1917 : Sam Mendes réalise son chef-d'oeuvre

1917 : Sam Mendes réalise son chef-d'oeuvre

CRITIQUE / AVIS FILM - Huitième film du cinéaste britannique Sam Mendes, le film de guerre "1917" avait a priori fort à faire au sortir d'une année de cinéma très riche. Monté en un seul long plan-séquence, d'une maîtrise et d'un réalisme hallucinants, 1917 est un chef-d'oeuvre du cinéma.

Un grand film a toujours cette qualité : il permet de regarder d'autres grands films avec un nouvel éclairage. Les grands films entretiennent entre eux un dialogue infini, forcément vertueux, sur ce qu'ils sont en eux-mêmes et ce qu'ils sont dans l'histoire du cinéma. L'année 2019 a eu son lot de grands films et, pour n'en citer que quelques-uns, on peut penser à Parasite, Once Upon a Time... in Hollywood ou encore JokerSorti tout début 2020, 1917 s'inscrit sans hésitation dans la catégorie des chefs-d'oeuvre. Face à ces films, 1917 a déjà été récompensé de deux Golden Globes en 2020 - meilleur film et meilleur réalisateur pour Sam Mendes. La Première Guerre mondiale est un épisode charnière de l'histoire de l'humanité, 1917 est l'année charnière de cet épisode, et le film 1917 est un film charnière dans l'histoire du cinéma.

Une expérience cinématographique unique

Sam Mendes cultive la discrétion, et on aurait ainsi tendance à oublier qu'il est un des cinéastes les plus talentueux de sa génération. 20 ans après son premier film American Beauty (déjà une grande oeuvre), le Britannique revient sur le devant de la scène avec 1917. Après Les Noces rebelles et Away we go, et surtout les deux derniers James Bond, Skyfall et Spectre, Sam Mendes ne pouvait qu'offrir quelque chose de différent.

1917 est filmé comme un seul long plan-séquence. Presque à la manière du poème de Rimbaud, Le Dormeur du val, le film s'ouvre sur deux soldats au repos, mais eux sont bien vivants. Schofield (George MacKay) et Blake (Dean-Charles Chapman), deux jeunes soldats anglais, sont assoupis. Ils sont réveillés et conduits devant un général (Colin Firth), qui leur confie une mission de la plus haute importance et très risquée : délivrer un message au 2nd Bataillon du régiment du Devonshire, sur le point de tomber dans un piège qui coûterait la vie à plus de 1600 hommes, dont le frère de Blake. Le temps de cette magistrale exposition, la caméra n'a pas quitté les deux soldats. Et elle ne les quittera plus durant quasiment deux heures.

1917

On suit Schofield et Blake dans l'horreur du no man's land, une terre ravagée par la guerre, où les cadavres de chevaux et d'hommes se fondent dans la boue. Le silence est étourdissant et, paradoxalement, sublimé par la musique de Thomas Newman, collaborateur fidèle de Sam Mendes. Les deux jeunes hommes s'enfoncent avec prudence dans les tranchées alliées et ennemies, désertes et piégées. Jusqu'à une première confrontation, dramatique et spectaculaire, avec l'ennemi. La caméra n'a pas quitté leur chair, passant de leur dos à leur regard, de leurs têtes casquées à leurs corps entiers s'abîmant dans les barbelés ou dans les cratères infestés de rats. Nous les voyons, et parce que la caméra tourne autour d'eux, nous voyons aussi ce qu'ils voient.

Bien sûr, cet unique plan-séquence est un montage de plusieurs prises de vue, et ces images et ce montage sont d'une qualité phénoménale. 1917 est un film de sensations pures, un véritable "son et lumière", et il est impossible de voir les raccords entre les plans, même si on s'y obligeait, tant l'immersion est puissante. Un chef-d'oeuvre de photographie et de montage qui doit beaucoup à Roger Deakins, lui aussi un collaborateur fidèle du réalisateur, et un des plus grands directeurs de la photographie de l'histoire du cinéma.

