Trois visages : le nouveau témoignage de Jafar Panahi

Trois visages : le nouveau témoignage de Jafar Panahi

CRITIQUE FILM – Après « Taxi Téhéran », Jafar Panahi, assigné à résidence, livre une nouvelle œuvre importante pour témoigner, notamment, de sa condition.

Avec Kirill Serebrennikov, Jafar Panahi était l’autre grand absent du festival de Cannes cette année. Comme d’autres avant lui, en raison de ses propos (dans ses films ou via des manifestations) jugés trop critiques sur son pays, le réalisateur iranien est interdit de quitter le territoire. C’est donc clandestinement qu’il réalisait en 2015 Taxi Téhéran. Il renoue dans un style, en partie similaire, avec Trois visages (reparti avec le Prix du Scénario à Cannes).

On retrouve en effet cette caméra posée sur le tableau de bord d’une voiture pour de longs plans séquences. Le premier, dans lequel Panahi reste cette fois hors champ, se fixe sur le visage de Behnaz Jafari. Jouant son propre rôle (comme Panahi), elle apprend le suicide d’une jeune fille qui la tient pour responsable de ne pas l’avoir aidé à changer sa condition (interdite d’aller au conservatoire pour étudier). Pourtant, le doute subsiste. La « victime » ayant filmé son visage avec son téléphone portable au moment de se pendre, Jafari refuse d’y croire.

L'enfermement de Panahi et des femmes de son pays

Durant près de quinze minutes donc, on la découvre sur les nerfs, entre culpabilité et agacement de cette situation qu’il lui tombe de nulle part. Elle finit par sortir de la voiture, fait les cent pas autour pour réfléchir pendant que Panahi est au téléphone. Fixée sur son axe, la caméra tourne enfin en suivant le mouvement de l’actrice, s’arrêtant à l’arrière pour l’encadrer et l’illuminer des phares rouges (en concordance avec sa chevelure rouge), puis repartant à nouveau jusqu’à l’avant de la voiture, dans la lumière jaune. Ce mouvement circulaire, à l’apparence simple et pourtant d’une virtuosité et précision redoutables, est à l’image du cinéma de Panahi. Le cinéaste parvenant à rendre cinématographiques les décors les plus naturels, et ne laissant en vérité rien au hasard.

Critique du film Trois visages : le nouveau témoignage de Jafar Panahi

Cette composition des plans permet alors déjà au réalisateur de faire passer son message – il les enferme dans le cadre, les isole ou les sépare, rappelant notamment sa condition et les maux de son pays. Il en va de même dans sa manière de raconter son histoire, évidemment personnel de par la mise en abyme. Toujours dans un réalisme minimaliste, il enquête avec Jafari dans le petit village de la jeune fille suicidée. La caméra quitte alors la voiture pour entrer chez cette population reculée qui, tout en vouant une admiration pour ces membres du cinéma et de la télévision, admet ouvertement un rejet envers les rares ayant choisies une voix artistique.

L’appel au secours de la jeune fille (renvoyant au patriarcat par sa situation) prend sens, de même que son mensonge qu’on devine assez vite. Se noue alors une relation importante entre elle et Jafari, deux femmes aux libertés restreintes. De son côté, Panahi, faux troisième visage du film (si on prend en considération la « saltimbanque » reclus du village), observe et témoigne de sa condition avec un regard à la fois attendrit et critique, qu’on retrouve dans son habituel ton tragi-comique. Une belle manière de témoigner et de ne pas abandonner, s’amusant presque de ne pouvoir quitter le territoire quand d’autres ne peuvent y rentrer.

 

Trois visages de Jafar Panahi, présenté en compétition à Cannes, en salle le 6 juin 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Trois visages est un nouveau témoignage important de Jafar Panahi sur problèmes de son pays, réalisé avec une virtuosité cachée passionnante.

Bilan très positif

Note spectateur : Sois le premier