Kubi : le jeu de massacre jubilatoire de Takeshi Kitano

Kubi : le jeu de massacre jubilatoire de Takeshi Kitano

CRITIQUE / AVIS FILM - Takeshi Kitano revisite à sa manière un épisode important de l'époque Sengoku avec "Kubi". Une plongée cruelle dans le Japon féodal, complémentaire au grand "Zatoichi".

Kubi : le nouvel outrage de Takeshi Kitano

Le nouveau long-métrage de Takeshi Kitano s'ouvre sur la vision d'un corps sans tête dont la trachée est rongée par les vers. Un premier plan qui donne immédiatement le ton : son film de samouraïs ne sera pas dans la veine poétique de Dolls et Achille et la tortue. Il ne faudra pas non plus y chercher l'émotion de L'Été de Kikujiro et Kids Return. Le cinéaste et son alter ego Beat Takeshi reviennent aux affaires pour proposer un spectacle affreux, sale et méchant.

Kubi
Kubi ©Kadokawa

Kubi raconte la guerre au XVIe siècle entre différents chefs de clans, menés par le seigneur Oda Nobunaga (Ryo Kase). Cruel et convaincu que la vie n'est qu'une vaste mascarade, ce dernier entend léguer son pouvoir à ses deux fils. Mais avant ça, il s'amuse à entretenir des rivalités et fait tout pour convaincre certains de ses sous-fifres, à commencer par Akechi Mitsuhide (Hidetoshi Nishijima), de le désirer sexuellement. Une attitude qui suscite les convoitises et provoque de nombreuses trahisons.

Un film de samouraïs unique

Le rythme et le ton du long-métrage sont parfois difficiles à appréhender dans la première partie, même si les enjeux sont très clairs. Takeshi Kitano alterne entre des échanges où l'ego, la ruse et la soumission des personnages se dévoilent, et des scènes de bataille où le réalisateur plante sa caméra pour que le spectateur puisse ne rien rater de cet enchaînement bête de massacres et de décapitations.

Les personnages sont nombreux mais ont tous le même but : accéder au pouvoir, même s'il faut pour cela tuer et trahir tout le monde. Du paysan rêvant de devenir général au samouraï rêvant d'accéder au trône, tous ne consacrent leur existence qu'à cette quête dérisoire et si certains atteignent cet objectif, la victoire est souvent de très courte durée.

Kubi
Kubi ©Kadokawa

Après avoir joué dans Tabou de Nagisa Ōshima, Takeshi Kitano évoque donc à son tour l'homosexualité chez les samouraïs, mais avec beaucoup moins de raffinement. La promesse d'un amour fidèle est ici un leurre et le sexe devient une arme aussi tranchante que le sabre. Les valeurs derrière lesquelles se cachent les personnages, dont la loyauté, ne sont qu'un discours jamais appliqué. Et si certains courageux osent faire preuve de bravoure et n'hésitent pas à se sacrifier, ils sont souvent moqués par ceux qui leur ont demandé de donner leur vie.

La première bande-annonce laissait espérer un spectacle de feu et de sang, dans la lignée de références comme RanLa Forteresse cachée ou Goyokin. C'est effectivement le cas, mais les protagonistes n'ont ici rien de noble, ce qui permet au spectateur de miser sans vergogne sur celui qui l'emportera entre Akechi Mitsuhide et Hideyoshi Hashiba, les deux samouraïs les plus malins et les mieux entourés. Beat Takeshi s'offre le beau rôle en incarnant Hideyoshi, paysan farceur ayant réussi à s'élever de son rang qui ne prend absolument rien au sérieux, et surtout pas la mort.

Un défouloir jubilatoire

Takeshi Kitano se fait donc extrêmement plaisir avec Kubi. Après une mise en place assez laborieuse mais nécessaire et remplie de moments hilarants et brutaux, ce plaisir devient ultra communicatif.

Kubi
Kubi ©Kadokawa

Les amateurs de chanbaras seront comblés en retrouvant les deux acolytes de La Forteresse cachée ayant inspiré R2-D2 et C-3PO, qui n'hésitent ici pas à s'entretuer par cupidité. Ils apprécieront également le fait de revoir le principe de la doublure de Kagemushaenvoyée pour protéger un chef de clan, reprise à l'excès au point que les assassins eux-mêmes ne tombent plus dans le panneau. Enfin, ils adoreront sans doute l'utilisation de certaines figures historiques, à l'image du samouraï noir Yasuke (Jun Soejima), qui parvient à tirer son épingle du jeu. Les fans du cinéaste seront par ailleurs ravis de retrouver certains visages emblématiques de sa filmographie, dont celui de Susumu Terajima (SonatineAniki mon frère), parfait en ninja qui débarque toujours au bon moment.

En détournant les codes du genre, en refusant de filmer les batailles de manière spectaculaire pour mieux rendre compte du désastre et en dévoilant une galerie de personnages tous plus exécrables et lâches les uns que les autres, Takeshi Kitano signe un grand long-métrage avec Kubi, à mille lieues du stylisé et ténébreux Zatoichi, l'imposant ainsi immédiatement comme un complément indispensable. Un nouveau film remarquable au sein d'une œuvre déjà colossale.

Kubi de Takeshi Kitano ne dispose pas encore d'une date de sortie. Le film a été présenté à Cannes Première au 76e Festival de Cannes. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Kubi" est une épopée guerrière cruelle, sanglante et hilarante, avec laquelle Takeshi Kitano détourne brillamment les codes du chanbara pour livrer un spectacle ironique et barbare.

Note spectateur : Sois le premier