Ultras : le film de Netflix sur les ultras napolitains est une jolie réussite

Ultras : le film de Netflix sur les ultras napolitains est une jolie réussite

CRITIQUE / AVIS FILM - "Ultras", disponible sur Netflix le 20 mars, est une chronique réaliste de la vie d'un ultra napolitain banni des stades et désireux de changer de vie. Un film porté par son esthétique "Gomorra" et par la présence brutale et lumineuse de ses interprètes.

A priori, on ne s'attend pas qu'un film du genre "hooligans" puisse être "joli". Il peut être entraînant, brutal, émouvant, bourré de suspense, avoir une action urbaine stylisée, mais "joli" n'est pas en tête de la liste des adjectifs à attribuer. Pourtant, c'est bien ce que réussit Ultras, film italien sur l'univers des ultras du SSC Naples, équipe emblématique du championnat italien. Tout en utilisant l'imagerie popularisée par Gomorra, en usant des codes et des usages sociaux - souvent partagés par les ultras - du milieu mafieux propre à la cité napolitaine, Ultras raconte surtout la quête de rédemption d'un fanatique du Napoli banni des stades, qui lutte entre sa fidélité à son groupe "Les Apaches" et le profond désir de se ranger.

Le film fait indirectement référence au meurtre de Ciro Esposito, ultra de Naples tué par un ultra de la Roma en 2014, et des tentatives de représailles qui s'en sont suivies. Mais Ultras en reste là pour l'enracinement dans la réalité, et choisit de ne pas montrer le lien entre certains ultras napolitains et la Camorra, la mafia napolitaine, ainsi que celui avec le fascisme et l'extrême droite italienne, des liens très réels qui viennent décupler la violence déjà inhérente au phénomène "ultra".

Ultras, chronique d'un monde qui se meurt

Plutôt que de viser dans son film une peinture sociale critique, le réalisateur Francesco Lettieri y suspend une histoire d'amitié et d'amour, au-dessus d'une guerre interne au groupe des ultras, entre les anciens et les jeunes. Il y a quelque chose qui tient du rêve dans Ultras, souvent embarqué dans une forme "clipesque" plutôt réussie, qui nous fait parcourir Naples de nuit, en jogging bas de gamme sur des scooters rincés, une esthétique proche de celle de Romain Gavras ou de celle à l'oeuvre dans le clip Territory.Il y a aussi dans Ultras un regard sur une masculinité égarée : qu'elle soit ringardisée au travers des aînés, à l'allure de cowboys décatis qui ne sont plus que des voyous, ou rendue sauvage et très maladroite chez les plus jeunes.

Il n'est jamais question de football, puisque Sandro est banni des stades, et vient systématiquement pointer au commissariat les jours de match. Le film regarde ailleurs, au coeur des relations entre les individus qui composent le groupe d'ultras.

Ultras

L'arrière-plan économique et social de Naples se dessine par moments, une ville qu'on sait empoisonnée par la mafia, frappée par un chômage à 25% et une pauvreté qui touche plus de 30% de la population. Mais le réalisateur et scénariste ne veut pas mettre à nu ce système, qui nourrit le phénomène "ultras". Il veut plutôt trouver la beauté d'un geste, le plaisir d'un petit temps fraternel ou amoureux arraché à cette ambiance à la fois pauvre et fanatisée. C'est pourquoi le film suit Sandro, un quinquagénaire bodybuildé qui se retire progressivement de sa place de leader. Il est interprété avec brio par Aniello Arena, qui a un profil très particulier.

Aniello Arena, pour se débarrasser de la violence

Aniello Arena est un ancien membre de la Camorra, la mafia napolitaine, condamné à la prison à perpétuité pour un triple meurtre en 1991. Il se révèle en tant que comédien grâce à la troupe de théâtre créée dans sa prison. Remarqué par Matteo Garrone, il dispose aujourd'hui d'un régime de semi-liberté afin de pouvoir jouer des pièces de théâtre et participer à des productions de cinéma. On peut ainsi le voir dans Reality, Dogman, et récemment Martin Eden. Pour Reality, il est nommé aux Golden Globes 2013.

Dans Ultras, dont il tient le premier rôle, Sandro, il est magnétique. Une montagne de muscles où se dissimulent une simplicité et une tendresse enfantines, très attachantes. Il veut aider le jeune Angelo (Ciro Nacca) à ne pas faire les mêmes erreurs que lui, tout en respectant son attachement viscéral aux Apaches, dont il est lui, Sandro, encore un pilier. Le cours dramatique du film va s'accélérer avec l'entrée dans sa vie de Terry (Antonia Truppo), une femme dont il tombe amoureux, et qui pourrait être la partenaire d'une nouvelle vie. De son côté, le jeune Angelo va devoir faire un choix entre sa fidélité au groupe en pleine scission et son amitié avec Sandro.

Il faut faire mention d'un second rôle incroyable, celui de Daniele Vicorito, vu dans la série Gomorra, en jeune ultra explosif, d'une intensité et d'une présence animale complètement folles. Ses apparitions à l'écran sont hallucinantes, et il incarne à lui seul tout le danger, la précarité et la violence, essentiellement et intelligemment suggérés, de la vie d'ultra.

Sans foot, mais avec de la passion

Le film s'ouvre sur un mariage, quelque part près du port de Naples. Il se clôt sur un enterrement, au même endroit, et les deux événements se déroulent sous les étendards et au son des chants à la gloire des ultras du Napoli. Ultras est ainsi une quête déçue de rédemption, une histoire de tentative de clôture d'un passé, qui malheureusement colle à la peau et finit toujours par rattraper un futur qu'on voudrait heureux. En ce sens, il est à la fois proche et lointain du film Hooligans, représentant iconique du genre sorti en 2005, avec Elijah Wood et Charlie Hunnam. Plus personnel, moins spectaculaire et plus contemplatif aussi, Ultras suggère plus la violence qu'il ne la montre, en mettant en scène la tension quotidienne, à la fois exigeante et ridicule, impliquée par la misère sociale.

Ultras est un film qui ne pourra pas toucher tous les publics, mais qui se distingue par sa sobriété et un équilibre subtil entre la violence et la délicatesse d'une vie à peu près simple. Remarquablement interprété, dans le style brut et moderne déterminé par les oeuvres Gomorra, Ultras est une chronique réaliste aux apartés contemplatifs, afin de se retenir à tout prix - et autant que possible, de verser dans le cauchemar.

Ultras, le 20 mars sur Netflix. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Ultras" de Francesco Lettieri, s'inscrit dans le genre des films de "hooligans", avec une jolie quête personnelle de rédemption. Son interprète principal est fascinant, tout comme le soin mis à tenir le plus possible la violence hors du cadre, en un ultime cri d'espoir. Un beau film à voir sur Netflix à partir du 20 mars.

Note spectateur : 2.44 (9 notes)