Merveilles à Montfermeil : voyage en absurdie politique

Merveilles à Montfermeil : voyage en absurdie politique

CRITIQUE / AVIS FILM - "Merveilles à Montfermeil", premier long-métrage de la comédienne Jeanne Balibar, avec Emmanuelle Béart et Ramzy Bedia, donne à voir une farce politique prétexte à des retrouvailles amoureuses.

La ville de Montfermeil aura inspiré deux réalisateurs ces derniers mois : d’abord Ladj Ly avec son film Les Misérables, puis Jeanne Balibar (qui fait d’ailleurs une apparition dans Les Misérables), avec Merveilles à Montfermeil. Rencontrée au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, elle dit justement que « Ladj Ly l’a aidé pour l’organisation, la régie et la sécurité dans la ville ». Le ton entre les deux films est certes différent, il n’y a pas de dramatisation chez Jeanne Balibar mais une sorte d’outrance assumée. Car elle l’a « pensé comme un film de Jacques Demy , où tout est déjà dans le réel, qui rencontre parfois l’imagination et la fantaisie ».

On aurait pourtant tout à fait pu attendre la comédienne sur le terrain du drame pour son premier long-métrage (en solo), tant elle affectionne les rôles dramatiques. Mais elle révèle qu’« elle ne pourrait pas écrire quelque chose de triste et que ce film lui ressemble car sa vision du monde est toujours comique, même si ça la désespère ». À l’origine de Merveilles à Montfermeil, qu’elle a mis sept ans à financer entre plusieurs tournages, la rencontre avec Emmanuelle Béart. Cette dernière, qui excelle dans un rôle pour la première fois mi-figue, mi-raisin, lui a « inspiré le personnage de la Maire, après qu’elle l’ait côtoyée dans des circonstances militantes de défense des sans-papiers, qui lui a permis d'apprécier le sérieux extraordinaire, la sincérité et l’intelligence politique, caractères indispensables pour faire une comédie ».

Un peu comme le faisait Nicolas Pariser dans Alice et le Maire, mais de façon nettement moins excessive, Jeanne Balibar prend donc le parti de « mettre en boite la bourgeoisie de gauche à laquelle elle-même appartient ». En donnant à voir une équipe municipale fraîchement élue à Montfermeil, qui expérimente avec beaucoup de sérieux les idées théoriques les plus farfelues et vaseuses avec lesquelles elle a gagné l’élection, la réalisatrice se moque allègrement des idées de gauche et des folies des hommes et des femmes au pouvoir dans les collectivités.

Un film qui tente d'expliquer les raisons de la disparition d'une certaine gauche

On voit ainsi la création de la « Montfermeil Intensive School of Languages », et l’instauration très drôle de la sieste pour tous, de la journée du kilt ou de la fête de la Brioche. Les personnages sont souvent croquignolesques tant le ridicule avec lequel ils évoluent est assumé, autant dans leurs dialogues absurdes que dans leur comportement halluciné ou leurs vêtements kitchs. Ainsi la Maire, affublée de robes « évoquant un truc intermédiaire entre Jacky Brown et Angela Merkel », confrontée à une campagne calomnieuse déstabilisante.

Elle est soutenue par son adjointe Juliette (Florence Loiret-Caille), ou encore son élu aux Finances Benoît (Mathieu Amalric), dont les tenues sont elles aussi, à l'image de leur nouvelle ère politique. Ça fonctionne franchement moins bien avec les personnages arrivistes interprétés par François Chattot et Valérie Dréville ou les rebelles par Bulle Ogier et Anthony Bajon, que la réalisatrice- scénariste amène sur un terrain plutôt ennuyeux et sans réelle consistance.

Mais au sein de cette nouvelle équipe, il y a surtout le bras droit de la Maire, Kamel (Ramzy Bedia) et son ex, Joëlle (Jeanne Balibar elle-même), dont il est en train de divorcer et qu’il a eu pourtant la folie de faire embaucher à un poste d’animatrice assez flou. Car pour la réalisatrice, Merveilles à Montfermeil est « avant tout une comédie du remariage, avec des amoureux séparés, qui ne peuvent se retrouver que quand ils ont traversé la société, en l’occurrence les paradoxes de la gauche ». Kamel et Joëlle ne sont plus d’accord sur rien et s’engueulent systématiquement devant leurs enfants ou leurs collègues, en français ou en arabe, notamment dans une scène d’ouverture drôlissime face à leurs avocats. Sans le savoir, ils s’aiment encore, et vont le découvrir via l'application de rencontres Second Life.

Il y a un petit côté chez Jeanne Balibar qui fait penser aux films de Valérie Donzelli : burlesque et profond à la fois, fantasque et philosophique, poétique et réaliste, poussé à son paroxysme. Mais Jeanne Balibar emprunte des chemins de traverse parfois un peu longs qui risquent d’en décontenancer certains. Et à ceux qui pourront aussi lui objecter que, quitte à aborder la politique à Montfermeil, même de façon loufoque, elle aurait pu profiter de l’occasion pour dénoncer les biais du communautarisme dans cette ville, elle clôt le débat avant même qu'il ne soit ouvert. Selon elle, « l’art ne doit pas directement traiter de l’actualité et le voile est un costume comme un autre et un signe de soumission à une religion, tout comme le costume cravate est le signe de la soumission à la religion de l’argent ou son propre costume, celui de la soumission à la domination patriarcale ». Avec Merveilles à Montfermeil, Jeanne Balibar offre donc une comédie originale qui traite avec fantaisie de certains sujets de sociétés et pousse loin l’absurde de la mise en œuvre de certaines idées politiques d'un autre temps.

 

Merveilles à Montfermeil de Jeanne Balibar, en salle le 8 janvier 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la Rédaction

"Merveilles à Montfermeil" offre une plongée assez savoureuse dans les méandres d'une municipalité qui expérimente les idées d'une gauche révolue, tout en permettant à deux ex de retisser des liens.

Note spectateur : Sois le premier