Mon crime : une fantaisie ravissante et ironique de François Ozon

Mon crime : une fantaisie ravissante et ironique de François Ozon

CRITIQUE / AVIS FILM - Avec "Mon crime", François Ozon adapte une célèbre pièce de théâtre de Georges Berr et Louis Verneuil des années 30. Un exercice de pastiche brillamment exécuté, servi par un casting principal inspiré, et qui sublime son ravissant spectacle par une tribune féministe bien sentie.

François Ozon sur sa lancée

La filmographie de François Ozon se développe à un rythme très soutenu, et à la pointe de vitesse sur autoroute le cinéaste préfère plutôt enchaîner avec agilité les virages sinueux sur un col de montagne. Droite, gauche, virage serré puis large, épingle et courbe, il ne cesse ainsi de monter en voltigeant dans les régimes et le style de sa conduite. Fin de métaphore aléatoire, mais il fallait souligner à quel point ses films offrent une approche hétérogène mais globalement harmonieuse de son parcours et intention de cinéma.

Mon crime
Mon crime ©Gaumont

Quelle est-elle cette intention, au moment où le rideau de Mon crime tombe, son nouveau film et deuxième adaptation théâtrale de suite après Peter von Kant ? Pasticher avec délice la screwball comedy et le théâtre vaudevillesque ? Rendre hommage à la sororité ? Dénoncer les vices d'une presse racoleuse et d'une justice crispée sur ses préjugés ? Célébrer le jeu et les acteurs qui le font ?

Il y a tout ça dans Mon crime, et plutôt qu'à une seule idée, c'est bien à une pluralité d'efforts et de sensations qu'on assiste. François Ozon sait exactement ce qu'il fait et où il va, et l'aisance avec laquelle il s'exécute fait partie du plaisir qu'on a à l'observer.

Un crime pour prétexte

François Ozon écrire les femmes, les habiller, les diriger, leur confier des personnages-mondes. Les faire mystérieuses, cruelles, intelligentes et renversantes. Pour Mon crime, qui sur ce point emprunterait particulièrement à Huit Femmes, il a confié son duo principal à Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder, deux actrices parmi les plus douées et fascinantes de notre époque.

La première est Madeleine, jeune actrice romantique et faussement naïve. La seconde est Pauline, jeune avocate et amie de Madeleine, avec laquelle elle vit en colocation dans un appartement sous les toits aussi étriqué que charmant.

Mon crime
Mon crime ©Gaumont

Passé une brève introduction mystérieuse pour signifier qu'un drame violent est arrivé, Mon Crime s'ouvre surtout sur une séquence magistrale d'exposition de ces deux personnages et de leur univers. Là, à Paris en 1934, Madeleine se désespère de ne pas trouver de rôle, maudissant les producteurs lubriques, et Pauline négocie comme elle peut le non-versement du loyer à leur propriétaire. C'est drôle, enlevé, magnifiquement décoré, costumé et éclairé, et les deux actrices évoluent avec grâce et technique dans cet univers sorti tout droit des comédies de l'âge d'or hollywoodien.

Rapidement suspectée du meurtre d'un éminent producteur de théâtre, Madeleine va tourner la situation à son avantage. En s'accusant elle-même de ce crime, arguant la légitime défense, elle va se faire connaître du grand public. Une affaire très médiatisée qui est une aubaine pour Pauline, puisqu'elle est son avocate...

Une comédie d'acteurs

Loufoque à souhait, délicieusement sur-joué, Mon crime fait graviter autour de ces deux personnages une galerie d'hommes, presque tous plus idiots les uns que les autres, en dépit de leurs manières. Il y a par exemple le juge interprété par Fabrice Luchini, qui vante sa fonction surtout pour le prestige qu'il en tire, il y a le généreux et amusant nouveau riche incarné par Dany Boon, hédoniste et mécène de la cause de Madeleine et Pauline. Il y a aussi l'infâme et misogyne avocat général, génial Michel Fau, et encore le riche industriel soucieux de ses finances, sous les traits d'André Dussollier.

Mon crime
Mon crime ©Gaumont

D'autres comédiens masculins se joignent à la fête et tous cabotinent avec réussite, délivrant des bons mots à la chaîne, portant l'accent juste sur chacune de leur situation pour en faire des séquences théâtrales captivantes. On ne s'ennuie pas, on rit beaucoup, et on reste souvent ébahi devant la profusion de détails dont François Ozon nourrit sa mise en scène.

Tous ces détails, des bibelots de l'appartement exigu des jeunes femmes aux oeuvres d'art de la villa opulente de Neuilly, de l'arme du crime aux robes et trois-pièces des années 30, contribuent à donner beaucoup de chair aux personnages. Ceux-là, parce qu'ils sont ainsi nourris et interprétés avec justesse dans leur douce folie, sont donc tout sauf des caricatures.

Farce historique et tribune féministe

On retrouve dans Mon crime l'esprit kitsch et parodique de Potiche et de Huit femmes, qui constituent une ambition esthétique proche de celle de Peter von Kant. Mais à la différence de ce dernier, Mon crime a une chaleur nette et constitue une proposition très aimable. Ainsi, François Ozon s'éloigne de la noirceur et de la grâce monstrueuse de son film avec Denis Ménochet pour la lumière et la grâce tout court. Mais dans cet effort de joie restent toujours la cruauté et l'ironie qui parcourent l'oeuvre du réalisateur.

Le tour de force ultime de Mon crime réside en effet dans sa capacité à faire de sa joyeuse ironie une déclaration contemporaine sur la condition féminine. Madeleine et Pauline sont des héroïnes, elles luttent pour une cause plus grande qu'elles, elles ont des valeurs. Mais elles ont aussi les traits modernes des anti-héroïnes, un peu de vice, de la malice, et un individualisme affirmé. Elles ne sont pas les petites choses fragiles, agréables et stupides que la société patriarcale voudrait obstinément qu'elles soient, et elle vont avec une élégante insolence littéralement lui faire payer cette conception.

Mon crime
Mon crime ©Gaumont

L'irruption à mi-parcours du personnage fantasque incarné par Isabelle Huppert prend alors tout son sens, dans la prise de pouvoir définitive du féminin dans Mon crime. Les personnages masculins ne s'en trouvent que plus renforcés dans leur petite comédie humaine, alors que les trois femmes rayonnent.

Mon crime n'a pas la puissance tellurique d'une oeuvre comme, par exemple, Grâce à Dieu. Mais c'est une comédie brillante, à la fois bienveillante et ironique, idéalement fabriquée, riche de plusieurs niveaux de lecture. Un spectacle ultra-satisfaisant, et une nouvelle réussite de son auteur.

Mon crime de François Ozon, en salles le 8 mars 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Après son très beau et ténébreux "Peter von Kant", François Ozon propose un sommet de légèreté, d'amusement et de joie dans "Mon crime". Mais l'ironie et la cruauté ne sont jamais loin chez le cinéaste, qui réalise ici avec brio une comédie historique doublée d'une tribune féministe, servie par un formidable casting. Une très belle réussite.

Note spectateur : Sois le premier