Cléopâtre : l’art sulfureux de la séduction en Blu-ray

La reine d’Égypte la plus incontournable parmi toutes est de retour dans les bacs accompagnée de ses mille et une merveilles ! Sorti en salle en 1934, « Cléopâtre » sera disponible en Blu-ray et DVD dès le 25 septembre prochain.

Dirigé par Cecil B. DeMille (Le Signe de la croix), Cléopâtre met à mal la notion de bonnes mœurs lors de son passage au cinéma dans les années 30. Si le film est à contre-courant de la moralité peignant l’entre-deux-guerres par des plans révélateurs du corps de l’héroïne, les nominations aux Oscars pleuvent et le prix de la Meilleure Photographie est remporté en 1935.

Cléopâtre : présentation et critique

En l’an 48 avant Jésus-Christ, la rivalité entre Cléopâtre (Claudette Colbert) et son frère Ptolemy est écrasante. Tous deux luttent pour l’accès au pouvoir en Égypte, allant jusqu’à employer des moyens drastiques. La femme est kidnappée par Pothinos (Leonard Mudie) avant d’être relâchée au milieu du désert en compagnie de son fidèle Apollodorus (Irving Pichel). Ensemble, ils élaborent un plan afin de pénétrer dans le palais de Jules César (Warren William) là où elle compte bien rétablir la vérité en niant avoir quitté le pays de son plein gré.

Son apparition rocambolesque grandiose a laissé une empreinte indélébile à Hollywood puisqu’elle est réutilisée en 1963 dans Cléopâtre avec Elizabeth Taylor (Soudain l'été dernier). Les masques tombent. Peu après, elle séduit le général romain en lui susurrant des idées de richesse par le biais de la domination de l’Égypte mais aussi de l’Inde. Leur alliance est abrégée par l’assassinat de l’homme en déplacement au Sénat où il comptait éclaircir ses intentions politiques et rassurer son peuple. Non, il ne comptait pas se couronner empereur et se marier avec Cléopâtre. Le glas a malheureusement déjà sonné et cette dernière est effondrée en apprenant la nouvelle.

Ses successeurs, Marc Anthony (Henry Wilcoxon) et Octovian (Ian Keith) veulent gagner la confiance des Romains qui tiennent Cléopâtre en mauvaise estime depuis lors. Dans ce but, le premier décide de donner rendez-vous à la Reine à Tarse avec pour intention de faire d’elle sa captive. Rien ne se déroule comme prévu tandis qu’elle fait preuve de sa ruse, de son charme et de son talent de manipulatrice pour lui faire rejoindre son camp. Ce couple n’est pas au goût d’Octovian qui veut imposer sa loi. Il est prêt à tout pour arriver à ses fins, quitte à provoquer une guerre meurtrière.

Une femme nue filmée à contre-jour et l’audience sait ce qui l’attend dès le générique. Cléopâtre est une œuvre luxurieuse qui n’hésite pas à jouer de la sensualité de son casting féminin avec des tenues dénudées, moulantes et des comportements aguicheurs. Bien que l’acte sexuel soit uniquement suggéré à cause du code Hays, la mise en scène métaphorique est une réussite. Qu’il s’agisse des paillettes jetées en l’air comme une expression à l’orgasme, où la main du harpiste semblant caresser le corps de la protagoniste. Cela étant dit, tout n’est pas aussi filtré comme par exemple les sujets féminins de Cléopâtre qui, déguisées en félins, subissent les coups de fouet d’hommes à l’habit douteux. Le résultat est sans appel : cette scène flirte dangereusement avec le sadomasochisme. Difficile de comprendre comment la censure a pu passer outre. L’influence du réalisateur peut-être ?

