Memento sur Amazon Prime Video : et si Leonard Shelby était un tueur à gages bénévole ?

Vous n'êtes pas prêts.

Memento sur Amazon Prime Video : et si Leonard Shelby était un tueur à gages bénévole ?

En 2000, "Memento" offre une expérience inédite, un thriller mystérieux qui résiste encore et encore aux explications définitives. On déplace les projecteurs du personnage de Leonard Shelby à ceux de Teddy et Natalie, pour essayer de comprendre qui est réellement le personnage principal. Disponible sur Amazon Prime Video.

Memento, le premier film de Christopher Nolan - si l'on excepte Following et ses courts-métrages -, est sans aucun doute son film le plus résistant à une interprétation définitive, peut-être encore plus que Tenet, pour lequel il est voulu une explication rigoureusement objective. La particularité de Memento est de faire d'un amnésique le narrateur de l'histoire. Puisqu'il faut bien croire le narrateur d'une histoire, il est entendu depuis le milieu du XXème siècle qu'on peut s'amuser avec la crédibilité du narrateur, et faire de son récit un piège ou une réalité non-véridique. Il s'agit de la figure qu'on trouve en littérature, au théâtre et au cinéma, qu'on appelle "le narrateur non-fiable". Un des meilleurs exemples dans le cinéma est le film Usual Suspects, ou le narrateur ment à ses interlocuteurs, et donc à l'audience qui part du principe qu'il dit la vérité.

Memento, un modèle d'exploration narrative

On est dans ce cas de figure dans Memento, où le personnage principal et narrateur, Leonard Shelby (Guy Pearce) est frappé d'une amnésie chronique : s'il se souvient de sa vie d'avant, de son nom et de la mort de sa femme, depuis ce drame il ne se souvient que des dernières cinq minutes qui viennent de s'écouler. Pour essayer de garder une trace de son passé et un guide pour son avenir, il s'est tatoué sur le corps des dates importantes, des faits, des noms, des choses à faire. Il a aussi toute une série de polaroïds annotés pour se souvenir de ses actions et des gens qu'il rencontre. Problème, il est manipulable. Par les autres, qui veulent tirer profit de son handicap, et par lui-même (sans qu'il ne s'en rende vraiment compte), afin d'arranger la réalité avec son désir de réalité.

Memento
© Warner Bros

À partir de là, il faut accepter que la réalité de l'intrigue présentée dans Memento est a priori aléatoire, et qu'il va être compliqué de croire Leonard Shelby. Il faut ensuite accepter que la narration inversée du film et son alternance de temporalités, qu'on peut identifier par les séquences en couleurs et celles en noir et blanc, complique particulièrement la tâche de compréhension du film. Si l'on se concentre sur la quête de Leonard, trouver et tuer le meurtrier de sa femme, alors le film apporte une conclusion : Leonard a tué celui qu'il pensait être le meurtrier, dans le cas où ce ne serait pas lui-même le meurtrier (ce qui est plus que probable). Mais cette seule conclusion laisse un goût d'inachevé. Pourquoi sa quête est-elle aussi compliquée, labyrinthique, et dangereuse ? Parce que deux autres personnages y participent, et que ces deux personnages poursuivent eux un autre objectif. Il y a l'histoire de Leonard, la sienne, et celle dans laquelle il est embarqué sans s'en rendre compte. Memento est-il donc l'histoire de la folie de Leonard, ou un thriller policier classique (presque), dont la folie de Leonard est un simple élément ? Qui devons-nous croire ?

Teddy et Natalie, rôles très principaux

Qui est qui ? Et qui utilise qui ? Autour de Leonard, deux personnages s'activent, et on croit longtemps que c'est pour l'aider. Évidemment, chacun de ses personnages a son propre objectif. Teddy (Joe Pantoliano) est un policier, son vrai nom est John Gammel, et c'est un policier ripou. Une affaire tourne mal entre lui et Jimmy Grantz, un dealer et compagnon de Natalie (Carrie-Anne Moss). Dans tout ce que Teddy dit à Leonard, mensonge ou réalité, et ce que Leonard en retient, comme fait ou comme idée, rien n'est fait pour faciliter la compréhension. Mais Teddy lui dit au début du film, et donc à la fin de l'histoire, qu'il le manipule et l'utilise pour tuer ses ennemis ou concurrents, qu'il présente toujours comme l'assassin de la femme de Leonard, puisque celui-ci oublie en permanence qu'il l'a déjà tué (une fois de plus, si ce n'est pas lui, et si on croit Teddy...).

Memento
© Warner Bros

On peut donc supposer que lorsque le film commence, Leonard a déjà eu affaire plusieurs fois à Teddy. Sauf que dans l'histoire de Memento, il y a Natalie, qui va manipuler aussi Leonard pour se venger de Teddy et récupérer l'argent de la transaction avortée avec Jimmy, le conduisant au meurtre de Teddy. À la fin de Memento, la relation de Leonard à Teddy n'existe plus, et c'est cette seule relation qui faisait vivre chez Leonard la quête de l'assassin de sa femme. Memento est le lieu de la première rencontre de Natalie et Leonard, et on pourrait aussi supposer que, dans un potentiel épilogue de l'histoire, Leonard est de nouveau entièrement manipulable par Natalie.

Christopher Nolan manipule ses personnages, qui se manipulent entre eux, et eux-mêmes dans le cas précis de Leonard. Qui est l'interlocuteur au téléphone à qui Leonard raconte son histoire et celle de Sammy Jenkins ? On comprend à la fin qu'il s'agit, étant donné les informations reçues par Leonard lors de ces appels, de Teddy. Si ceci n'est pas certifié - on ne voit pas Teddy le faire -, tout y concourt.

Un grand film sur la manipulation

On se rend compte ici combien Memento est un pur film de Christopher Nolan, où l'identité des personnages n'a aucune espèce d'importance et que c'est plutôt leur jeu, le schéma actanciel, leurs mouvements sur un échiquier qui intéressent le réalisateur. Et même si ce n'est pas son ambition, il réussit avec le personnage de Leonard Shelby l'acteur et le personnage de fiction parfait : un être vierge de toute intention, malléable à souhait et "rebootable" en permanence.

On peut donc proposer cette idée : si Memento n'est pas un film expérimental sur l'exploration d'une folie, alors Memento est un film policier magistral sur l'utilisation d'un personnage à des fins criminelles, à son insu. Leonard n'est pas un justicier vengeur, mais la victime d'un flic ripou et d'une veuve d'un dealer, à la fois instrument de crimes "ordonnés" par Teddy, et instrument d'une vengeance passionnelle et intéressée par Natalie. Si l'on ne saura jamais qui est le véritable assassin de la femme de Leonard, si on peut même douter de l'événement, il est en revanche certain que Leonard peut être correctement défini comme un tueur à gages amnésique tournant en rond, prêt à exécuter n'importe quelle action tant qu'elle colle à son désir de réalité... Un vertige ultime, sorti tout droit du génie de Christopher et Jonathan Nolan.