Alex Lutz (Une nuit) : "J'ai imaginé ce projet avec la voix de Karin Viard"

Alex Lutz (Une nuit) : "J'ai imaginé ce projet avec la voix de Karin Viard"

Lors de la 76e édition du Festival de Cannes, nous avons échangé avec Alex Lutz autour de son film "Une nuit", présenté en clôture d'Un Certain Regard. Le comédien et réalisateur nous a notamment parlé de son envie de travailler avec Karin Viard et du fait de s'essayer à un nouveau dispositif singulier après "Guy".

Une nuit : une balade émouvante

Le nouveau film d'Alex Lutz débute sur une altercation dans le métro entre deux inconnus, joués par Karin Viard et le réalisateur. Les traits d'esprit railleurs fusent et provoquent une attirance mutuelle. Quelques secondes plus tard, ils couchent ensemble derrière le rideau d'un Photomaton. Après les six minutes de dispute et les six minutes d'ébats vient une longue soirée d'apaisement et de découverte entre ces deux personnages, qui se révèlent et s'avouent certains de leurs secrets. Une nuit au cours de laquelle ils ne cessent de repousser des adieux inéluctables.

Drame romantique entraînant, Une nuit repose sur la formidable alchimie entre Karin Viard et Alex Lutz. Lors de la 76e édition du Festival de Cannes, où le long-métrage était présenté en clôture d'Un Certain Regard, le comédien et réalisateur nous a parlé de son envie d'écrire pour sa partenaire et de la vision singulière de Paris que propose le film.

Rencontre avec Alex Lutz

Une nuit repose énormément sur votre alchimie avec Karin Viard. Qu'est-ce qui vous a donné envie de créer ce film ensemble ?

Alex Lutz : J'ai pondu et imaginé ce projet avec sa voix, avec son rythme, avec sa nature d'actrice mais aussi avec sa nature d'amie telle que je la connais, dans une musicalité, dans un rapport au monde, dans une franchise, dans quelque chose de cash que j'aime beaucoup et où je me disais que ça pouvait faire quelque chose de très beau. J'ai imaginé un personnage fort. C'est-à-dire fort en termes de force mais souvent, quand on fait des personnages féminins forts, on leur fait payer une sorte de facture de cette force. Et là, je voulais que ce ne soit pas le cas, qu'elle soit attirante, qu'elle soit aimée, qu'on voie l'amour entre eux deux, que ce rapport aille très bien au partenaire masculin que j'incarne.

Je trouvais qu'elle était la partenaire idéale pour ça et je savais très bien qu'à la coécriture, c'est-à-dire que j'avais écrit le scénario et qu'elle a pu y travailler aussi par la suite même si on a partagé des idées à la genèse avec Hadrien Bichet, elle aimerait ça. C'était super parce qu'il y avait le bonheur de lui laisser de la liberté dans un cadre bien défini, de lui permettre de modifier... Généralement, l'instinct des acteurs est assez rarement mauvais. On peut en faire trop, pas assez... Mais souvent, quand un acteur propose quelque chose, c'est pas bien de ne pas le laisser faire. Souvent, ça fait des beaux plans de cinéma, ça fait des belles idées.

Une nuit
Une nuit ©STUDIOCANAL

Je pense toujours à une idée de plan de cinéma qu'a eue Dustin Hoffman sur Kramer contre Kramer. Dans le tribunal, l'avocat fait chier Meryl Streep en lui disant : "Répondez par oui ou par non. Est-ce que vous avez échoué dans les relations les plus importantes de votre vie qui sont celles avec votre fils et votre mari ? Oui ou non, avez-vous échoué ? Oui ou non, avez-vous échoué ?" Dans le scénario, au bout d'un moment, elle craque et elle dit "oui". Et c'est Dustin Hoffman qui lui a dit de lui faire confiance et lui a demandé de se retourner vers lui. Et alors qu'elle est acculée, la caméra se retourne et il fait juste : "Non". Ensuite, elle se retourne et elle dit "oui", qu'évidemment elle a échoué. C'est magnifique d'amour et de malentendu, c'est un des plans les plus dingues du film. Quand on laisse l'acteur ou l'actrice travailler son oeuvre, c'est génial.

J'ai répondu pendant trois heures. (Rires)

Mais c'est parfait ! Le point de départ du film, cet échange mouvementé dans le métro, c'est quelque chose dont vous avez vraiment été témoin ?

