Selfie : comédie numérique

Selfie : comédie numérique

CRITIQUE / AVIS FILM - "Selfie" dresse un portrait réjouissant du numérique et alerte grâce à la comédie sur les dangers à être (trop) addict. Avec Blanche Gardin, Manu Payet et Max Boublil.

Selfie, le long-métrage co-écrit à 10 mains (Julien Sibony, par ailleurs co-producteur, Noé Debré, Bertrand Soulier, Hélène Lombard et Giulio Callegari) est doté d’un sous-titre significatif de sa thématique : « de l’influence du numérique sur les honnêtes gens ». Où comment des personnes lambda peuvent facilement tomber dans le piège du numérique, l’air de rien. Chacun des cinq sketchs, qu’on pourrait également qualifier de courts métrages, se veut donc une démonstration réussie des risques encourus, avec pour certains un final assez surprenant.


Le Troll (roman épistolaire), réalisé par Marc Fitoussi, met en scène Bettina (Elsa Zylberstein), qui répond à tous les clichés de la professeur de français célibataire, écrivain non encore reconnue et dont le chat s’appelle Lamartine. Sous les yeux moqueurs de ces collègues aguerris, elle va découvrir les joies du prolongement numérique grâce à une tablette fournie par l’Éducation Nationale. Ce qui est jubilatoire dans ce film, c’est l’opposition entre deux mondes dans lesquels va évoluer Bettina.

Attisant l’œil et la curiosité de l’humoriste adoré par les jeunes de sa classe, Toon (Max Boublil), qu’elle trolle allègrement, elle devient rapidement addict sous les yeux du spectateur. On la voit se cacher derrière son écran et son pseudo, qui permet de s’adonner avec impertinence à des échanges épistolaires bien plus libres que dans la vraie vie. L’attente d’une réponse, l’angoisse du silence, le mystère que procure l’inconnu sont parfaitement bien montrés, tout comme la limite que chacun s’autorise à ne pas dépasser.

Même présentés sous la forme comique, les dangers de l'ultra connexion sont bien réels.

2,6/5, réalisé par Tristan Aurouet, se moque ouvertement, quant à lui, des notes que l’on donne à tout bout de champ à n’importe qui à propos de n’importe quoi. Ce Black Mirror, version comédie, met ainsi en scène Florian (Finnegan Oldfield), amoureux transi de Jeanne (Alma Jodorowsky) et qui désespère de pouvoir la rencontrer via une application amoureuse. Comme si faire sa connaissance en vrai n’était plus une option du monde moderne. Mais ils n’ont pas les mêmes notes, ne jouent pas dans les mêmes cours, et ne donc peuvent prétendre à une rencontre recommandée par l’algorithme de l’application. Les rencontres de Florian avec des jeunes femmes pour obtenir d’abord des meilleures notes, puis ensuite des mauvaises pour faire chuter sa moyenne, sont très drôles.

Car il est évidemment question du pouvoir que chacun accorde aux algorithmes des applications et des sites Internet sur lesquels on se connecte, ainsi que de la perte de son libre arbitre. Recommandé pour vous, réalisé par Cyril Gelblat, montre ainsi très bien le lâcher prise, qui s’apparente presque à une forme de lâcheté, dont Romain (Manu Payet) fait preuve en suivant toutes les recommandations d’un site et en le laissant décider de ses choix à tout moment de la journée. Ces incitations parfois complètement à l’ouest le plongent dans des questionnements angoissants et lui font prendre des décisions aberrantes, voire paradoxales. Là encore, la démonstration, poussée à son paroxysme, ne manquera pas de faire réfléchir le spectateur.

En dépit du name dropping, l’écueil auquel doivent souvent faire face les films dans ce type de format, est l’absence de liens et de liant entre les sketchs. Selfie l’évite habilement grâce à deux partis pris. D’abord grâce à la circulation entre les sketchs de certains personnages, l’interaction et la progression de leurs histoires, comme Fabrice (Sébastien Chassagne), Emma (Fanny Sidney) ou encore l’impayable vendeur de like (Estéban). On les recroisera notamment dans le dernier sketch Smileaks, réalisé par Vianney Lebasque, qui observe les réactions bizarres des invités à un mariage sur une île suite à l’annonce du piratage mondial des données personnelles de tous les gens connectés.

Mais surtout, la très bonne idée est d’avoir positionné entre les sketchs le véritable fil rouge, voire le socle même de Selfie, la famille Perez dont on suit les aventures filmées dans Vlog, réalisé par Thomas Bidegain. Et quelle famille ! Stéphanie (Blanche Gardin) et son mari Fred (Maxence Tual) filment leur fils malade, pour garder une trace de cet épisode dramatique de leur vie. Devenus influenceurs, ils mettent carrément leur vie en scène, et il n’échappera peut-être pas à certains que Fred lit Les Cahiers du Cinéma, comblant sans doute ses velléités de devenir un jour réalisateur. C’est sous le regard navré et embarrassé de leurs deux aînés qu’on les découvre pris au jeu et donc à leur propre piège de la dépendance du nombre de like obtenus à chaque diffusion de vidéo. La guérison miraculeuse de leur fils les laisse désemparés et leurs tentatives pathétiques pour conserver leurs followers sont franchement jubilatoires et font même parfois froid dans le dos.

Enfin, ce qui est intéressant dans Selfie, c’est qu’il offre différents niveaux de lecture pour tous les publics, qu’ils soient déjà accros ou utilisateurs encore aux balbutiements de leur apprentissage. Didactique à souhait, avec des inserts sur l’écran bien choisis, Selfie se révèle donc une comédie très réussie, exhaustive et bien rythmée qui, hélas, n’empêchera pas forcément le spectateur de se précipiter sur son téléphone à la sortie pour voir s’il a reçu des messages ou des alertes !

 

Selfie de Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet, Cyril Gelblat et Vianney Lebasque, en salle le 15 janvier 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la Rédaction

"Selfie" est une comédie très réussie qui met en évidence tous les dangers de l'ultraconnexion avec beaucoup de jubilation

Note spectateur : 5 (1 notes)