Une Jeunesse dorée : portraits romantiques et décadents d'Eva Ionesco

Une Jeunesse dorée : portraits romantiques et décadents d'Eva Ionesco

CRITIQUE FILM - Servie par une mise en scène et une photographie remarquables, "Une Jeunesse dorée" d'Eva Ionesco, au cinéma le 16 janvier, dresse le portrait d'une époque révolue et d'une jeune femme qui y perd son innocence. D'inspiration autobiographique, avec notamment Isabelle Huppert et Galatéa Bellugi, le film est une gourmandise chic.

Qui est Eva Ionesco ? Pour elle-même, et pour tous ceux dont elle est la muse, le mystère s’éclaircit dans le temps. Il se dévoile à mesure que sont sortis les films où elle jouait, les parutions de livres, notamment Eva de Simon Liberati en 2015, enfin quand elle réalise ses propres films. Sa vie, celle des autres, hier et aujourd’hui, la réalisatrice propose avec Une Jeunesse dorée un souvenir de jeunesse aux axes multiples.

Les vertiges d’Eva Ionesco

L’histoire de Rose est celle d’une perte stylisée de l’innocence. A 16 ans, elle quitte son foyer de la DASS pour vivre à Paris avec Michel, jeune artiste un peu plus âgé. Ensemble, ils vont vivre leur histoire d’amour, entre nuits de fête au Palace et une oisiveté décadente quotidienne entretenue par Hubert et Lucille, riche couple mondain.

Cette histoire est celle d’Eva, et Une Jeunesse dorée est un second volet de l’histoire ouverte par My Little Princess en 2011, qui racontait l’enfance de Violetta, déjà incarnation de la toute jeune Eva, et déjà sous l'emprise d'Isabelle Huppert en figure féminine partagée entre grâce et monstruosité. Le premier vertige est là, celui de montrer dans d’autres les tourments intimes de sa personne, et pour ce film, la jeune actrice Galatéa Bellugi réussit une Rose-Eva stupéfiante de ressemblance avec l’icône des nuits du Palace. Pin-up sanguine, passionnée et nerveuse, son désir explose à l’image. Pour éclairer ces personnages et la reconstitution de l'époque, il faut mentionner la photographie remarquable d'Agnès Godard.

Le Palace, c’est cet endroit mythique de la nuit parisienne de la fin des années 70, peuplé de semi-vedettes, de dandys, de michetonneuses punk, de gens comme Alain Pacadis et Christian Louboutin. On les voit dans le film, et l’autre vertige du film est une mise en abîme exquise : où disparaît la réalité ? Où commence le spectacle ? Le miroir est-il toujours palpable ? Dans cet endroit, ce monde où il faut voir et être vu, où la beauté et l’extravagance sont des devoirs, la comédie et la représentation de soi-même sont la règle. Ainsi, pour Une Jeunesse dorée, Eva Ionesco et ses personnages jouent leur propre film dans leur propre film.

Une peinture baroque de l’amour et de la féminité

Il y a deux générations dans Une Jeunesse dorée, des jeunes débutants et des professionnels aguerris. Hubert et Lucille, Melvil Poupaud et Isabelle Huppert, initient ainsi aux plaisirs de la vie les jeunes Rose et Michel, Galatea Bellugi et Lukas Ionesco. Ensemble, ils s’en donnent à cœur joie. De soirées d’ivresse en nuits d’amour, à deux et à quatre, à Paris, New-York, ils voyagent ensemble dans un rêve, fait d’étrangeté et d’une douce et dangereuse décadence. Un rêve qui trouve son paroxysme dans une séquence quasi-fantastique, climax du film et de leur histoire, dans une escapade grandiose au Château de Groussay.

Les deux femmes du film, Rose et Lucille, incarnent deux figures classiques, celle de la jeune première, presque vierge, avec une pureté incompressible, et la femme dominatrice, maternelle et vicieuse, dont l’amour est sensible malgré sa flagrante ambiguïté. Eva Ionesco réussit avec ses deux comédiennes, des femmes entières, débordantes de vie, surprenantes, théâtrales.

En face d’elles, Hubert Robert – Melvil Poupaud, tout particulièrement, mène une vie de flamboyant patachon. Il est en effet comme responsable du grand tour baroque de leur vie, et parvient à garder son mystère entier : écrivain raté, riche héritier, collectionneur de génie, mécène avec Lucille du jeune Michel ? Il est tout ça, une figure parfaite du dandy, tel qu’était le personnage d’A Rebours de Huysmans, véritable manifeste littéraire décadent, que d’ailleurs il lit dans Une Jeunesse dorée.

Un film teinté d’élitisme

Co-écrit avec le talentueux Simon Liberati, Une Jeunesse dorée est une oeuvre de références, de clins d’œil, d’inserts lettrés et cultivés. La musique utilisée est choisie avec soin, les vêtements prêtés par des maisons de haute couture. Les livres et les objets d’arts sélectionnés avec goût. Et c’est sans doute ce qui peut gêner dans le film : le récit porte sur des événements et un monde que seuls quelques privilégiés pourront se remémorer, ou le comprendre par connaissance de ses codes.

Si existaient à l’époque un véritable esprit libertaire, une transcendance des classes sociales dans la fête et un rejet des vieilles conventions, c'est une réalité délicate, fragile et exceptionnelle que montre le film. Très beau esthétiquement, avec un récit très bien mené, Une Jeunesse dorée réussit à emporter le spectateur dans un rêve décadent, une ligne de contact étrange entre le punk et la bourgeoisie. Un privilège, très certainement, et un film destiné à qui saura l’apprécier.

Une Jeunesse dorée, un film d'Eva Ionesco. Au cinéma le 16 janvier 2019. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Avec "Une Jeunesse dorée", Eva Ionesco refait vivre de manière baroque les années Palace, et l'esprit de transgression joyeuse de l'époque. Un autre temps, celui de sa propre jeunesse, qu'elle met en scène dans une oeuvre trouble, où s'éclatent des comédiens inspirés par le rêve proposé. Très beau, peut-être trop pour ne pas sembler légèrement hautain.

Note spectateur : 2 (2 notes)