Alex Lutz : Oui, j'ai été témoin d'une dispute banale dans le métro. J'utilise celle-là parce que c'est vrai que ça m'avait créé un point de départ mais j'en ai vu plein d'autres qui m'ont aussi inspiré. C'est un peu le fantasme... Une grosse engueulade dans le métro qui se poursuit tout de suite par une étreinte qui leur échappe un peu. Puis après, un peu hébétés, ils passent la nuit à tâcher de se dire au revoir mais ils en sont incapables par amour. Je trouvais ça beau. Et puis après, il y a quelque chose que l'on découvre dans le film, qui vient j'espère porter l'émotion qu'on a eue pendant 1h30.

Il y avait un dispositif fort sur Guy avec le principe de faux documentaire. Il y en avait un autre sur La Vengeance au triple galot avec la parodie du soap opera. Là il y en a un nouveau, le fait de concentrer le récit sur une nuit. C'est une manière pour vous de prendre des risques dans vos différents projets ?

Alex Lutz : Pas des risques, parce que comme le dit très justement Karin, on ne prend pas tellement de risques dans ce métier. Et puis maintenant, on est en numérique, on peut gâcher un plan, le refaire. Ce sont des risques relatifs. Les pompiers prennent des risques.

Mais s'amuser à varier les cadres, à varier les propositions, oui pour moi c'est important. En tout cas, pour moi c'est important dans mon métier de passer d'une proposition à une autre. Je peins énormément, mais dans la peinture j'ai plus de mal. C'est vrai qu'avec le cinéma ou le théâtre, j'aime bien m'imposer un autre cadre et surtout, maintenant avec le recul, j'ai l'impression que ce sont quand même des univers voisins, jumeaux, proches.

Une nuit
Une nuit ©STUDIOCANAL

On retrouve des trucs de Guy dans Une nuit, on retrouve des choses dans La Vengeance au triple galot qu'on pouvait avoir dans Le Talent de mes amis. Il y a des questionnements, des thématiques, des univers qui se font coucou. Donc c'est quand même un ensemble, même si ça a l'air un peu bordélique.

Vous avez déjà des idées d'autres dispositifs pour la suite ?

Alex Lutz : Là j'adapte Connemara de Nicolas Mathieu. Il va falloir que je trouve ma manière... Ce sera peut-être un film sensiblement plus classique. Après, il ne faut pas chercher le concept pour le concept. C'est pour ça que je parle de Connemara, qui est une histoire déjà existante. Il y a des moments où le concept a du sens, et puis d'autres où il ne faut pas, comme au restaurant, surdécorer une assiette. Sur Une nuit, j'espère que le dispositif marche, mais pour le bien de l'histoire.

 Vous avez tourné dans des endroits de Paris qu'on voit assez peu au cinéma.

Alex Lutz : Oui je voulais filmer dans le seizième arrondissement un peu suspendu. La nuit, il est étrange, je trouvais ça intéressant. D'habitude, on voit les éternels onzième, etc. Ce seizième est très suspendu, presque immuable. Il y a des endroits où on se dit qu'on pourrait être en 1972, on a l'impression que c'est toujours pareil et en même temps ça vibre quand même. C'est un Paris qu'on voit peu, qui est très beau, qu'on moque un peu mais qui est filmique quand même ! Il est un peu dans une drôle de mesure parce que les rues ont une dimension particulière.

Une nuit
Une nuit ©STUDIOCANAL

Quelle a été votre approche pour filmer ces rues ?

Alex Lutz : J'ai filmé Paris de manière ellipsée, de manière devinée, au plus proche des personnages. Comme si la ville était un compagnon. On est tout près d'eux, très proches, c'est un film immersif, donc la ville est sur leurs épaules. Ce n'est pas une ville filmée avec de grands panoramas. On a l'impression qu'elle est déserte mais peut-être qu'elle ne l'est pas, peut-être qu'il y a plus de témoins. Même dans le club libertin, on devine mais ils ont l'air des fois très isolés.

Le film est ponctué de scènes originales et assez oniriques, comme une rencontre assez improbable avec un cheval.

Alex Lutz : C'est important pour moi. Les chevaux, c'est important qu'ils soient là. J'essaie qu'ils soient dans tous mes objets, parce qu'ils représentent un peu un totem. C'est comme une pointe de couleur quand tu fais de la peinture, il y a des colorimétries que tu vas réutiliser, même des fois en faisant juste un petit truc. Je ne sais pas pourquoi. Moi ça me parle de quelque chose, ça me raconte quelque chose. Et si ce n'est pas toujours compréhensible, je trouve que ça permet de faire de belles images et de la poésie. Le cinéma est là pour ça aussi.

Une nuit est à découvrir au cinéma dès le 5 juillet 2023.