Les Gardiennes : le monde rural de la Grande Guerre en Blu-ray

L’émancipation des femmes et leur égalité face aux hommes constituent des combats sociaux de grande envergure. Telle une piqûre de rappel historique, « Les Gardiennes » aborde les prémices de cette lutte et s’offre une sortie Blu-ray gravant dans les mémoires cet hommage à la gent féminine.

Les années de la Première Guerre mondiale ont été charnières quant à l’évolution de la situation de la femme dans la société. C’est ce fait que cherche à illustrer le réalisateur Xavier Beauvois en adaptant Les Gardiennes pour le grand écran. Ce dernier s’est notamment fait connaître du public dans cette fonction avec N'oublie pas que tu vas mourir (1995) et Des hommes et des dieux (2010), tous deux récompensés au Festival de Cannes. S’il a « seulement » dirigé huit long-métrages au cours de sa longue carrière, ses crédits en tant qu’acteur sont bien plus riches. Récemment, il a tourné dans le réputé Chocolat (2016), et sera à l’affiche dès septembre prochain dans L'Amour est une fête.

Les Gardiennes : un roman comme source d’inspiration

Aidé de Marie-Julie Maille (La Rançon de la gloire) et de Frédérique Moreau (La belle vie), Beauvois a délivré son scénario sous l’influence des pages écrites par l’ancien instituteur Ernest Pérochon. L’auteur n’en était pas à son premier ouvrage puisqu’il a obtenu le prix Goncourt en 1920 grâce à Nêne, le récit fictif de la vie d’une servante dans le bocage vendéen. Publié pour la première fois en 1924, Les Gardiennes explore quant à lui les difficultés rencontrées par les femmes tandis qu’elles seules sont en mesure de subvenir aux besoins de leur famille respective. Les hommes ayant été envoyés au Front, elles n’ont d’autres choix que de prendre les choses en main et d’empêcher le pays de dépérir.

Si le réalisateur en garde le cœur, sa démarche n’est pas de présenter un copié/collé de l’histoire vendue en librairie. Au contraire, il prend soin de se détacher de la trame narrative afin de mener son adaptation comme il l’entend. C’est du moins ce qu’il a expliqué à AlloCiné lors d’un entretien exclusif.

J'ai l'impression d'avoir totalement trahi le roman, mais au final la substantifique moelle est là. C'est très respectueux. J'ai changé de région, j'ai enlevé des personnes, j'en ai rajouté d'autres. J'ai changé beaucoup de choses, mais je me les suis appropriées. Le roman coulait dans mes veines, comme si je l'avais écrit moi-même. Je pense que c'est une bonne façon de faire.

Malgré cette décision qui peut ne pas faire l’unanimité, le chiffre d’entrée pour l’œuvre cinématographique est tout de même estimé à 489 430 pour six semaines d’exploitation lancées dès le 6 décembre.

Plongeon dans la ruralité

1945. La Première Guerre mondiale fait rage, et les hommes en âge et en état de défendre leur pays sont mobilisés. Leur absence n’est pas sans conséquence dans un monde où la femme ne bénéficie pas des mêmes considérations. Dans une ferme du Limousin, la grisonnante Hortense Sandrail (Nathalie Baye) et sa fille Solange (Laura Smet) reprennent les rênes de leur exploitation tandis que les deux frères et l’époux de celle-ci ont été envoyé sur le terrain. Labourer, moissonner, s’occuper des bêtes, entretien des lieux… Rien ne leur est épargné malgré la distance les séparant des tranchées, et la dureté de la tâche les affaiblis peu à peu car les terrains paraissent infinis.

Sur conseil de Constant (Nicolas Giraud), alors en permission, sa mère décide d’embaucher une aide supplémentaire en la personne de Francine (Iris Bry), une orpheline n’ayant jamais eu l’occasion de voir ne serait-ce qu’une photographie de ses parents biologiques. Véritable force de la nature, sa détermination et son implication sont telles que Hortense décide de prolonger son contrat. Malheureusement, l’amour naissant entre la nouvelle arrivante et le second fils de sa patronne, Georges (Cyril Descours), menace de renverser le lien de respect et d’admiration liant les deux femmes. C’est sans compter sur l’arrivée des Américains qui sera le prétexte idéal afin de porter un coup de poignard dans le dos de l’employée.

Les Gardiennes est un film austère de 134 minutes au rythme lent, technique reflétant la pénibilité du travail éprouvant et répétitif accomplit par ces personnages féminins. Beauvois prend le temps de montrer les gestes et les corvées désormais révolues qu’il leur faut réaliser dans le but de maintenir la ferme en condition de fonctionnement. Le rendement ne doit ralentir, il faut persévérer tout en s’abîmant le corps et en fragilisant sa santé. Cette intrigue permet d’insérer des bouleversements socio-économiques avec l’arrivée de la mécanisation par le biais de la moissonneuse-lieuse. Visuellement, ce labeur est sublimé par la photographie digne d’une carte postale signée Caroline Champetier. Cette dernière joue avec les lumières et tire profit du moindre paysage.

