The Florida Project en Blu-ray : la misère dans l’ombre de Disney World

À quelques pas du gigantesque parc d’attraction aux grandes oreilles plein à craquer de touristes, vit une population précaire. C’est à celle-ci que s’intéresse « The Florida Project », établissant un triste parallèle entre ces deux réalités diamétralement opposées. Ce long-métrage haut en couleur est édité par Le Pacte en DVD et Blu-ray depuis le 9 mai 2018.

Avec The Florida Project, Sean Baker réalise son sixième film dont il a signé le scénario aux côtés de son fidèle collaborateur Chris Bergoch (Starlet). S’il possède bien une création s’étant particulièrement faite remarquée ces dernières années, il s’agit sans nul doute de l’engagé Tangerine (2015). Récompensé par le jury du festival de Deauville, il fait réagir son public en contant les tristes péripéties de deux prostituées transgenres fréquentant le Donut Time.

Par le biais de son dernier projet, il remet le couvert de l’étude de ces individus se trouvant dans une situation sociale et financière précaire. Pourtant, lorsqu’il est interrogé sur ce qui semble être, au premier abord, une pseudo fascination, il déclare :

C’est vrai que pour mes cinq derniers films je me suis intéressé à une population un peu marginale. Mais mes films viennent surtout de situations où je vois qu’il y a une communauté sur laquelle j’ai envie d’en savoir plus, et qui ne sont pas forcément énormément représentés à la télévision ou au cinéma. Ce serait bien qu’il y ait plus de films qui racontent les histoires de ces communautés, auquel cas je ne serai alors plus considéré comme « le » réalisateur des marginaux !

Florida a entraîné 167 396 entrées en France, et a engrangé plus de 5, 9 millions de recettes sur le sol américain. Mieux encore, il est nominé aux Oscars. Produit par un studio indépendant, c’est là une véritable réussite !

The Florida Project : « bienvenue au royaume enchanté »

Tel est le slogan adopté par Le Pacte sur la jaquette des supports physiques. Autant dire qu’à travers les yeux d’enfants s’émerveillant de chaque situation pouvant leur faire oublier l’instabilité de leur existence, on y croirait presque. S’il est impossible pour la petite Moonee (Brooklynn Prince) et ses acolytes Dicky (Aiden Malik) et Jancey (Valeria Cotto) de se rendre à Disney World - pourtant à deux pas -, tout terrain est propice à se transformer en parc mêlant rires et aventures. Ainsi, une vieille bâtisse abandonnée aux squatteurs devient un Phantom Manor à dégrader, et la joyeuse parade de personnages fictionnels est remplacée par un troupeau de vaches admiré dans un champ. Critique d’un monde de consommation mettant à mal les plaisirs simples de la vie, et aliénant une partie non-négligeable de la société (ici, américaine).

Derrière cette joie de vivre propre à l’enfance, se dévoile un pan bien plus sombre que ce que la chanson Celebration de Kool & The Gang laisse envisager en rythmant le générique d’ouverture. Le spectateur découvre deux motels, dont le Magic Castle qui abrite aussi des victimes du mal-logement du pays. Il ne s’agit pas d’un vulgaire décor, mais bel et bien d’une bâtisse existante, insufflant une authenticité rare à l’œuvre cinématographique. Les figurants, qui ne sont autres que des habitants du coin, donnent vie à ces familles sans le sou, à ces parents célibataires, et à ses camés. Parmi eux : Halley (Bria Vinaite), la mère de Moonee, qui lutte sans cesse afin de pouvoir payer son loyer. Rassemblant le peu de dignité qui lui reste, elle enchaîne les jobs sans avenir, improvisant au jour le jour pour être en mesure de rassembler la somme nécessaire. Si ces gains dépassent toutes espérances, la jeune femme en profite pour dévaliser les magasins de jouets avec son enfant. Une relation forte les lie l’une à l’autre, bien que Halley éprouve des difficultés à se comporter en adulte responsable. Par conséquent, elles paraissent bien plus souvent bonnes amies que mère et fille.

