Oppenheimer : l’œuvre monumentale de Christopher Nolan

Oppenheimer : l’œuvre monumentale de Christopher Nolan

CRITIQUE / AVIS FILM - Avec son biopic magistral "Oppenheimer", Christopher Nolan met en lumière "le père de la bombe atomique", incarné pour l'occasion par un Cillian Murphy plus habité que jamais.

Un biopic à part signé Christopher Nolan

Au cours de sa carrière, Christopher Nolan n’a cessé de surprendre en s'essayant aux différents genres. Citons entre autres The Dark Knight (2008), film de super-héros unique et plus proche du polar. Mais également Dunkerque (2017), film de guerre traité de façon atypique en se déroulant sur terre, en mer et dans l’air. Ou encore son thriller d’espionnage Tenet (2020) et sa fascinante bascule dans la science-fiction. Avec Oppenheimer, le réalisateur s’empare cette fois du biopic qu’il aborde à sa manière.

Cillian Murphy -Oppenheimer ©Universal Pictures
Cillian Murphy - Oppenheimer ©Universal Pictures

Son sujet est donc Julius Robert Oppenheimer (1904-1967), physicien connu pour son implication lors de la Seconde Guerre mondiale dans la création de la bombe atomique. Une figure historique (déjà évoquée dans Tenet) qui, chez Nolan, devient l’objet d’une œuvre monstre, véritable blockbuster à 100 millions de dollars difficile à cataloguer.

Est-ce un drame, un film de guerre, un thriller, voire même un film d’horreur ? Oppenheimer est tout à la fois. Et Christopher Nolan y questionne autant l’individu Oppenheimer que l’humanité au sens large, tout en redéfinissant son propre cinéma. Car si jusqu’à présent le cinéaste ne s’intéressait que peu à ses personnages, n’en faisant généralement que des outils pour mener à bien son œuvre, il trouve en Oppenheimer son personnage le plus complexe.

Oppenheimer, une figure complexe et ambivalente

Le film débute en 1954 lors d’un interrogatoire visant à discréditer Julius Robert Oppenheimer pour que son habilitation lui soit retirée. Pourtant surnommé « le père de la bombe atomique », il est devenu par la suite un opposant à l'arme - car inquiet d'une réaction en chaîne pouvant causer la destruction du monde. La guerre arrivant à sa fin après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945), la guerre froide commença avec la course aux armements nucléaires – sujet toujours si important à notre époque.

Dès lors, les Russes, alliés de l'Amérique pendant la guerre, devinrent des ennemis. Le communisme était synonyme de danger et le maccarthysme alla donc traquer ses sympathisants. En traitant grandement de ces éléments et en ne se limitant pas à la création de la bombe atomique, Christopher Nolan se montre extrêmement politique dans son geste. Rarement le cinéaste avait semblé prendre position avec un regard aussi critique à l’égard des instances et des gouvernements.

Robert Downey Jr - Oppenheimer ©Universal Pictures
Robert Downey Jr. - Oppenheimer ©Universal Pictures

C’est alors par ce témoignage d’Oppenheimer que sa trajectoire nous est présentée, débutant par ses études en Angleterre. Dès cet instant, Christopher Nolan insiste pour ne pas en faire un héros ou un génie d'exception. Il n’est pas le meilleur. Et tout au long du développement de la bombe atomique on verra l'importance des scientifiques qui l’entourent (mise en avant du collectif).

Il est intéressant à ce propos de noter le choix du casting. Même pour faire apparaître une figure historique le temps d’une scène ou deux, le réalisateur opte pour des visages connus (au moins des cinéphiles), suffisamment marquants pour impacter immédiatement l’image. Qu’il s’agisse des collaborateurs d’Oppenheimer ou de ses détracteurs d’ailleurs.

Les sens en émoi

Pendant trois heures (durant lesquelles on ne s’ennuie pas), Christopher Nolan raconte ainsi cette histoire passionnante. En passant d’une époque à une autre, il fait confiance au spectateur pour qu'il recolle les morceaux sans lui mâcher le travail. L’expérience vient alors du montage énergique qui donne la sensation d’un mouvement perpétuel tandis que l’Histoire s’accélère sous nos yeux.

