L’Amie prodigieuse : adaptation brillante d’Elena Ferrante

L’Amie prodigieuse : adaptation brillante d’Elena Ferrante

CRITIQUE SÉRIE - HBO se lance dans l'adaptation des romans d'Elena Ferrante. La saison 1 de "L'Amie prodigieuse" revient sur le premier tome de l'œuvre autobiographique de la romancière, et fait découvrir le monde brutal et déshumanisé dans lequel vivent deux jeunes amies inséparables, à Naples dans les années 1950.

Avec cette adaptation fidèle du premier tome de la tétralogie éponyme d’Elena Ferrante, auteure secrète dont on sait si peu de chose, HBO (en collaboration avec Rai Fiction et TIMVISION), termine l’année en beauté. L’histoire de L'Amie prodigieuse raconte le passé d’Elena Greco (interprétée par Elisa Del Genio puis Margherita Mazzucco), à partir de son enfance et de sa rencontre avec Rafaella “Lila” Cerullo dans un quartier de Naples dans les années 1950. Tout en étant centré sur leur amitié, le roman et la série mettent en lumière une époque et un décor précis, dans la tradition du néoréalisme italien.

Quand l’œuvre sociale rencontre l’intime

Certes, la réalisation de Saverio Costanzo se veut moins « documentaire » que le mouvement né à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais par son récit (il y a la richesse du matériau d’origine) et sa maîtrise de l’empathie, le réalisateur rend passionnante la vie de cette population soumise à des problématiques universelles. Avec cette saison 1, L’Amie prodigieuse s’apparente même à une œuvre sociologique. On y découvre la vraie vie de quartier. Celle des mamme qui commèrent sur les balcons pendant que les hommes se livrent à une brutalité effarante, sous les yeux d’une jeunesse en perte d’innocence.

Critique L’Amie prodigieuse saison 1 : adaptation brillante d’Elena Ferrante

Ce rapport à la violence est l’une des thématiques principales qui ressort de L’Amie prodigieuse. Dans cette banlieue napolitaine, on découvre un petit quartier dans lequel la violence est quotidienne. Dans le cercle familial, comme à l’extérieur. Les témoins et les victimes collatérales seront alors les enfants. Eux, qui assistent aux crêpages de chignons des mères pour des raisons difficiles à comprendre à leur jeune âge – comme l’infidélité. Mais le quotidien, c’est également les agressions de Don Achille (et de ceux qui lui succéderont) envers quiconque ose le défier. Des femmes en pleurs, des hommes battus ou en prison. Voilà ce qui se joue devant les yeux de d’Elena et Lila. Face à ce déluge de violence, les deux jeunes filles s’entraident et rêvent d’une vie meilleure, pourquoi pas comme romancière…

D’abord rivales à l’école, elles deviennent meilleures amies. Une amitié complexe, où tout peut être remis en jeu en un instant. Car Elena est davantage dans l’ombre de Lila, la suivant et tentant de se mettre à son niveau (scolaire, mais pas que). Durant les premiers épisodes de cette première saison, le personnage est secondaire et passif, mais en devient malgré tout touchant. Calme et réservée, elle tient un rôle de narratrice, faisant le lien entre le spectateur (le lecteur, pour les romans) et le récit de son passé. On se place alors à sa hauteur, en observateur d’un monde sans pitié.

Une vérité qui dérange

Lila, elle, prend davantage la place de l’héroïne. Une héroïne impétueuse qui n’a peur de rien, mais peut se montrer vicieuse et mauvaise comme pas permis. Déjà, gamine, elle ira faire face aux garçons qui la prennent de haut. Des cailloux jetés d’une rue d’en face ? Même pas peur. Le regard fier et la tête haute, Lila fait front. Le visage éraflé ou le bras cassé, même pas mal ! C’est son courage, presque intimidant, qui justifiera que tous les yeux se portent sur elle après quelques années. Sauf que tandis qu’Elena la regarde avec admiration et fait toujours passer leur amitié en priorité, encaissant même les “trahisons” de cette dernière, les garçons, eux, auront pour la plupart un regard écœurant. Et c’est là que L’Amie prodigieuse parvient à prendre aux tripes. En déplaçant la violence jusque dans les rapports aux femmes. Lila aura beau tout faire pour garder son indépendance, elle n’échappera pas aux désirs des hommes du quartier qui souhaitent la posséder, et qui la trahiront aussitôt.

Critique L’Amie prodigieuse saison 1 : adaptation brillante d’Elena Ferrante

L’Amie prodigieuse, en montrant cette vie de l’époque, avec la domination du patriarcat, les agressions passées sous silence, et surtout les adultes qui font défaut, résonne avec celle d’aujourd’hui. Pour Elena, ce sera un adulte en qui elle avait confiance qui passera de confident à prédateur. Pour Lila, ce sont ses parents qui, tantôt seront prêts à la jeter par la fenêtre pour qu’elle cesse de vouloir faire des études, tantôt la donneront en fiançailles au parti le plus intéressant pour eux. Mais Lila est un animal qu’on ne domestique pas. Pour l’incarner et faire passer son tempérament de feu, il fallait bien des actrices à forte personnalité. Enfant, la jeune Ludovica Nasti l’interprète de manière bluffante, tandis qu’adolescente, Gaia Girace crève l’écran avec son regard noir et sans pitié.

Face à l’irresponsabilité d'adultes peu éduqués, L’Amie prodigieuse observe alors les conséquences sur les enfants, sur leur caractère, leur rapport à la sexualité... L’épisode 6, notamment se montrant bouleversant à ce niveau. Au fil des épisodes qui constituent la première saison de L’Amie prodigieuse, Saverio Costanzo emporte dans des moments de grâce, avec une reconstitution impressionnante du Naples de l’époque, et où la fresque romanesque touche à l’intime. La musique toujours sublime de Max Richter tire quant à elle la série vers l’émotion, appuyant judicieusement sur les passages les plus forts. La part dramatique évolue enfin crescendo, jusqu’à un final qui laisse sans voix. Un véritable joyau qui n’a pas fini d’embellir. HBO ayant déjà renouvelé la série pour une seconde saison. Le contraire aurait été bien mal avisé.

 

L'Amie prodigieuse créée par Saverio Costanzo, saison 1 diffusée sur Canal+ et MyCANAL à partir du 13 décembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

La saison 1 de "L'Amie prodigieuse" touche à la perfection. L'intelligence du récit d'Elena Ferrante y est pour beaucoup, mais la réalisation de Saverio Costanzo opte pour une approche sociologique qui rend l'ensemble captivant.

Note spectateur : 5 (1 notes)