Le focus du long-métrage ne se porte pas sur les enjeux politiques, économiques et sociaux. En effet, Cecil B. DeMille n’a d’yeux que pour les aventures (faussement) amoureuses de son personnage principal. D’abord sous le charme de César qu’elle indiffère si ce n’est pour sa soif de puissance, les rôles s’inversent aux côtés de Marc Anthony qui tombe éperdument sous son emprise malgré le portrait négatif sous lequel il est d’abord dépeint. Rustre et plutôt naïf, il ne recule devant rien pour rester fidèle à sa bien-aimée qui manœuvre sans cesse. Le cœur de Cléopâtre ne chavire que lorsqu’il se lance dans une guerre pour elle, lui prouvant l’étendue des sentiments qu’il ressent à son égard. N’est-ce pas là la plus grande preuve d’amour ?

Claudette Colbert est pétillante en conférant à la Reine une répartie à la fois crédible et implacable. À travers ses dialogues, elle remet en question la place de la femme au sein de la société. Forte, intelligente et ne manquant ni de toupet ni de malice, les arguments masculins ne sont pas de taille face à la victoire remportée d’avance par la gent féminine.

Les éditions commercialisées

La collection Cinéma MasterClass d’Elephant Films ne cesse de prendre de l’ampleur grâce à des titres s’ajoutant régulièrement à la sélection. Cléopâtre fait partie de la dernière vague en date, proposé dans des boîtiers homogènes à ceux parus antérieurement. Les intéressés ont le choix puisqu’ils peuvent se tourner vers une édition DVD simple ou un combo le rassemblant avec un Blu-ray.

De gauche à droite : DVD, Combo DVD + Blu-ray

 

Test Vidéo/Audio

Cléopâtre a fait l’objet d’une restauration exquise dont les qualités se justifient notamment par le choix de conserver le format 4/3 original. Pas de déformation, d’agrandissement ou de recadrage. Tout a été fait dans le respect de la composition signée Victor Milner (Infidèlement vôtre). L’image se définit par une granularité douce qui ne peut froisser que le public ayant une préférence pour l’aspect lisse des productions nativement en HD. En l’absence de réduction de bruit numérique, les textures sont pures et complexes de la garde-robe extravagante de la protagoniste aux armures, des surfaces métalliques aux gros plans sur les visages de la distribution.

L’impression de profondeur n’est pas transcendante si ce n’est lors des différents travellings avant/arrière mais le piqué ne se contente pas d’être à la ramasse. Ce qui éblouit est aussi la gamme des gris mobilisée, toute en nuances et maîtrise. Aux extrêmes : des blancs pénétrants évitant d’être brûlés et des noirs profonds qui permettent des contrastes saisissants.

Ce nouveau master n’est tristement pas exempt de défauts. En-dehors de quelques poussières et débris extrêmement rares, c’est la baisse de définition durant des fondus qui se fait remarquer. Cet effet semble récurrent à ce type de « mise à jour », allant jusqu’à se retrouver dans la version HD de la série télévisée Friends. Pour finir, les plans lors de la séquence de la bataille aboutissent à un tout visuellement très hétérogène qui livre le meilleur comme le pire.

Accompagnée de sous-titres optionnels, la piste originale est au format DTS-HD 2.0. Ainsi, sa spatialisation est limitée. Les conversations sont compréhensibles sans effort, détaillées et à l’honneur. Néanmoins, les grésillements et sifflements s’emballent au cours des instants les plus agités (cris, parade, bataille…) ce qui est imputable à l’âge du film. L’audio ne s’éloigne pas de sa source en enchaînant des procédés lui faisant perdre de sa saveur et l’actualisant à outrance. Il n’existe pas de doublage français.

Test Bonus

L’éditeur n’a pas lésiné dans l’optique de fournir une interactivité digne de ce nom au spectateur. Ainsi, il a obtenu les droits de trois anciennes featurettes réalisées en 2008 par Universal tout en prenant soin d’offrir du contenu exclusif. Les Français sont bien lotis malgré la disparition du commentaire audio du cinéaste F.X. Feeney (The Big Brass Ring) gravé sur le disque américain.