Un film de guerre à la fois fidèle au genre et entièrement inédit

1917 est un film de guerre, et Sam Mendes explore certains des thèmes classiques du genre : l'héroïsme, la fraternité, et le voyage intime d'un individu confronté à l'horreur de la guerre. Mais comme dans Jarhead, la guerre a la forme d'un fantasme, une expérience poursuivie. Comme l'ennemi s'est essentiellement retiré des lieux parcourus, Schofield se retrouvera seul à la poursuite du conflit, pour le prévenir. L'héroïsme du geste en est grandi, d'autant plus qu'il apparaît désespéré. La guerre est représentée dans son horreur, effectuée et acquise, tout n'est que mort et ruines. Dans ce rôle, George MacKay est particulièrement inspiré, avec une vitalité contredisant la pâleur et l'apparente première indifférence de son personnage.

1917

Le coup de maître de Sam Mendes est de faire de 1917 un voyage, comme l'est Apocalypse Now ou Voyage au bout de l'enferdeux descentes dans la folie humaine. Le voyage de 1917 est lui une expérience sensorielle démente, où les repères d'espace et de temps sont abolis. C'est un des effets bouleversants de ce long plan-séquence : il n'y a aucune étape, aucune pause dans la narration, rien qui pourrait permettre une respiration et une mise à distance. Et si le film atteint ainsi un très grand réalisme, il déploie aussi une ambiance d'étrangeté unique, cette sensation de suspension qu'on ne retrouve que dans les cauchemars ou les hypnoses. Quand Il faut sauver le soldat Ryan ne visait qu'un exceptionnel réalisme, 1917 y ajoute lui la terrible expérience de perdition mentale de la guerre.

1917 est le plus grand film sur la Première Guerre mondiale

1917 est un film très important, parce que le traitement de son sujet est un immense défi. En effet, dans ces années, le cinéma est muet, en noir et blanc, et Charlie Chaplin fait ses débuts au cinéma. Le premier long-métrage de l'industrie hollywoodienne sort en 1914, Le Mari de l'indienne réalisé par Cecil B. DeMille. À la différence des films sur la Seconde Guerre mondiale, et a fortiori ceux sur la guerre du Viêt Nam, de loin la guerre la plus cinégénique, les images contemporaines de la Première Guerre mondiale sont extrêmement rares. Alors, comment filmer cette guerre ? Quels témoignages utiliser ? Comment la représenter ? 

Il y a donc, a priori, une liberté à prendre, un champ vierge à explorer. Mais cette liberté peut aussi être terrifiante : faut-il proposer un traitement sobre ? Ou au contraire choisir une forme inédite, moderne, exploitant au maximum les technologies d'aujourd'hui ? Sam Mendes a choisi la seconde option, et c'est finalement la meilleure manière de rendre hommage à ces soldats, et retrouver une mémoire quasi vivante de ce terrible épisode de l'histoire mondiale. Même si on ne peut ignorer des films comme La Grande Illusion et Les Sentiers de la gloire, des films frontalement critiques, 1917 semble bien être de loin le film le plus abouti, le plus investi, et le plus saisissant sur la Première Guerre mondiale. Sam Mendes a écrit cette histoire en s'inspirant du témoignage de son grand-père, qu'il a enrichi. Ce traitement personnel est d'autant plus beau que sa résonance est universelle.

C'est pourquoi le simple titre 1917 suffit, c'est pourquoi l'affiche a cette étrange allure, et enfin c'est aussi pourquoi la pléiade de têtes d'affiche qu'on aperçoit dans le film, Colin Firth, Benedict Cumberbatch, Mark Strong ou encore Andrew Scott, est anecdotique - nonobstant le fait qu'ils y soient brillants. 1917 est un très grand film de cinéma, dans le moindre de ses détails jusqu'à sa majestueuse totalité. Il est évidemment un grand favori aux Oscars, dans les dix catégories où il est nommé, et d'ores et déjà une des plus belles œuvres du 7ème art.

 

1917 de Sam Mendes, en salles le 15 février 2020. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

La tâche de décrire avec de simples mots ce qu'est le film 1917 est difficile. Preuve s'il en est qu'il est bien un chef-d'oeuvre du cinéma, à tous les niveaux. À voir absolument.

Note spectateur : 3.63 (3 notes)