Tuer n'est pas jouer sur France 4 : le James Bond d'avant-garde qui annonçait Daniel Craig

Tuer n'est pas jouer sur France 4 : le James Bond d'avant-garde qui annonçait Daniel Craig

"Tuer n'est pas jouer" est le premier des deux films avec Timothy Dalton dans la peau du célèbre agent. Un James Bond différent, plus sombre et plus ancré dans la réalité que les films de Roger Moore auxquels il fait suite. Un style différent et résolument moderne qui avait de l'avenir, puisqu'il annonçait déjà celui de Daniel Craig. À l'occasion de sa rediffusion le mercredi 10 juin sur France 4 à 21h, on revient sur ce James Bond unique en son genre.

Sorti en 1987, avec Timothy Dalton dans le rôle-titre pour la première fois, Tuer n'est pas jouer n'est pas un James Bond comme les autres. Et celui qui suivra, Permis de tuer, second et dernier film avec l'acteur britannique, renforcera cette identité différente. Le décalage avec les films précédents s'est fait fortement ressentir, notamment au box-office où les deux films réalisent deux des trois pires scores (ajustés) au box-office mondial de la franchise : Tuer n'est pas jouer rapporte près de 339 millions de dollars de recettes, et Permis de Tuer quasi 257 millions de dollars. Bien loin des 887 millions d'Opération Tonnerre, film qui aura détenu le record de la franchise au box-office jusqu'à Skyfall, qui dépassera lui 1,1 milliard de dollars de recettes. Obligé de faire oublier Roger Moore, Timothy Dalton ne disposera que de deux films pour imposer ce décalage. Coupé dans son élan par un litige entre EON Productions et la MGM, l'acteur a ouvert une voie qui sera celle exploitée presque vingt ans plus tard par Daniel Craig.

Tuer n'est pas jouer, un film et un acteur 007 sacrifié ?

Lorsque l'acteur obtient le rôle en 1986, il a 40 ans. Ce n'est pas sa première opportunité, puisqu'il avait été approché pour incarner James Bond après On ne vit que deux fois. Mais jugé trop jeune à l'époque (il avait alors 22 ans), il attendra donc presque vingt ans pour enfin incarner 007. Auditionné parmi d'autres prétendants, dont notamment Sam Neill, Pierce Brosnan et Lambert Wilson, Timothy Dalton n'est pas le premier choix. En effet, le producteur Michael G. Wilson, le réalisateur John Glen ainsi que Dana et Barbara Broccoli ont une préférence pour Sam Neill, et Albert R. Broccoli aime lui beaucoup Lambert Wilson. Pour ne pas faire de jaloux, après des essais filmés le choix se porte sur Pierce Brosnan. Problème, l'acteur est contractuellement tenu par la NBC de poursuivre son rôle dans la série Remington Steele, et Albert R. Broccoli refuse que l'acteur incarnant James Bond apparaisse dans une série au même moment. Pierce Brosnan est très déçu, et c'est finalement sur les conseils de Dana, la femme d'Albert, que Timothy Dalton est engagé et officiellement présenté en octobre 1986.

Timtohy Dalton arrive avec un héritage compliqué à gérer : il doit prendre la suite de Roger Moore dont le style a lassé le public, en plus de ses 58 ans qui commencent à se voir. Ses trois derniers films voient les recettes décroître, et le dernier, Dangereusement vôtre, est pour beaucoup de fans le moins bon film de la franchise. Surtout, le monde change et les scénaristes pensent alors à un préquel ou un reboot, avec dans un coin de leur tête l'idée Casino Royale... Finalement, l'idée retenue sera l'adaptation libre d'une nouvelle de Ian Fleming intitulée Living Daylights (Bons baisers de Berlin pour la publication française). C'est le dernier film James Bond basé sur une histoire originale de Ian Fleming avant... Casino Royale en 2006.

Tuer n'est pas jouer

Timothy Dalton est ainsi coincé entre changer l'allure de James Bond après Roger Moore, mais sans pour autant rebooter la franchise. Pas simple, quand le film est réalisé par John Glen, lui qui vient de signer les trois derniers Roger Moore. Une tâche difficile donc, mais que l'acteur va tout de même réussir en créant un 007 plus violent, moins nonchalant que Sean Connery et moins porté sur l'humour que Roger Moore. Le réalisme apporté au personnage et à l'intrigue - un vaste trafic d'opium durant la Guerre froide, avec son lot de trahisons et d'assassinats sur fond d'occupation soviétique en Afghanistan - est surprenant.