Oppenheimer ©Universal Pictures
Oppenheimer ©Universal Pictures

Nolan multiplie les dialogues sans jamais nous noyer dans des concepts scientifiques. Au contraire, le réalisateur tourne et monte ces séquences à la manière de scènes d’action captivantes. L’omniprésence de la musique, signée Ludwig Göransson (Tenet), participe d’autant plus à créer ce climat lourd et à écraser littéralement le spectateur. Une façon pour Christopher Nolan d’avoir une approche plus que jamais sensorielle et de représenter la guerre sans la montrer concrètement.

Déjà avec Insomnia (2002) il jouait sur les sensations avec ce policier (Al Pacino) incapable de trouver le sommeil à cause de la lumière constante de l’Alaska. Dans Tenet, le réalisateur disait à son héros (et au public) de ne pas chercher à comprendre, mais de ressentir. Nolan pousse l’expérience des sens encore plus loin avec Oppenheimer. Notamment par des flashs illustrant des phénomènes physiques – tels que des courants électriques, une réaction de protons ou un phénomène de fusion.

Immense Cillian Murphy

La sensation de chaos est alors palpable avec ces inserts qui plongent dans l’esprit torturé d’Oppenheimer. Mais Nolan met également l’accent sur son évolution. Un temps romantique (avec le personnage de Florence Pugh), il deviendra de plus en plus pragmatique et froid tandis que son objectif se précise, une fois passé de la théorie à l’acte. Parfois presque déshumanisé, sans réaction, avant de prendre conscience de la grande problématique derrière cette arme : le risque d'enflammer l'atmosphère et de détruire le monde.

Oppenheimer ©Universal Pictures
Oppenheimer ©Universal Pictures

La mort, il l'affrontera d'ailleurs de manière concrète. Avec la perte d'une proche, avant d'être relevé par sa femme qui aura pour lui cette phrase résumant si bien le personnage : "Tu ne peux pas être un pécheur et être plaint en même temps". Puis dans une vision cauchemardesque après la fameuse détonation, remarquablement mise en scène par le cinéaste.

Pour incarner Julius Robert Oppenheimer et toute sa complexité, Cillian Murphy offre une performance grandiose. À n’en pas douter son plus grand rôle, très bien accompagné par des acteurs secondaires à la présence non-négligeable. Que ce soit Matt Damon, solide dans son interprétation du Général Groves. Robert Downey Jr. comme on ne l’avait plus vu depuis très longtemps dans des séquences en noir et blanc qui abordent le point de vue de Lewis Strauss, farouche opposant d'Oppenheimer. Ou encore Emily Blunt, dont les scènes sont peu nombreuses mais absolument nécessaires.

Emily Blunt - Oppenheimer ©Universal Pictures
Emily Blunt - Oppenheimer ©Universal Pictures

Autant par son approche captivante que la multitude des sujets évoqués, perceptibles dans des détails, Oppenheimer demeure un très grand film de cinéma. Christopher Nolan fascine une fois de plus et le pose probablement au sommet de sa filmographie. Un long-métrage imposant, qui semble également toucher à une part intime du cinéaste (par le traitement du frère d’Oppenheimer qui renverrait à celui de Nolan).

Il conclut surtout de manière bouleversante, sombre et pessimiste. Après une dernière discussion entre le physicien et Einstein, des plus inquiétantes pour notre avenir, on ne peut que sortir terrorisé devant l’inéluctable, à l’idée que ce chef-d'œuvre puisse être prémonitoire.

Oppenheimer de Christopher Nolan, en salles le 19 juillet 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Christopher Nolan impressionne une fois de plus avec "Oppenheimer". Le réalisateur propose un biopic loin de tout classicisme, d'une richesse folle et aux thématiques nombreuses. Captivant par son récit et son personnage complexe, le film met également à l'épreuve les sens du spectateur qu'il finit par bouleverser dans les derniers instants.

Note spectateur : 3.25 (4 notes)