Les Traducteurs : la belle ivresse des mensonges

Les Traducteurs : la belle ivresse des mensonges

CRITIQUE / AVIS FILM - Parce que c'est rare, parce que c'est parfois brillant et toujours amusant, "Les Traducteurs" et son intrigue machiavélique proposent un vrai moment de cinéma, où le plaisir de se plonger dans le jeu de rôles et de pistes semble partagé autant par les comédiens que par les spectateurs.

Après Populaire, c'est une surprise de voir Régis Roinsard à la direction d'un film d'une ambition certaine, avec un casting international, et l'exploration d'un genre plutôt rare dans le paysage français. Les Traducteurs est en effet un "whodunit", un thriller à énigmes où le suspense doit être roi, la surprise constante, et les révélations inattendues. Il y a donc un manuscrit brûlant, troisième tome de la trilogie Dedalus, neuf traducteurs pour en faire une traduction simultanée, et un éditeur requin qui les confine dans un bunker de luxe pour s'assurer qu'il n'y aura aucune fuite. Peine perdue, puisqu'un maître-chanteur fait fuiter les premières pages, et demande une rançon très conséquente pour ne pas continuer à révéler le manuscrit, attendu par des millions de lecteurs... Donc, qui est le coupable ?

Un thriller de haute volée

Il ne faut pas se précipiter à la conclusion, ni à l'analyse des ressorts du scénario, pour avant tout ne pas bouder son réel plaisir. Un tel film, qui fera immanquablement penser au récent À couteaux tirés, au moins récent mais culte Usual Suspectsest une exception dans le paysage cinématographique français. Assez proche aussi des intrigues propres aux romans d'Agatha Christie, Les Traducteurs brille par une forme de démesure, qu'on remarque dès la découverte du casting.

Il y a Lambert Wilson, caution de l'élégance - un soupçon perverse - française, mais aussi titulaire d'une renommée au-delà de nos frontières, qui le désigne naturellement comme leader d'une troupe internationale cinq étoiles. Il y a Alex Lawther, le traducteur anglais, la Russe Olga Kurylenko (d'origine ukrainienne dans la vraie vie), la Danoise Sidse Babett Knudsen, l'Italien Riccardo Scamarcio, Frédéric Chau en traducteur chinois, et d'autres encore. Privilège du film, on les verra souvent tous ensemble, dans des scènes chorales qui sont de belles séquences de cinéma. C'est une chose d'avoir des stars, encore faut-il les mettre ensemble à l'image. Les Traducteurs le fait bien, si bien même que c'est dans les moments à deux ou trois, un peu plus intimes et aussi plus dramatiques, qu'il perd une petite partie de son élan.

Les Traducteurs

La peinture des caractères est subtile, puisqu'elle ne cherche pas à tromper directement le spectateur, en présentant des personnages qui resteront - presque - tous fidèles à la première image qu'on s'en fait. Si les différents personnages n'ont pas la même importance, ils apportent tous un élément : la sensualité, la rébellion, la nonchalance ou l'obstination... Le scénario est ainsi très dense, et on sent que l'écriture et la construction de l'énigme ont été soignées, mais c'est peut-être là que le film en fait trop.

Pour la beauté du geste, on oublie parfois de vaincre

On ne verra pas tous les personnages également détaillés, et en plus de l'énigme qui les concerne tous, il y a aussi des moments de romance et de drames personnels qui ne concernent que quelques-uns de ses personnages-pièces. Car comme sur un échiquier, il faut sacrifier certaines pièces pour en faire avancer d'autres. C'est ainsi le cas de plusieurs traducteurs, qui ont un temps et une identité plus réduits que d'autres. Et plus le film avance, plus son équilibre se trouve menacé par l'envie d'expliquer, de montrer, de proposer des pistes qui sont traitées également, fausses ou réelles. Le film a cette forme d'abondance, appréciable pour le spectacle mais qui pèse parfois sur le suspense.

La mise en scène joue ainsi avec différentes temporalités, et si l'enfermement dans le bunker est central, on verra aussi d'autres lieux. Alors qu'on pouvait s'attendre à un véritable huis clos, la résolution viendra d'autres temps et aussi d'autres lieux d'action. Si c'est plaisant à l’œil et aux sensations, avec notamment une scène "d'action" très réussie, c'est aussi une perte de repères qui complexifie encore plus le scénario, et ce avec une sorte de contre-performance : certains passages sont délibérément trompeurs et créent un trouble inutile.

Bénédiction et malédiction du narrateur non-fiable

Qui aime le cinéma apprécie forcément de se faire balader, de se laisser guider dans une illusion jusqu'à y croire fermement. Les Traducteurs s'approche au plus près de cette idée, mais abuse, par l'envie excessive de bien faire, de la crédulité de son spectateur. Il y a dans Les Traducteurs un discours menteur, une exposition des faits qui est volontairement partielle, parce qu'elle doit mettre en lumière d'autres faits. À qui peut-on faire confiance ? À personne, et sûrement pas à celui qui raconte l'histoire. On se retrouve ainsi dans l'exercice délicieux mais difficile du narrateur non-fiable, c'est-à-dire aux mains d'un récit qui avance masqué. Les Traducteurs réussit cet exercice dans ses deux premiers tiers, avant de pousser l'intrigue dans ses derniers retranchements, ce qui malheureusement alourdit l'ensemble.

Mais on serait bien mal inspirés de faire la fine bouche sur Les Traducteurs, qui propose de vrais moments de cinéma avec une jolie mise en scène et une aussi belle photographie (Guillaume Schiffman), des bonnes performances des actrices et acteurs, et une intrigue globalement bien ficelée. Peu de productions françaises ont cette ambition, ou alors l'ont mais sans mettre à disposition les ressources nécessaires. Les Traducteurs réussit à prendre son idée au sérieux, tout en pensant au plaisir que l'on doit retirer de l'expérience. 

 

Les Traducteurs de Régis Roinsard, en salle le 29 janvier 2020. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Ambitieux et généreux, "Les Traducteurs" réussit pleinement sa mission de thriller énigmatique. Quelques moments pourront être jugés superflus, mais l'ensemble est plus que satisfaisant, d'autant plus que ce genre est trop rare dans la production française.

Note spectateur : 3.41 (5 notes)