Ses abus de langage, sa répartie et ses autres excès, déteignent sur l’influençable Moonee, qui enchaîne les bêtises et les insultes. C’est d’ailleurs-là que le bât blesse. Si l’audience est surprise dans un premier temps et se laisse prendre au jeu, elle se lassera relativement vite d’un The Florida Project qui mise davantage sur une chronique de ces exactions plutôt que sur un fil rouge exploitant tout le potentiel du sujet. En outre, beaucoup d’éléments concernant le passé de ce duo, et qui auraient pourtant contribué à le renforcer, ne sont pas mentionnés au cours de ces 111 minutes. Par exemple : qui est le père de la gamine ? Où se trouvent les proches de Halley ? Pourquoi ne l’aident-ils pas à remonter la pente ? Et, s’ils n’en ont pas les moyens financiers, à quoi est dû cette absence de communication entre eux ? Si ces questions ne passionnaient pas le réalisateur, peut-être seraient-elles parvenues à élever le film d’un cran supplémentaire.

Les personnages secondaires ne sont pas aussi développés qu’ils auraient pu l’être, mais Willem Dafoe (The Grand Budapest Hotel) fait des merveilles dans son rôle de sous-gérant. Personnalité la plus reconnue au sein de la distribution, il est la figure paternelle, et le protecteur de ces locataires brisés par les aléas de la vie. Derrière sa fonction, Bobby est profondément attaché à ces derniers, se glisse dans la peau de médiateur lorsqu’un conflit éclate. S’il est en incapacité de les extirper à leurs malheurs, son humanité le pousse à faire de son mieux en leur offrant une présence parfois ferme, mais rassurante et chaleureuse. Il brille en protégeant les enfants d’un pédophile en vadrouille, prédateur angoissant, près des innocents de la résidence. Un ange gardien du 21ème siècle ?

La scène finale clôt avec émotion (et une interprétation exceptionnelle de Brooklynn Prince qui livre des sentiments si longtemps refoulés par son personnage) un long-métrage dont le rythme ne cesse d’alterner d’un extrême à l’autre.

Les éditions commercialisées

Le Pacte distribue une édition simple DVD, ainsi qu’un Blu-ray de The Florida Project. Il est rare (pour ne pas dire que c’est impossible) que la FNAC propose une exclusivité relative aux films indépendants et, malheureusement, ce n’est pas cette sortie qui changera la donne.

Du côté des États-Unis, Lionsgate Films propose une jaquette différente représentant l’héroïne, et où se décèlent le motel ainsi qu’un arc-en-ciel renvoyant à une scène spécifique. Les collectionneurs et passionnés du métrage n’y verront qu’un mince intérêt puisque le disque ne recèle ni piste audio ni sous-titres en français.

De gauche à droite : DVD, Blu-ray, Blu-ray + Digital (USA)

Test Vidéo/Audio

Si Tangerine avait été filmé à l’aide d’iPhone, le cinéaste a ici eu recours à une méthode on ne peut plus traditionnelle : la pellicule 35mm. L’an dernier, il revenait sur ce choix en confiant à CinéSéries :

J’ai eu le budget et les moyens de tourner en 35mm et je m’en réjouis. Je voulais vraiment avoir ce rendu très particulier de la pellicule. Cette esthétique très riche et très organique que celle-ci peut apporter. Je pense vraiment que le film n’aurait pas été le même s’il avait été tourné en numérique…

Et on peut le certifier : The Florida Project marque des points avec sa photographie dirigée par Alexis Zabe (Lumière silencieuse). Tandis que certains regretteront l’existence d’un Blu-ray 4K dérivé du master de cette même définition, ils ne pourront que reconnaître à quel point le format Full HD fait parfaitement son travail. En-dehors de très rares rayures, la qualité d’image est impeccable.

