Doubles vies : savoir lire entre les lignes

Doubles vies : savoir lire entre les lignes

CRITIQUE FILM - Entrainer Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne, Nora Hamzawi et Christa Théret dans une comédie chorale, avec comme toile de fond le monde de l’édition, Olivier Assayas l’a fait. Avec brio ? « Double vies » n’est pas qu’une simple comédie, mais une satire sur la pensée bohème, les vérités et ce qu’elles peuvent cacher : des mensonges.

Du plus loin qu’on puisse se souvenir, il n’y a pas eu beaucoup de films traitant de cette autre forme d’expression artistique qu'est le livre. L’univers de l’édition peut être méconnu et n’est sûrement pas facile à filmer. Olivier Assayas, remis de Sils Maria et de son ovni Personal Shopper, a confié rêver de ce projet depuis le début du siècle.

Au départ conçu comme une sorte de nouvelle, jamais suffisante pour le grand écran, le temps a finalement permis à Doubles vies de mûrir comme il se doit et de pouvoir traiter de ses nombreux thèmes jusqu’au bout. Des sujets de conversations qu’on a déjà tous entendus entourés de ses amis (ou pas), en tout cas autour d’un bon verre de vin - comme les nouvelles technologies et leur impact sur nos fondamentaux.

Quand les bobos s’en mêlent

Le livre se meurt. Les smartphones, les tablettes, les liseuses bâtissent nos futures libraires. On ne veut plus tourner de pages, mais scrollerVoilà le postulat de base, sur lequel le cinéaste calque son personnage pilier : Alain, campé en force tranquille par Guillaume Canet. Un parfait dirigent d’une célèbre maison d’édition (dont le nom n’est d’ailleurs jamais mentionné), qui expérimente (un peu trop) avec sa responsable du numérique Laure (Christa Théret). Sa femme, Selena (Juliette Binoche, impeccable), actrice frustrée par un rôle de « policière » qui ne lui convient plus, a elle aussi un amant… Pendant ce temps-là, Léonard (Vincent Macaigne), écrivain incompris et bohème, a toujours en travers de la gorge le refus de publication d'Alain de son dernier roman, Point final. Il peine à se confier auprès de sa femme, Valérie (Nora Hamzawi), agent sans faille d’un homme politique reconnu.

Critique Doubles vies : savoir lire entre les lignes

Le film, qui dépeint le tumulte entre ces deux couples, ouvre grand ses portants et cumule avec surprise les propositions. C'est bel et bien du cinéma, qui parle de littérature en se la jouant pièce de théâtre. La scène d’ouverture, captivante, est d’emblée un cas d’école pour le reste du film. Les personnages y déversent leurs logorrhées, se lancent des pics et tentent vainement de se comprendre les uns les autres. La divergence d’opinions resurgit à de nombreuses occasions, lorsque Assayas désire pimenter une scène d’apéro, voire même une simple discussion dans le creux d’un canapé. Tout est bon pour se lancer dans des discussions de sourds. Le spectateur se délecte ou déteste. Il n’y a pas d’entre-deux.

La règle du jeu

Doubles vies est avant tout un film d’acteurs. Habilement écrit, pouvant même être surchargé de dialogues, le long-métrage laisse toutefois une large place à l’interprétation. On ne vire jamais dans l’improvisation, ou presque. Un défi inédit, pour le cinéaste et ses acteurs. Faire vivre un dialogue dans l'échange et la spontanéité la plus totale. Un peu à l'image, dans de moindres mesures, du cinéma de Woody Allen. On pourrait même aller plus loin encore, en citant Mektoub My Love d'Abdellatif Kechiche (sans l'aspect sulfureux). Heureusement, Assayas ne s’est pas entouré de n’importe qui. Ce jeu de dialogues est presque un sans-faute. Au-delà d’un sentiment de complaisance, qu’on peut ressentir devant une scène où l’unique débat est l’avenir de la lecture (faut-il vraiment être effrayé par le progrès ?), on jubile, la plupart du temps, devant ce flot de paroles incessant.

Si on gratte un peu la surface, il y a l’écriture des personnages, presque tous plongés dans l’abîme d’un second rôle. Macaigne, le romancier qui ne peut s’empêcher d’être dans l’auto-biographie, Binoche qui joue l’actrice… Doubles vies, littéralement. Une idée qui fait écho au roman de Léonard, comme le rappelle Assayas, dans notre récent entretien à propos de ces personnages "qui ont à la fois leurs vies réelles, et leurs vies de fiction." Mais ce jeu de tromperie et de pouvoir, qui peut même virer au thriller burlesque, pourrait se terminer de bonne manière. Assayas réunit ses personnages dans un dernier huis clos gorgé de soleil. Comme si finalement, dans l’adversité, on finissait tous par se retrouver et peut-être par s’aimer enfin.

 

Doubles vies d'Olivier Assayas, en salle le 16 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Habile jeu de langage et de pouvoir intellectuel, "Doubles vies" est un retour théâtrale réussi pour Olivier Assayas. Grinçant et satirique.

Note spectateur : 4.1 (1 notes)