Le Dernier Loup : la demande folle de Jean-Jacques Annaud pour le tournage

Le Dernier Loup : la demande folle de Jean-Jacques Annaud pour le tournage

Interdit de territoire chinois après "Sept ans au Tibet", Jean-Jacques Annaud est le premier surpris de se voir proposer en 2009 l'adaptation au cinéma d'un best-seller, "Le Totem du Loup", un succès littéraire chinois furieusement décrié par le pouvoir en place lors de sa sortie en 2004. Ravi de pouvoir raconter cette histoire dans "Le Dernier Loup", il va en profiter pour pousser son légendaire perfectionnisme au maximum et oser une demande très particulière.

Jean-Jacques Annaud fait indéniablement partie des grands cinéastes français, avec une filmographie composée essentiellement de succès critiques et populaires. On ne compte plus ses récompenses, entre l'Oscar du meilleur film en langue étrangère pour La victoire en chantant, deux César du meilleur réalisateur pour La Guerre du feu (1981) et L'Ours (1988), pour ne citer que ceux-là. Avec des succès répétés, notamment Le Nom de la rose avec Sean Connery et Christian Slater, ainsi que la réputation de réussir des films à gros budget, il se retrouve à la réalisation de films très importants comme Sept ans au Tibet, dans lequel il dirige Brad Pitt, et Stalingradoù il fait s'opposer deux tireurs d'élite incarnés par Jude Law et Ed Harris. Jean-Jacques Annaud est un perfectionniste, un obsédé de l'image parfaite et de l'authenticité de ce qu'il reconstitue à l'écran. C'est en partie pour ces raisons que chacun de ses films prend au minimum trois voire quatre ans d'élaboration. Son dernier film, Le Dernier Loup, sorti en 2015, a mis lui encore plus d'années à se faire.

Jean-Jacques Annaud, persona non grata en Chine ?

Ce n'est pas vraiment un secret, les autorités chinoises exercent sur la production culturelle domestique et sur celle, étrangère, qui arrive sur leur territoire, une censure importante. Il faut éviter à tout prix que la Chine, ses dirigeants et son histoire, soient présentés sous un mauvais jour. Lorsque Jean-Jacques Annaud montre dans les salles son Sept ans au Tibet, relatant le séjour de l'alpiniste Heinrich Harrer au Tibet et ses rencontres avec le Dalaï-Lama de 1944 à 1951, la Chine désapprouve la démarche et critique le traitement que lui réserve le film. Déjà, la Chine avait interdit que le tournage se tienne au Tibet, celui-ci étant sous occupation militaire chinoise. À la sortie du film en 1997, ne se satisfaisant pas d'un simple désaveu, la Chine interdit purement et simplement l'accès à son territoire à Jean-Jacques Annaud, Brad Pitt et David Thewlis. Une interdiction qui va être effective pendant une dizaine d'années...

Le dernier loup

Après cette embrouille avec les autorités chinoises qui aura duré une décennie, la relation se rétablit subitement au beau fixe. En effet, pour réaliser une adaptation du roman Le Totem du Loup de Jiang Rong, best-seller sorti en 2004 et d'abord décrié par le pouvoir, ce sont ces mêmes autorités qui invitent le réalisateur français, en 2009 ! Jean-Jacques Annaud, amoureux de la nature et sensible aux théories animalistes, passionné d'histoire et de lieux exotiques, saute sur l'occasion de raconter en images cette histoire d'amitié entre un homme et un loup, placée dans la grande histoire de la Révolution culturelle chinoise, en 1967. Mais il admettra, comme rapporté ici, qu'il a été très surpris de la demande :

Mais j’étais tout de même un peu interloqué Quand j’ai rencontré le producteur Zhang Qiang, je lui ai demandé : "Vous devez savoir que j’ai réalisé un film sur le Tibet ?" Il m’a répondu : "La Chine a changé, et on a besoin de vous".

Parce qu'il a fait L'Ours, mais aussi Deux Frères et des films historiques très remarqués, la Chine fait le pari qu'il racontera bien cette histoire, dans une coproduction avec la France. Tourné en mandarin et en mongol et doté d'un budget de 38 millions de dollars, le film est un succès et en rapporte plus de 125 millions au box-office mondial. Pourtant, ce ne fut pas chose aisée de donner vie à l'écran au roman, puisqu'il y eut besoin de sept ans pour se préparer au tournage.

Des loups élevés spécialement pour Le Dernier Loup

Il faut du temps pour organiser une telle production, ce à quoi est habitué Jean-Jacques Annaud, mais c'était sans compter non pas le dressage mais l'élevage même de loups pour les besoins du film. Et à l'inverse de ce qui s'était passé pour Sept ans au Tibet, quand la Chine avait tout fait pour mettre des bâtons dans les roues du tournage, cette fois-ci Annaud a carte blanche, la Chine lui passant toutes ses conditions. Le cinéaste en profite alors pour tenter une aventure : plutôt que d'utiliser des chiens-loups de la police de Pékin pour figurer les loups des steppes mongoles, il souhaite élever une vraie meute de loups mongols.

Désir formulé très vite exaucé : un spécialiste mondial des loups, le canadien Andrew Simpson, débarque en Chine avec douze soignants pour élever pendant trois ans une trentaine de louveteaux destinés à apparaître dans Le Dernier Loup. Trois ans nécessaires pour qu'ils atteignent leur taille adulte et soient familiarisés avec les humains et les conditions de tournage. Le ranch construit pour élever les loups, dans la banlieue de Pékin, sera reconstruit à l'identique dans les quatre lieux de tournages différents, afin que les animaux ne soient pas perturbés.

Au total, entre la recherche initiale d'un réalisateur chinois, la demande "officielle" d'adaptation en 2009 à Annaud - il tournera d'abord Or noir (2011), l'élevage des loups et le début du tournage, c'est plus de sept ans qui se sont écoulés pour faire de l'adaptation du roman Le Totem du Loup une réalité à l'écran. Une production semblable à une véritable aventure, accordant dans une fresque humaniste des belles places à la nature et à l'homme, et mobilisant enfin beaucoup de ressources ainsi que des centaines de personnes : pas de doute, Le Dernier Loup est un pur film de Jean-Jacques Annaud.