Ils sont vivants : la délicate maladresse des belles premières fois

Ils sont vivants : la délicate maladresse des belles premières fois

CRITIQUE / AVIS FILM - Jérémie Elkaïm met en scène Marina Foïs dans son premier film, "Ils sont vivants", une ode délicate à l'humanité et une jolie profession de foi dans la puissance révolutionnaire du sentiment amoureux. Un film qui ne réussit pas tout mais qui dessine une très belle promesse.

La première réalisation de Jérémie Elkaïm

On connaissait l'acteur, il faudra maintenant compter sur Jérémie Elkaïm en tant que réalisateur. Pour son premier film derrière la caméra, Ils sont vivants, il met en scène une adaptation du livre de Béatrice Huret et Catherine Siguret Calais mon amour. L'histoire vraie de Béatrice, calaisienne et veuve d'un policier sympathisant FN. Un soir, alors qu'elle rentre du centre médical où elle est aide-soignante, elle raccompagne en voiture un migrant à la "jungle" de Calais.

Là, elle va rencontrer un migrant iranien dont elle tombe amoureuse. Un bouleversement dans sa vie, qui va ainsi tout remettre en cause. Cette histoire d'amour, dotée d'une grande force politique, c'est d'abord Marina Foïs qui la découvre et apporte le projet d'adaptation au primo-réalisateur.

Ils sont vivants
Ils sont vivants ©Memento Distribution

Ils sont vivants, une histoire de renaissance

Comme un échange de bons procédés, Jérémie Elkaïm, à la manière de John Cassavetes, colle sa caméra à Marina Foïs (Béatrice) et laisse son interprète donner le rythme du film. Presque murée dans le silence suite au décès de son mari, policier, elle vit modestement avec sa mère et son fils adolescent, dans un milieu où les migrants n'ont pas vraiment bonne presse. Mais dès le début du film, avec une séquence captivante d'entrée dans la "jungle", on devine que la distance de Béatrice ne va pas tenir longtemps. Elle souhaite se rendre utile auprès des migrants, ce qui surprend son entourage, qui y voit même une forme de trahison. Mais veut-elle se rendre utile par pure empathie ou le fait-elle, aussi, pour se sauver elle-même, dépasser son deuil et changer son morne quotidien ?

Ils sont vivants cherche délicatement sa justesse, comme Béatrice cherche la sienne. Il y a la matière sociale et politique qui compose son parcours, une précarité qui menace, un environnement politique extrémiste, mais il y a aussi la pureté de sa rencontre avec Mokhtar (Seear Kohi), enseignant iranien qui tente de rejoindre l'Angleterre. Ils s'aiment, mais il ne peut pas rester, et elle ne peut pas l'accompagner. À partir de là, la naissance de cet amour impossible va donner lieu à une renaissance de Béatrice, qui va retrouver l'émotion du sentiment amoureux, et un sens nouveau à sa vie.

Ils sont vivants
Ils sont vivants ©Memento Distribution

Marina Foïs est bouleversante, d'abord dans son jeu en retenue, puis dans l'expression libérée de son amour. Alors arrivent les sourires, revient la sympathie, et l'espoir d'une fin heureuse pour Mokhtar devient l'obsession de Béatrice. Seule contre tous, elle va renaître grâce à cet amour, et Jérémie Elkaïm réussit de très jolies scènes intimes, confondant la jolie maladresse des amants et aussi, un peu, la sienne.

Une politique de l'intime dans un film incomplet

En tant que premier film, Ils sont vivants a le défaut commun d'excès d'amour. L'amour de son sujet d'abord, celle d'une histoire amoureuse qui révèle que le politique est intime, et aussi la fascination pour son actrice principale. Ainsi, comme il arrive parfois, le tempo du film devient celui de son interprète, parce que la mise en scène ne trouve pas la bonne distance de traitement.

Il y a évidemment un discours militant dans Ils sont vivants, celui de la solidarité, de l'humanité, de l'altérité, mais on le perçoit surtout via l'évolution de Béatrice, beaucoup moins dans l'environnement, le paysage plus large et en arrière-plan que Jérémie Elkaïm ne parvient pas entièrement à cadrer. Un écueil difficile à éviter quand la caméra est le plus souvent portée à l'épaule et au plus proche des mouvements de l'actrice principale.

Mais ce n'est pas un raté, parce qu'en se focalisant sur Béatrice et Mokhtar, le film montre avec grâce qu'une politique concrète trouve sa vérité dans les relations intimes, et non pas dans les images désincarnées que montrent les chaînes d'information et dont se sert le personnel politique pour faire ses discours xénophobes. C'est dans les yeux, dans les gestes, dans les mots, enfin dans la découverte sensible de l'autre que l'humanité se révèle, et nulle part ailleurs. Cependant, la force du cinéma est aussi de pouvoir imager une relation particulière vers un principe universel, et c'est ce qu'Ils sont vivants ne parvient pas totalement à rendre.

Ils sont vivants
Ils sont vivants ©Memento Distribution

Ainsi, les autres relations de Béatrice, avec son fils, sa mère, ses amis dont elle s'éloigne à mesure qu'elle renaît, peuvent sembler anecdotiques. Alors qu'il y avait là sans doute matière à faire une peinture plus large de la société. On note en exception le personnage interprété par Laetitia Dosch, qui parvient à montrer le cynisme de l'appropriation à des fins personnelles d'une cause militante.

In fine, Jérémie Elkaïm réussit un très joli premier film, avec de grandes qualités et aussi quelques maladresses, dans son intention triple d'à la fois peindre une histoire d'amour, dresser le portrait d'une femme, et éveiller les consciences sur la crise migratoire. Ils sont vivants est une belle proposition de cinéma, dont la sincérité et la délicatesse dessinent une grande promesse pour les futures réalisations de Jérémie Elkaïm.

Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm, le 23 février en salles. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Pour son premier film derrière la caméra, Jérémie Elkaïm ne réussit pas tout. Mais porté par une Marina Foïs bouleversante et mis en scène avec beaucoup d'amour, "Ils sont vivants" est une belle proposition de cinéma, désarmant de sincérité et d'humanité.

Note spectateur : Sois le premier