Un Amour impossible : une tragédie moderne et intime

Un Amour impossible : une tragédie moderne et intime

CRITIQUE FILM - En adaptant le roman de Catherine Angot, "Un Amour impossible", la réalisatrice Catherine Corsini s'avançait en terrain miné, se saisissant d'un sujet brûlant et d'une matière artistique compliquée. Avec Virginie Efira dans un premier rôle exceptionnel, elle réussit un film émouvant, clair et pénétrant sur le sujet des abus sexuels et de la domination masculine.

Rachel Steiner est une femme de son époque, celle de la fin des années 50. Est-elle une femme ordinaire dans une société complexe, ou est-ce l’inverse ? On comprend instantanément que Rachel, magnifique Virginie Efira, n’est pas complètement comme les autres. Sans trop de mots, sans éclats, elle vit et pense ce qui lui arrive, donne à voir avec une grande sobriété les vagues qui lui balayent l’âme : l’amour, la haine, le courage et l’abattement. Elle, jeune femme d’une classe à peine moyenne, rencontre Philippe, beau jeune homme bourgeois, cultivé, dominant. Ensemble ils auront une fille, Chantal, une fille symbole d’un déchirement imposé par le père : il n’épousera jamais ni ne vivra avec Rachel, issue d’une classe sociale sans fortune. Femme et mère seule, elle va se battre pour qu’il reconnaisse au moins leur fille en lui donnant son nom. Une fois ce combat de toute une vie remporté, l’enfer va s’ouvrir avec une grande violence mais tout en silence.

Un formidable duo, solaire et ténébreux

Cet homme, Philippe, est incarné par Niels Schneider, et son art de la séduction n’a d’égale que la pire des violences. Pervers, manipulateur, sa relation avec Rachel est d’une disharmonie exemplaire, et il parvient à exister comme une ombre, hors champ pendant presque la moitié du film. Un rôle qui est sublimé par celui de sa victime, sa partenaire de jeu Virginie Efira gardant ouvertes les blessures qu’il lui inflige.

C’est peu dire que Virginie Efira réussit son interprétation de Rachel Steiner. Depuis quelques années et plusieurs films, citons Elle et Victoria, l’actrice belge s’épanouit dans un registre plus sombre, avec des personnages complexes. Dans Un amour impossible, qui devrait lui valoir des éloges mérités, elle joue une femme de la classe moyenne française au 20e siècle. Elle capte toute les lumières, joue tous les sentiments, avec une présence supérieure.

Le film semble fait pour elle : on la découvre à la fin des années 50, dans un bal provincial, et vient immédiatement à l’esprit la blondeur inflammable de Brigitte Bardot. On la suit quelques instants en Italie, quand le bonheur est encore possible, et aurait excellé dans un Fellini. Elle porte le film sur plus de cinquante ans, cheminant dans une vie comme dans différents cinémas. Catherine Corsini lui fait traverser époques, lieux et sentiments dans une mise en scène équilibrée et sans temps mort. C’est autant une chance d’avoir tant de latitude sur un personnage qu’une malédiction : dans toute création, plus on en fait plus on risque d’en faire trop. La fidélité au roman va en effet se révéler être un handicap, dans la représentation de la confrontation ultime entre la mère et sa fille.

Un Amour impossible : et des ténèbres jaillit la matière

La littérature de Christine Angot est pour le moins compliquée. Entre témoignage nécessaire et odieuse prise d’otage, sa seule thématique est elle-même, sa terrible histoire contée dans une langue moyenne, qui ne peut supporter aucune critique. Un Amour impossible, sous la plume d’Angot, est avant tout et de manière éclatante un récit très personnel. Avec cette matière, Catherine Corsini réussit elle à en faire un discours universel sur les terribles abus de la domination masculine, au sens large mais avec précision et clarté. Jusqu’aux derniers instants, la réalisatrice ne tire que le meilleur de l’histoire de Rachel, réalisant un portrait de femme précieux et rare. Mais c'est au moment de mettre en scène la confrontation entre Rachel et Chantal que le film tombe subitement de sa hauteur.

Voix-off discrète et patiente de la tragédie de Rachel, la narratrice/Chantal s’incarne tout d’un coup, s'appropriant tout le film dans une manière de règlement de comptes. C’est en réalité une déception de s’approcher du personnage de Chantal, sa fille, incarnation réaliste de Christine Angot. En effet, sa recherche rageuse de la vérité semblerait presque incongrue face à l’histoire de sa mère.

La possibilité d'une révolte

Ce qui est la partie importante du roman est donc la partie faible du film, et cette partie scie l'assise cinématographique de l'ensemble. D’un récit distancié à la troisième personne sur une destinée, on passe subitement à la sortie de ce récit pour une confrontation entre le narrateur et son personnage, et ça ne fonctionne pas. Le personnage réel et fictif de Christine Angot ne laisse aucune place à la contradiction, ni même au dialogue. Et dans le film, sensation assez unique, elle ne semble donc pas à la mesure de sa création.

Le film, comme le livre, est la poursuite d'une libération de l'emprise mortifère de la société patriarcale. Il n'est pas rare qu'une adaptation cinématographique dépasse l'oeuvre originale, c'est ici le cas. Un Amour impossible est en effet un excellent film. Au rang de ses mérites : réussir à faire d’un roman de Christine Angot une belle œuvre de cinéma, imposer un peu plus Virginie Efira comme une comédienne ultra-douée, et proposer un exposé très intelligent de la condition féminine. Malheureusement, le film se conclut sur une confrontation sans doute nécessaire au scénario, mais qui fait tomber le film des sommets atteints.

 

Un amour impossible de Catherine Corsini, en salle le 7 novembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Note de la rédaction

"Un Amour impossible" est un film violent, un choc, et ce surtout parce qu'il est patient et s'applique à laisser les faits hors champ et les blessures enfouies dans des personnages qui veulent se libérer. Virginie Efira est magistrale, et Niels Schneider est un "méchant" de cinéma comme on n'en fait plus. Brillant, jusqu'à ce que l'oeuvre originale d'Angot ne casse le geste très cinématographique de Catherine Corsini. Un défaut très visible, mais qui n'empêche pas le film d'être une belle réussite, porteur d'un discours très actuel et nécessaire.

Note spectateur : Sois le premier