Une pluie sans fin : entretien avec le réalisateur Dong Yue

Une pluie sans fin : entretien avec le réalisateur Dong Yue

Rencontre avec le réalisateur Dong Yue à l’occasion de la sortie d' "Une pluie sans fin". Avec ce premier long-métrage, le cinéaste chinois signe un superbe polar désabusé et marche sur les traces de David Fincher et Bong Joon-ho.

Récompensé par le Grand Prix au dernier Festival du film policier de Beaune, Une pluie sans fin se déroule dans un village chinois en 1997, quelques mois avant la rétrocession de Hong Kong. Chef de la sécurité d’une usine, Yu Guowei se met à enquêter sur une série de meurtres de jeunes femmes. Licencié en raison de grands changements économiques, Yu devient rapidement obsédé par la traque du serial-killer, qui vire progressivement au cauchemar.

Portrait d’un homme en perdition dans une société en pleine mutation, Une pluie sans fin s’impose aisément comme l’un des thrillers les plus réussis de l’année. Oppressant, ironique et fataliste, le long-métrage évoque l’aliénation au cœur d’un système autoritaire, renforcée par la pluie constante qui détraque les personnages.

Dong Yue dévoile une mise en scène suffisamment évocatrice sans qu’elle ne soit jamais trop appuyée. Il réussit ainsi à insuffler une puissance émotionnelle à un polar qui ne met jamais de côté son propos politique, toujours abordé subtilement. Pour un premier film, la maîtrise dont fait preuve le réalisateur est bluffante. Le cinéaste a accepté d’évoquer avec nous son ressenti suite à cette expérience, sa méthode d’écriture ou encore les difficultés à tourner sous la pluie.

 

Il s’agit de votre premier long-métrage en tant que réalisateur. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

J’ai ressenti des choses extrêmement différentes selon les phases de préparation et de production du film. Après le montage, je me suis dit : "Bon, j’ai assuré, j’ai fait un film qui n’est pas trop mauvais". Au fur et à mesure des premières projections, j’ai eu des retours qui étaient plutôt encourageants, j’étais heureux.

Jusqu’à la fin du montage, on ne s’était jamais dit que le film pourrait aller en festival mais les producteurs ont proposé que l’on tente notre chance après ces premiers visionnages. On a contacté celui de Tokyo . Là encore, les retours ont été très enthousiastes, les organisateurs ont beaucoup aimé le film et ont décidé de le sélectionner en compétition. A ce moment-là, j’étais très agréablement surpris.

 

Le film se déroule peu de temps avant la rétrocession de Hong Kong, dans une petite ville et certains personnages voient l’île comme un moyen de repartir à zéro. Pourquoi avoir choisi ce contexte géographique et politique ?

L’année 1997 a été extrêmement importante pour la Chine parce que c’est non seulement l’année de la rétrocession de Hong Kong mais aussi celle où commence la réforme économique, c’est-à-dire la dénationalisation des industries. Il y a eu une mise au chômage massive des anciens ouvriers et les inégalités sociales ont continué de se creuser.

À cette époque, face au grand bouleversement économique et à la promesse d’un futur eldorado avec le retour de Hong Kong, la société chinoise était dans un état très complexe, entre l’espoir et le désespoir.

 

Yu est un personnage profondément attachant malgré son obsession grandissante et son aliénation. Était-il important pour vous que le public porte toujours un regard bienveillant sur lui malgré ses erreurs ?

Ce personnage est assez représentatif des individus déformés au sein d’un système autoritaire. On peut avoir de l’empathie pour lui mais certaines de ses pratiques sont détestables. C’est cette complexité qui offre une zone de réflexion et de discussion sur ce système autoritaire.

 

A la fin du film, on se dit que son destin était scellé dès le début de l’enquête et le mauvais temps accentue cette impression. Son enquête était-elle un moyen de retranscrire un sentiment de fatalité présent en Chine à la fin des années 90 ?

Cela correspond surtout à ma conception des conditions humaines. J’admets qu’il y ait un certain fatalisme dans notre existence. Du coup, face à la multitude de choix possibles, je me demande quelle est la relation entre l’autodétermination et le destin. J’ai eu envie d’étudier cette thématique à travers le récit du film.

Dong Yue : Entretien avec le cinéaste à l'occasion de la sortie d'"Une pluie sans fin".

Plusieurs événements dramatiques viennent chambouler et bouleverser le spectateur au cours du film. Quel est selon vous le secret pour maintenir la tension et créer du suspense ?

En fait, il s’agit de mon tout premier scénario. Au moment de l’écriture, j’étais conscient que je n’avais aucune expérience dans le domaine. J’ai découvert quelque chose de très précieux en écrivant : une fois que l’on sait ce qu’il va se passer à la fin, tout ce qui vient avant n’en est que la préparation.

Quand j’ai su comment se terminerait le film et ce qui arriverait au personnage, j’ai seulement voulu suggérer et préparer l’arrivée de la fin. J’ai compris qu’il fallait écrire à l’envers pour préparer un scénario.

 

Le film allie par ailleurs une véritable puissance dramatique à une certaine ironie. Était-ce important pour vous de ne pas dévoiler uniquement une ambiance oppressante, et d’y ajouter certaines touches d’humour ?

Tout à fait, pour moi, cela fait même partie d’une technique d’écriture. Quand on évoque des sujets graves et pesants, il est nécessaire d’avoir des contrepoints légers. Récemment, en revoyant le film, je me suis dit qu’il n’y en avait pas suffisamment et j’aurais aimé en intégrer davantage.

 

En termes de logistique, était-ce difficile d’organiser un tournage sous une pluie constante ?

C’était extrêmement difficile. Avant le tournage, on a fait des essais avec l’équipe de pluie artificielle mais pendant le tournage, on a eu des surprises qui ont dépassé nos attentes. Cela représentait non seulement un véritable défi pour les équipes chargées des prises de vue et de la lumière mais aussi pour celles qui s’occupaient des costumes et du maquillage.

Cela a eu un impact psychologique sur tout le monde. A force de tourner sous la pluie avec des imperméables comme celui du personnage du film, l’équipe est devenue comme lui. Elle s’est sentie oppressée et anxieuse. Durant le tournage, les sourires ont peu à peu disparu et l’on ressemblait de plus en plus aux ouvriers que l’on voit dans le film.

 

Comment le film a-t-il été reçu en Chine ?

Il y a eu des avis partagés entre deux extrêmes, parce qu’un film de ce genre est très rare en Chine. Ceux qui n’ont pas aimé affirment ne pas avoir compris le film. Les spectateurs mainstream n’apprécient pas les fins ouvertes. Le cinéma grand public chinois suit les mêmes techniques narratives que le cinéma mainstream hollywoodien et il faut généralement avoir une fin concluante. Dans sa première partie, Une pluie sans fin a des soupçons d’un film hollywoodien, d’un film de genre, mais on bascule peu à peu vers autre chose et c’est ça qui n’a pas plu à beaucoup de spectateurs.

 

Y a-t-il des films, peut-être hollywoodiens, qui vous ont inspiré pour Une pluie sans fin ?

J’ai eu beaucoup d’influences et de références pour ce film. Il y a notamment eu Seven, Memories of Murder, La Isla Minima, Dans ses yeux et Peppermint Candy.

 

Avez-vous d’autres projets de longs-métrages pour la suite ?

J’ai des idées, mais je n’ai encore rien écrit.

Propos recueillis par Kevin Romanet

 

Une pluie sans fin en salle le 25 juillet 2018. Ci-dessus la bande-annonce.