Avec "La Haine", Mathieu Kassovitz fait souffler un vent de renouveau sur le cinéma français en 1995. Pour imposer le titre impactant et jugé effrayant de son drame, le réalisateur a dû faire preuve de pugnacité.
La Haine : la proposition inédite de Mathieu Kassovitz
En 1995, Mathieu Kassovitz s’impose au Festival de Cannes avec La Haine, son deuxième long-métrage. Récompensé par le Prix de la mise en scène, le film débute après une nuit d’émeutes dans une cité de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, qui suit la mise en coma d’Abdel Ichaha, l’un de ses habitants grièvement blessé par un policier au cours d’une garde à vue.
Secoués par les événements, Hubert, Saïd et Vinz se retrouvent. Déterminé à venger Abdel, Vinz dévoile très vite sa trouvaille à ses deux amis : un Smith & Wesson 44 Magnum égaré par un membre des forces de l’ordre pendant les heurts. S’ensuit une journée entre leur quartier et Paris, marquée par des débats autour de la nécessité de faire payer les autorités ou au contraire d’apaiser la situation, ainsi que des rencontres et événements inattendus sur le point de changer leur vie.
Distillant une tension sourde qui n’éclate qu’à de brefs instants, ce qui les rend inoubliables, La Haine est un récit d’amitié, d’ennui et d’errance emmené par un formidable trio formé par Hubert Koundé, Saïd Taghmaoui et Vincent Cassel. Assumant toujours ses influences, comme Taxi Driver, Voyage au bout de l’enfer ou Scarface, le drame est lui aussi devenu une référence grâce à sa pertinence et sa proposition inédite dans le cinéma français.
Outre ses trois comédiens principaux, le long-métrage bénéficie d'apparitions souvent fugaces mais toujours mémorables de nombreux acteurs. Vincent Lindon, François Levantal, Edouard Montoute, Karim Belkhadra, Solo du groupe Assassin, Philippe Nahon et Mathieu Kassovitz lui-même complètent notamment la distribution.
Un titre jugé effrayant
L’impulsion du réalisateur pour le film naît après l’affaire Makomé M’Bowolé, jeune homme de 17 ans tué d’une balle dans la tête lors de sa garde à vue dans le 18e arrondissement de Paris en avril 1993. Les manifestations et affrontements avec les CRS ayant lieu dans la capitale en réaction à la mort de l’adolescent et auxquels participe Mathieu Kassovitz lui inspirent le point de départ de son drame.
Durant l’écriture, le cinéaste s’appuie sur celle de Z de Costa-Gavras, autre long-métrage éminemment politique. Le propos est évoqué dès l’ouverture, avec la fameuse histoire du type qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Une parabole basée sur une ligne de dialogue de Steve McQueen dans Les Sept Mercenaires.
Pour résumer la colère émanant du film, représentée en partie par le personnage de Vinz et certains policiers comme l’inspecteur "Notre-Dame", Mathieu Kassovitz envisage de l’appeler La Haine. Mais ce titre effraie le producteur Christophe Rossignon, qui craint de se voir refuser les autorisations de tournage par les municipalités. Le long-métrage est donc rebaptisé Droit de cité.
"Un faux titre pacifique" selon le directeur de production Gilles Sacuto. Le réalisateur insiste pour que le drame sorte avec son appellation originelle, bien plus honnête et nettement moins condescendante. Ce qui déplaît au maire de Chanteloup-les-Vignes, comme l’explique Gilles Sacuto à Télérama pour le vingtième anniversaire du projet :
Le maire protestera une fois le titre final connu. Et il a exigé de ne pas révéler où l'action se déroule : sur le tournage, on a pris soin de masquer le nom des rues.
Mais le secret n’a pas perduré très longtemps.