Le long-métrage ne s’arrête pas là, et offre d’autres dimensions à l’aspect historique du scénario. L’attente est un trait particulièrement marqué, ainsi que la hantise d’apprendre une terrible nouvelle. La guerre s’étend à n’en jamais finir, augmentant le risque de voir disparaître un proche. Que vont devenir leur mari ? Leurs enfants ? Plus tôt ce conflit prendra fin, plus les chances de les voir rentrer à la maison seront grandes. Fâcheusement, le combat ne fait pas de cadeaux, et les pertes sont nombreuses. À ces occasions, le réalisateur met en scène l’arrivée de mauvais présage du maire à plusieurs reprises, et des cérémonies rendant hommages aux défunts. L’émotion est là, et sait toucher le spectateur bien que le ton demeure à la retenue.

L’histoire d’amour fleurissant entre les deux protagonistes pourrait paraître mal placée si elle ne représentait pas cette simple vérité : peu importe les horreurs qui se déroulent dans le monde, à quelques kilomètres de chez soi ou de l’autre côté du globe, la vie continue et des sentiments s’épanouissent. L’appréciation du public pour Hortense se voit ternit par sa réaction face à la découverte du couple formé par Georges et Francine. Cruel, ce sabotage n’a d’autre but que celui de préserver la cohésion de la famille.

Avec Les Gardiennes, Xavier Beauvois collabore pour la troisième fois avec Nathalie Baye. De son côté, l’actrice joue pour la première avec sa fille biologique Laura Smet, née de son union avec Johnny Hallyday. Pourtant, s’il y a un bien un membre de la distribution qui se révèle être particulièrement efficace, il s’agit d’Iris Bry qui marque ici ses débuts. Avec une performance touchante, fraîche et authentique, elle vole la vedette à ses co-stars et s’avère être une révélation à suivre des près dans les prochaines années.

Les éditions commercialisées

Actuellement, Les Gardiennes est uniquement disponible en France. Édités par Pathé depuis le 11 avril 2018, le DVD et le Blu-ray sont les uniques options proposées afin d’admirer l’œuvre sur support physique.

De gauche à droite : DVD (visuel non définitif), Blu-ray

Tests Vidéo/Audio

D’après IMDb, Les Gardiennes a été filmé avec une caméra Sony F65 permettant un tournage numérique en 4K. Par conséquent, le grain n’est pas intrusif mais bien plus inexistant. Les amateurs de pellicules argentiques ne trouveront donc pas leur compte avec ce long-métrage. Les paysages de cartes postales délivrés par le disque, ainsi que les décors, bénéficient d’un niveau de détails poussé ajoutant une dose de réalisme. La texture des costumes est aussi complexe, et agréablement rendue par un master précis et en grande forme. Différentes teintes bleutées sont restituées avec aisance, donnant un cachet appréciable qui ne se noie jamais dans un étalonnage poussif.

Le Blu-ray propose trois pistes sonores dans la langue de Molière. Les deux versions sont encodées en DTS-HD 5.1 et DTS-HD 2.0. La dernière est quant à elle une piste audiodescriptive en DTS 2.0. Si vous préférez des effets surround poussés, il vous faut évidemment privilégier le 5.1. La spatialisation est efficace sans être dans l’excès, et les dialogues sont intelligibles et principalement frontaux. La piste est aussi dynamique qu’elle peut l’être en vue du calme et de la poésie dégagés par Les Gardiennes, mais la scène du cauchemar tranche singulièrement avec cette ambiance.

Test Bonus

Point noir pour l’interactivité. Si l’éditeur fait preuve d’originalité dans ses choix, l’absence d’un documentaire sur l’évolution de la place occupée par la femme au sein de la société française (et des représentations) est regrettable. Aussi, le making-of se fait remarquer par son absence, omission qui n’est pas compensée par un commentaire audio inexistant.

  • Scène coupée (4:44 min) : tout d’abord, il ne s’agit pas d’une scène inédite/coupée au montage. Non, en vérité, ces quelques minutes présentent le tournage d’une séquence qui a tout d’un bêtiser. Pris de fous rires incontrôlables, Nathalie Baye, Gilbert Bonneau et Nicolas Giraud rencontrent bien des difficultés pour garder leur sérieux, et enchaînent les prises.
  • Michel Legrand enregistre la musique du film (4:35 min) : deuxième collaboration entre le compositeur et le réalisateur. Michel Legrand revient sur ses compositions, et des images le montrant jouer sur son piano ou en compagnie de l’orchestre lors de l’enregistrement sont dévoilées.
  • Gilbert Bonneau – le casting (6:31 min) : le paysan-agriculteur a tourné une vidéo où il témoigne de sa motivation et partage ses activités quotidiennes ainsi que son histoire personnelle.
  • Essais casting et scène finale – Iris & Mathilde (3:33 min) : Mathilde Viseux et Iris Bry récitent leur texte face à la caméra, dans des conditions de casting. Deux extraits du film, de durées importantes, entrecoupent les essais.

Conclusion

Note de la rédaction

« Les Gardiennes » est une œuvre à deux doigts de la contemplation, rendant hommage au dévouement des femmes pour leur foyer et leur patrie lors de la Première Guerre mondiale. À l’instar des moyens dévoués à l’agriculture, le statut de la gent féminine évolue. Quant au Blu-ray, sa qualité technique est exemplaire, mais ses bonus sont bien trop maigres. Barème : Film ★★★ / Blu-ray ★★★★★ / Bonus ★

Sur la bonne voie

Note spectateur : Sois le premier