit ». Ensuite il a fallu inventer les personnages de fiction, puis vérifier chaque chose. Je suis assez maniaque, et j’ai voulu cerner au plus près la vérité du moment, même si c’est un point de vue.

Vous avez donc effectué un gros travail de documentation en amont ?

Oui, pour chaque événement, la Marche des femmes, l’exécution du roi, la Salle du Manège, etc., on a vraiment fouillé au plus près de ce qu’on pouvait connaître de ces évènements ou de ces lieux, de ces personnages. C’est comme ça qu’on dessine une cohérence au projet.

Un historien, qui n’était pas associé au film, l’a confirmé. Oui, le peuple était au cœur du mouvement révolutionnaire. Ce n’est pas une fiction, ce n’est pas une idéologie. Le peuple est concerné au même titre que les députés. Le dialogue entre le peuple et les députés a vraiment eu lieu. Un des enjeux forts du film était donc de se demander : qu’est-ce qu’un peuple politique ? J’ai voulu proposer une nouvelle entrée dans la Révolution, avec cette approche très charnelle. Pour moi, il était très important de donner une existence politique au peuple.

Comment est ce peuple, justement dans cet aspect charnel ?

Le peuple est inventif, il discute, il chante, il se bat et combat, il écoute. C’est ce qui est un peu ma patte dans le film, je voulais donner une sensation des choses au spectateur, pour éviter le côté glacé ou muséographique que peut avoir un film historique. Sinon, on se retrouve uniquement à filmer des lieux qu’on a vus mille fois, parce que ce sont des décors que vous ne pouvez pas toucher. Il a donc fallu innover. Il y a par exemple cette scène où je filme le roi dans un miroir, ce qui permet avec la lumière de redessiner entièrement le décor, sans quoi ça n’aurait pas fonctionné.

A propos du roi, il est montré dans une grande solitude, et fait naître une certaine empathie. C’est un choix plutôt fort.

Je ne peux pas filmer quelqu’un en le jugeant, en le mettant à distance. J’étais parti sur le roi en disant : il est dans les évènements, il est atteint par ces évènements, et il reste le roi. Ce qui m’a intrigué, c’est que dans les premières années de la révolution, il n’était pas question de faire sans le roi. Il est associé au mouvement, il est sollicité. Néanmoins, sa psychologie est très singulière, j’ai travaillé sur sa foi, sur sa certitude d’être le lien au peuple, d’avoir en charge son destin. C’est ce qu’on voit quand il refuse de tirer sur la foule lors des Journées d’octobre. Il n’est pas en opposition profonde avec la Révolution. Ainsi, c’est la fuite de Varennes qui casse vraiment ce lien au peuple. La vision du lit vide du roi, c’est quelque chose que personne n’imaginait. La trahison est là, dans cet abandon.

Un spectateur m’a dit « vous remettez le roi dans le peuple, avec le peuple ». C’est vrai, et le détachement en est d’autant plus violent et radical. Après la trahison, il s’agit pour le peuple d’apprendre à vivre sans roi, ce qui s’appelle en fait la République.

Ce rapport au roi que vous montrez, peut-il avoir une résonance particulière aujourd’hui ?

Non, car aujourd’hui est très différent de 1789. Un Peuple et son roi ne parle pas d’aujourd’hui, je me suis concentré sur la justesse du regard sur ces évènements historique. Après, s’il y a un semblant d’interférences avec l’actualité, c’est parce que nous sommes dans un temps de vraies demandes de droits, d’égalité, mais le film n’a pas de relation secrète avec aujourd’hui.

Un Peuple et son roi, de Pierre Schoeller. 2h01mn. En salles le 26 septembre.