  • Introduction (1:28 min) : cette présentation des ajouts dans la collection est narrée par le producteur et scénariste Jean-Pierre Dionnet (La Vie promise) avant l’apparition du menu.
  • Cecil B. DeMille par Jean-Pierre Dionnet (10:11 min) : le professionnel commente le parcours du réalisateur en revenant sur l’accueil fabuleux que beaucoup de ses œuvres ont reçu, en particulier le désormais classique Les Dix Commandements (1956). Il ne se retient cependant pas de mentionner le caractère difficile de DeMille qui était considéré par certains comme un « tyran » et un « antisémite » malgré ses origines juives et protestantes. Ces traits négatifs sont contrebalancés par une audace à toute épreuve et un esprit avant-gardiste qui lui a fait prendre des risques lors d’une époque difficile où la censure bat son plein. Notez qu’un bug mineur est présent durant la lecture puisqu’il est impossible de la mettre en pause.
  • Le Film par Jean-Pierre Dionnet (9:39 min) : après avoir mentionné les costumes et la direction artistique, Dionnet atteste de l’influence de Shakespeare sur les personnages de Jules César et Marc Antoine. Il n’omet ni l’aspect sulfureux de Cléopâtre, ni diverses anecdotes comme l’opération de Claudette Colbert l’obligeant à être posée le plus possible et sa phobie des serpents. Le journaliste clôture sur la critique faite autour des dialogues jugés trop contemporain. Selon lui, il s’agit pourtant d’une force car aidant à l’identification. Débat non-dénué d’intérêt.
  • Cecil B. DeMille : le Géant d’Hollywood (10:01 min) : plusieurs intervenants, dont sa petite fille Cecilia DeMille Presley, partagent leur connaissance du cinéaste. Ce supplément, qui n’a pas bénéficié d’une restauration à l’instar des deux suivants, est ponctué d’images et de vidéos d’autrefois. Son exigence, son amour de l’aviation, ses bottes lui permettant de ne pas trop faiblir après une journée debout… Les sujets abordés sont relativement vastes.
  • Claudette Colbert : la Reine du grand écran (9:16 min) : focus sur l’actrice avec ses récompenses, ses plus grands rôles, sa polyvalence, son insistance à ce que seul son profil du côté gauche soit capturé par la caméra, l’effet de la Grande Dépression sur sa carrière et bien plus encore.
  • Films Interdits : Hollywood au temps du Code Hays (9:46 min) : voyage dans le temps à travers cette étude de la censure ayant bercé le cinéma du XXème siècle jusqu’à la disparition du Code de Production remplacé par le système de classification en 1968. Le bonus insiste sur la « rébellion » de DeMille avec Le Signe de la croix qui a défrayé la chronique à cause de sa danse lesbienne couplée à la scène du bain où Claudette Colbert est entièrement nue.
  • Bande annonce (4:14 min) : non-restaurée, présentée par le réalisateur.
  • Dans la même collection : Cecil B. Demille (1:23 min), Le Signe de la Croix (1:31 min), Les Naufrageurs des mers du sud (1:21 min), La Loi de Lynch (2:44 min), Les Conquérants d’un nouveau monde (1:40 min) et Les Tuniques écarlates (1:40 min).
  • Galerie photos (1:29 min) : onze photographies de très bonne qualité sont visualisables en avance manuelle ou automatique.
  • Crédits : page de remerciements à l’égard de tous ceux ayant travaillé sur le disque.

Conclusion

Note de la rédaction

Si le long-métrage de 101 minutes ne bénéficie pas des prises de risques habituelles de Cecil B. DeMille alors soumis à une censure accrue, le cinéaste a recours à des subterfuges lui insufflant du cachet. Rythmé, disposant d’une photographie majestueuse, « Cléopâtre » est un bijou à posséder dans son écrin haute-définition jusqu’ici indétrôné. Barème : Film ★★★ / Vidéo ★★★★ / Audio ★★★ / Bonus ★★★

Sur la bonne voie

Note spectateur : 5 (1 notes)