Les couleurs vives ne manquent pas sous le ciel d’un bleu lumineux durant un été humide de Floride. Les bâtisses, tantôt jaune poussin, tantôt mauve et autres teintes fantaisistes, imposent une palette vibrante à des années-lumière des drames que dissimulent leurs murs. Si, en lisant le synopsis, le public peut s’attendre à des images désaturées et sombres - style fréquent pour ce genre de cinéma -, il n’en est rien. Au contraire, Sean Baker et son équipe vont à l’encontre des normes Hollywoodiennes en instaurant une ambiance de comédie à une histoire qui n’en est pas une.

La délinéation est forte, introduisant une impression de profondeur maîtrisée. La richesse des détails intrinsèque à la pellicule permet de mettre en avant l’usure des habits, mais aussi les tatouages, la texture de la peau lors des gros-plans, etc. Tous ces éléments combinés permettent de diffuser des plans splendides (feux d’artifices, couchés de soleil…) faisant passer un bon moment à tous.

La piste sonore anglaise est encodée en DTS-HD 5.1, à l’instar du doublage français. Immersives, les effets surround sont fortement représentés, en particulier lors des scènes en extérieur. Les décollages de l’hélicoptère jouent ainsi sur la présence des différents canaux, tout comme le bruit de la circulation permanente. Bien sûr, n’étant pas un film où se côtoient explosions et violence, les basses donneront le meilleur d’elles-mêmes lors du générique d’ouverture. Autrement, les dialogues sont clairs et audibles. Une bonne expérience sonore. Également disponible : une piste audiodescriptive DTS 2.0.

Test Bonus

Le contenu est similaire à celui de La Région Sauvage avec, par conséquent, les mêmes manques, mais aussi des réussites identiques.

  • Making-of (22:01 min) : plus court que celui de l’œuvre précédemment citée, le supplément a donc un rythme plus soutenu. Les premières images prennent place le 11 juin 2016, et s’étendant ensuite sur une période d’une trentaine de jours. Discussions, débats, répétitions, tournage, réunions… Même la célébration de l’anniversaire de l’acteur Willem Dafoe est brièvement dévoilée ! La bonne humeur est au rendez-vous, notamment lorsque le réalisateur décide de « vomir » à son tour en guise d’exemple à Bria Vinaite. Après des problèmes de nuisances sonores en plein tournage, le supplément s’achève sur une note positive : l’arrive d’un splendide arc-en-ciel qui n’aura pas à être ajouté en post-production. Le hasard fait parfois bien des miracles.
  • Entretien avec le réalisateur Sean Baker (10:48 min) : filmé lors de son passage à Cannes, l’homme fait part de ses motivations à se trouver derrière la caméra et ses inspirations. Ce qu’il souhaite, c’est que l’audience soit amenée à s’interroger après le visionnage. Que peuvent-ils faire pour aider cette population en difficulté ? Pourquoi de telles conditions existent-elles ? Baker aborde ensuite le casting, et Samantha Qan, la professeur d’art dramatique, qui est parvenue à rendre le tournage aussi amusant pour les plus jeunes.
  • Entretien avec l’actrice Bria Vinaite (10:27 min) : retour sur le message privé du réalisateur qui a changé sa vie. En effet, elle fut découverte par ce dernier via son compte Instagram. Désormais, elle ne compte plus s’arrêter et espère pouvoir se construire une carrière. Vinaite traite aussi de l’authenticité de The Florida Project, développe son personnage, et révèle être en contact fréquent avec sa « fille au cinéma ».
  • Bêtisier (2:45 min) : entre joies de tous, et crises des plus jeunes. Un bon moment démontrant les moments appréciés du tournage.
  • Bande-annonce (2:09 min) : en HD.

Conclusion

Note de la rédaction

Derrière ses visuels rose bonbon, « The Florida Project » est un film traitant d’un problème social lourd : celui de la survie dans des conditions périlleuses. Pourtant, grâce à un goût ici prononcé pour la comédie, Sean Baker ne perd pas son public dans du misérabilisme à trancher au couteau. Quant au Blu-ray, ses prestations techniques sont irréprochables, et ses suppléments sont conséquents. Barème : Film ★★★ / Blu-ray ★★★★★ / Bonus ★★★

Bilan très positif

Note spectateur : Sois le premier