Pour aller avec la flamme vengeresse et violente de Tuer n'est pas jouer, ainsi qu'avec sa noirceur inédite, les différents lieux de l'aventure sont aussi moins exotiques qu'à l'accoutumée : Vienne, Bratislava, l'Afghanistan, etc. Enfin, c'est un des très rares James Bond où l'agent est monogame : sa seule conquête du film est la violoncelliste Kara Milovy, incarnée par Maryam D'Abo. Ainsi, suivant la volonté de la famille Broccoli de rajeunir James Bond et de rehausser sa virilité, le James Bond façon Timothy Dalton est, jusqu'à Daniel Craig, le héros le plus proche du modèle défini dans les nouvelles de Ian Fleming.

Un film au succès moindre mais un virage réussi... Vingt ans après

Parmi les différents interprètes du personnage, Timothy Dalton est celui dont l'intérêt pour James Bond était le plus faible. Il est vrai qu'il s'est révélé sur les planches de théâtre en incroyable comédien shakespearien, et que sur le tournage de ses deux films 007 il se référait toujours à l'oeuvre littéraire de Ian Fleming pour son personnage. En d'autres termes, il ne cautionnait pas les incarnations précédentes, particulièrement celle de Roger Moore, trop fantaisiste et blagueuse à son goût.

Tuer n'est pas jouer ouvre sur la noirceur du personnage, et Permis de Tuer insistera dans cette veine avec sa démission du MI6, à des fins de vengeance personnelle. Une réticence à suivre les ordres sans se poser de questions qui est déjà là dans Au Service secret de Sa Majesté, et ensuite une récurrence dans l'ère Daniel Craig. Un réalisme qui tenait à cœur à Timothy Dalton, comme il le déclarait dans une interview en 1989 :

Je pense que Roger était très bien en Bond, mais les films étaient devenus trop "techno-pop" et avaient perdu le sens de leur histoire. Je veux dire, chaque film semblait avoir un méchant qui devait conquérir ou détruire le monde. Si vous voulez croire l'invention qui se passe à l'écran, alors il faut croire aux personnages et s'en servir comme des tremplins pour entrer dans cette invention. C'est ce que j'ai demandé , et Albert R. Broccoli était d'accord avec moi.

Tuer n'est pas jouer est ainsi un James Bond plus "policier" et moins "aventurier" que ses prédécesseurs. Mais pour autant, certains codes fondamentaux de la franchise persistent. On pense notamment au retour attendu et glorieux à la marque Aston Martin, avec la magnifique V8 - qu'on retrouvera d'ailleurs dans Mourir peut attendre, avec la même immatriculation. Par ailleurs, la musique est de nouveau assurée par John Barry, compositeur iconique de la franchise.

tuer n'est pas jouer

Timothy Dalton a toujours loué son expérience dans la peau de James Bond, et si les films n'ont pas eu autant de succès que la franchise dans son ensemble, son interprétation est appréciée des fans. Alors pourquoi s'arrêter au bout de deux films, quand Sean Connery en a fait six et Roger Moore sept, et alors que Timothy Dalton avait signé pour trois ? Bien plus qu'un rétropédalage de la franchise sur son "virage", c'est en réalité un litige entre EON productions et la MGM qui met un terme à l'ère Dalton.

En effet, en conséquence de ce litige, le dix-septième film de la franchise, sensé être produit en 1990, verra sa production repoussée de cinq ans ! Ce n'est qu'en 1993 que le litige sera enfin réglé et que la production du prochain James Bond pourra envisager sa reprise. Les bases posées en 1990 sont gardées mais, surprise, Timothy Dalton annonce en avril 1994 qu'il ne reprendra pas le rôle. Celui-ci ira ainsi à Pierce Brosnan, pour une sortie de GoldenEye en 1995...

Finalement, la révolution proposée par Timothy Dalton et ses deux films aura ainsi été avortée par un retard de production qui allait bouleverser la franchise et l'obliger à du spectacle pour GoldenEye, afin de reconquérir le public. Et c'est en 2006 que Daniel Craig, avec Casino Royale, reprendra le flambeau de Timothy Dalton : un 007 plus humain, plus soucieux et plus violent.

Tuer n'est pas jouer est à voir mercredi 10 juin sur France 4 à 21h.