The Little Stranger : les loyautés de Lenny Abrahamson

The Little Stranger : les loyautés de Lenny Abrahamson

CRITIQUE FILM - Après Room en 2015, Lenny Abrahamson revient avec The Little Stranger, un thriller horrifique adapté du roman éponyme de Sarah Waters.

À quel point nos désirs manifestés lors de l’enfance peuvent-ils guider notre vie d’adulte ? Si dans Room, le précédent film de Lenny Abrahamson, les désirs de l’enfant se limitaient à une seule pièce, dans The Little Stranger, son sixième long-métrage adapté de Sarah Waters, ces envies vont se décliner à un manoir entier : Hundreds Hall.

Les Loyautés

Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres- aux morts comme aux vivants -, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l'écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d'ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires. Ce sont les lois de l'enfance qui sommeillent à l'intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.

(Les Loyautés, Delphine de Vigan, 2018)

Fils d’une modeste domestique, le docteur Faraday (Domhnall Gleeson) est depuis sa tendre enfance fasciné par cette imposante bâtisse, symbole de l’aristocratie à laquelle il rêve d’appartenir. En 1947, il est appelé au chevet d’une patiente à Hundreds Hall, aujourd’hui en piteux état, et se rend compte que le domaine, qui appartient à la famille Ayres depuis deux siècles, est hanté par une présence terrifiante.

De prime abord, The Little Stranger est un drame horrifique à l’allure gothique, et à la mise en scène léchée, efficace et bien ficelé qui ne manquera pas de déstabiliser les spectateurs. Mais son intérêt est ailleurs, et le film se révèle alors beaucoup plus profond qu’il n’y paraît.

Hundreds Hall, qui s’avère être le personnage central du film, symbolise l’impossible cohabitation entre deux mondes : celui de l’aristocratie incarné par la famille Ayres et celui de la classe ouvrière matérialisé par Faraday. Car même si ce dernier s’est élevé socialement, il ne semble pas trouver sa place au sein de la haute société.

Lorsqu’il est appelé au chevet de la domestique de Mrs. Ayres, son statut de médecin lui permet de pénétrer dans cette maison, et symboliquement dans cette classe sociale, non pas en tant qu’intrus, comme il avait pu le faire dans son enfance, mais bien en tant qu’invité. Néanmoins, Hundreds Hall est en piteux état et ne ressemble plus à son fantasme d’enfant.

En essayant de soigner ses habitants, il tente de panser le domaine pour lui redonner son apparence d’antan. Prisonnier de ses souvenirs, Faraday ne supporte pas l’idée d’assister à la décrépitude de ce manoir, et de ce fait, à la promesse qu’il s’était fait à lui-même, d’un jour pouvoir habiter en ce lieu. Les promesses de l’enfance, ne sont-elles pas les seules que l’on tienne vraiment ?

Mais le mal qui ronge l’endroit est plus insidieux : il le détruit de l’intérieur, et quiconque y pénètre s’expose à un funeste destin. Cette présence hostile, qui ne se dévoilera que dans les ultimes secondes du film, s’avère d’abord timide, puis de plus en plus présente. La mise en scène de Lenny Abrahamson, qui s’essaie pour la première fois au film de genre, nous rappelle celle du film Les Autres d’Alejandro Amenabar : les portes grincent, les murs chuchotent, les stigmates marquent le lieu et les habitants.

Ces manifestations malveillantes semblent condamner ce lieu, jadis symbole de réussite et de richesse. Malgré les efforts de Faraday pour recoller les pièces et honorer l’engagement qu’il s’était fait à lui-même lorsqu’il était enfant, le manoir paraît le rejeter en permanence. Lorsqu’il est entre ses murs, il redevient l’étranger, le petit enfant pauvre qui se rêvait en aristocrate et son reflet ne manque pas de lui rappeler.

Que reste-t-il alors de cette promesse ? Faut-il s’y accrocher ou la laisser mourir ? Les désirs manifestés lors de l’enfance ne sont-ils pas les plus violents à restreindre ?

Sous couvert de thriller horrifique, Lenny Abrahamson apporte des réponses bouleversantes à ces interrogations qui sont aux fondements mêmes de notre existence. Comme il l’avait fait dans Room, le lieu clos devient alors le théâtre de manifestations psychologiques plus profondes, qui au-delà des murs, nous renvoient à notre propre condition d’être humain.

 

 

The Little Stranger est à découvrir en salles le 26 septembre. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Sous couvert d'un film de genre gothique, The Little Stranger s'avère beaucoup plus profond qu'il n'y paraît et questionne l'importance des promesses formulées à soi-même pendant l'enfance, les seules que l'on tienne vraiment.

Note spectateur : 3.28 (2 notes)