First Reformed de Paul Schrader : des étincelles dans la nuit noire

First Reformed de Paul Schrader : des étincelles dans la nuit noire

CRITIQUE DVD – Sortie direct-to-video pour le dernier film de Paul Schrader, « First Reformed » avec Ethan Hawke, rebaptisé en France « Sur le chemin de la rédemption ». Ernst Toller, révérend de l’Église First Reformed à Snowbridge et ancien militaire ayant perdu son fils, plonge dans un cercle dangereux où se côtoient alcoolisme, dépression chronique et activisme.

Voilà un drôle de film pour raviver les espoirs profondément enfouis depuis quelques années. Non, Paul Schrader n’est pas mort. Celui-ci est même plutôt en forme. Il a réalisé, avec First Reformed (Sur le chemin de la rédemption en VF), un faux-thriller bressonien éco-responsable avec Ethan Hawke dans le rôle de Ernst Toller, révérend désabusé qui, au contact d’un activiste suicidaire, va prendre conscience que le monde court à sa perte.

Le scénario n’est pas très complexe, en même temps qu’il brasse de nombreuses problématiques contemporaines : Michael, l’activiste écolo qui se confiait jusqu’alors à Ernst, se tire une balle dans la tête et laisse, seule, Mary (Amanda Seyfried), sa femme enceinte. Après avoir récupéré l’ordinateur de Michael, Ernst découvre les ravages de la pollution sur la planète, cette « création de Dieu » qu’il veut à tout prix protéger. Alors que sa bâtisse protestante s’apprête à fêter son 250e anniversaire et que ses membres préparent l’événement, les pensées de Ernst sont ailleurs. Psychologiquement absent, trimballant son corps malade, Ernst se réfugie tous les soirs dans l’alcool et dans l’écriture de son journal, au sein duquel il cherche à déverser son flux destructeur de pensées.

Ce journal est à la fois le refuge de Ernst et de Paul Schrader lui-même. Ce dernier, bien qu’ayant souvent utilisé la voix-off (dans ses réalisations comme dans ses scénarios), a envisagé les écrits de Ernst comme l’espace mental dans lequel son récit pourrait se ritualiser, revenir sans cesse, comme un point d’ancrage qui resterait stable lorsque le monde du révérend commencerait à s’écrouler autour de lui. Cette idée, mécanique proche de celle du Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson, permet de donner de la force et de l’énergie (psychique) à une imagerie froide et figée, à un cadre qui ne bouge quasiment jamais.

L’absence de vivacité et le froid polaire dans lequel semble être plongé la bourgade de Snowbridge ne sont cependant que trop rarement compensés par le texte dicté par Ethan Hawke, bien plus ardent et vivant que l’imagerie terne de ce First Reformed. Il y a que la voix-off systématique qui découle de ce mécanisme narratif devient très vite une facilité pour Schrader : celle-ci s’attarde à souligner, à illustrer ou à décrire ce que sa mise en scène échoue à signifier d'elle même.

Avant la tempête

D’un autre côté, cette voix-off, très littéraire, presque trop évidente, s’inscrit dans le processus d’affirmation du film, qui consiste à montrer les hantises et les hésitations d’un homme esseulé, paumé, et démuni, avant que celui-ci ne trouve, dans un second temps, sa voie, son « chemin vers la rédemption ». Que se passe-t-il lorsque celui-ci finit par trouver cette quête de sens ? La voix-off se calme, se fait moins insistante, moins envahissante, jusqu'à disparaître peu à peu.

Celle-ci en vient même à être absente aux moments où elle aurait forcément fini par s’imposer en début de film (au cours de scènes paroxystiques, notamment lors de l’ultime séquence du film). C’est que petit à petit, le désarroi mental de Ernst disparaît au profit d’une colère qui, bien que éminemment plus dangereuse, aura le mérite de préciser son mal-être. Cette même colère qui, non contente d’affirmer le révérend en lui donnant un objectif de vie, permet dans le même temps de lui révéler les quelques éclats de beauté qu’il y a encore à trouver dans ce monde qu’il observe d'un regard distant.

C’est là que First Reformed, n’hésitant jamais à croire en ce qu’il montre, se révèle. Dans le formalisme morne et épuré d’un ennuyeux ersatz bressonien (cruauté du monde et impassibilité des figures) peuvent émerger de superbes visions : celles-ci redonnent foi en l’inspiration de Schrader, jusqu’alors bien cachée derrière le masque pâle d’une rigidité scénique qui fait froid dans le dos. Il faut voir cette séquence de lévitation au-dessus d’un monde à la dérive, où Ernst et Mary traversent des paysages tour à tour idylliques et apocalyptiques ; ou encore cette dernière scène, naïvement sublime, qui prend à contre-pied toutes les attentes morbides.

Rien de bien révolutionnaire ni de foncièrement stupéfiant en cela (tout ça n’est l’affaire que de deux petites scènes, trouvant notamment leur force dans le changement brutal de registre qu’elles opèrent). Pourtant, ces deux visions, noyées dans un film qui s’assume comme leur pur penchant anémique, suffisent à espérer que Schrader revienne très bientôt sur le devant de la scène. Sait-on jamais.

 

First Reformed (Sur le chemin de la rédemption) de Paul Schrader, disponible en DVD depuis le 23 octobre. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Avec « First Reformed », Paul Schrader ravive notre curiosité à son égard : son nouveau film, bien que mineur, dispose de quelques belles trouvailles au sein de son formalisme frigide.

Note spectateur : Sois le premier