Bons baisers de Russie : retour sur le destin tragique de Pedro Armendáriz (Ali Kerim Bey)

Bons baisers de Russie : retour sur le destin tragique de Pedro Armendáriz (Ali Kerim Bey)

Deuxième film de la saga James Bond, "Bons baisers de Russie" dispose d'un casting flamboyant. Sean Connery, dans le rôle de 007, y fait équipe avec le grand acteur mexicain Pedro Armendáriz pour déjouer une machination de SPECTRE. Malheureusement, ce dernier ne découvrira jamais le film, s'ôtant la vie quelques mois avant sa sortie au cinéma.

Bons baisers de russie, succès et tragédie

Après le succès surprise de James Bond contre Dr. No, sorti en 1963 en France, United Artists veut enchaîner rapidement. Aller vite et aller plus fort encore, avec un budget de 2 millions de dollars, soit le double du budget du premier film. Pour Bons baisers de Russie, qui s'inscrit dans le cadre de la Guerre froide, Sean Connery est de retour dans la peau de 007, et il doit récupérer une machine de déchiffrement secrète à Istanbul, appelée le "Lektor". Cette machine doit être transmise à James Bond par l'agente soviétique Tatiana Romanova (Daniela Bianchi), qui compte monnayer ainsi son passage à l'Ouest.

Bons baisers de Russie
Bons baisers de Russie ©MGM

Mais c'est un piège tendu par SPECTRE. James Bond, son allié Ali Kerim Bey (Pedro Armendáriz), chef du MI6 à Istanbul, et Tatiana Romanova, sont la cible de Red Grant, assassin professionnel engagé par SPECTRE pour les éliminer avant de récupérer le "Lektor"... Bons baisers de russie, réalisé par Terence Young, est un grand succès critique et commercial et est à ce jour considéré comme un des tout meilleurs films James Bond. L'histoire du film est empreinte néanmoins d'une grande tristesse. C'est en effet le dernier film du grand acteur mexicain Pedro Armendáriz, qui a tourné Bons baisers de Russie alors qu'il était en phase terminale d'un cancer déclaré suite au tournage du film Le Conquérant en 1956.

Le tournage contaminé du film Le Conquérant

Né en 1912 à Mexico, Pedro Armendáriz fait ses débuts dans le cinéma mexicain en 1935. Charismatique, fort en gueule, il devient une star internationale lorsque María Candelaria du réalisateur Emilio Fernández remporte la Palme d'or au Festival de Cannes 1946. S'ouvrent alors les portes d'Hollywood, où il tourne notamment trois films sous la direction de John Ford : Dieu est mort, Le Fils du désert et Le Massacre de Fort Apache. Il tourne aussi en France (Les Amants de Tolède, Lucrèce Borgia) et en Italie (Tam-Tam, Hommes et Loups), et en 1956 fait partie du casting de Le Conquérant, production d'Howard Hugues.

Bons baisers de Russie
Bons baisers de Russie ©MGM

Le Conquérant va créer la controverse. En effet, le film de Dick Powell est tourné dans l'Utah, proche d'un terrain d'essais nucléaires de l'armée américaine. Une grande partie des 220 membres de l'équipe du film est contaminée par des radiations, 91 d'entre eux développant une forme de cancer, dont 46 en mourront. Et parmi eux, Pedro Armendáriz...

Un dernier tournage pour subvenir aux besoins de sa famille

Au moment du casting de Bons baisers de Russie, c'est John Ford qui recommande à Terence Young d'engager Pedro Armendáriz. À ce moment, l'acteur se sait déjà très malade. Mais il n'en dit rien. Le tournage débute en avril 1963 à Istanbul, et il apparaît dès le mois de mai que Pedro Armendáriz souffre énormément et se déplace avec une difficulté croissante. Le diagnostic est sans appel, il souffre d'un cancer du cou et de la tête en phase terminale.

Une fois le tournage déplacé à Londres, Pedro Armendáriz se confie à Terence Young. Dans une interview conduite par Steven Jay Rubin en 1977, le réalisateur racontait :

Il m'a dit : "Aide-moi. Je pense que je peux te donner encore deux semaines. Peux-tu finir mes scènes dans ces deux semaines ? Je voudrais finir le film et être payé."

On apprendra par la suite que John Ford, au courant de la maladie de Pedro Armendáriz et du désir de celui-ci d'obtenir un dernier rôle pour subvenir aux besoins financiers de sa famille, avait milité pour son casting, sans révéler la situation de l'acteur.

Un après-midi d'adieux

Terence Young bouleverse alors le planning de tournage de Bons baisers de Russie pour que l'acteur mexicain puisse accomplir un maximum de ses scènes. Début juin, après avoir travaillé autant qu'il le pouvait, Pedro Armendáriz n'est plus en mesure de continuer, cloué dans un fauteuil roulant. Le 9 juin, à Londres, Terence Young organise un pot de départ pour l'acteur. Fête à laquelle Ian Fleming, lui-même gravement malade - il disparaîtra en août 1964 -, est présent. L'acteur et l'écrivain, qui se sont immédiatement appréciés lors de leur première rencontre à Istanbul, passent l'essentiel de l'après-midi à discuter au salon. Entre autres sujets de conversation, Pedro Armendáriz raconte à Ian Fleming la dernière fois qu'il a vu son grand ami Ernest Hemingway, en 1961.

Le matin de mon départ en bateau pour l'Europe (l'acteur s'y rendait pour un rôle dans François d'Assise de Michael Curtiz, ndlr), Ernest est venu jusqu'à la navette pour me souhaiter bon voyage. On s'est pris dans les bras et on s'est dit au revoir. C'était triste, parce que je savais qu'il était mourant. Alors que la navette démarrait, Ernest est revenu en courant, il a sauté dans le petit bateau, est presque tombé à l'eau, m'a pris dans ses bras et a crié : "Ne pars pas ! Ne me laisse pas !"

Ernest m'a dit qu'il ne supportait pas de souffrir une lente agonie. Il ne voulait pas devenir un "légume" pour le reste de sa vie. Il pouvait à peine se contrôler. Finalement, avec l'aide de plusieurs personnes, Ernest est descendu du bateau. C'est la dernière fois que je l'ai vu. Deux semaines plus tard, il partait en Idaho et se suicidait.

Une fois que l'acteur mexicain eut fini son histoire, Ian Fleming, impressionné, lui aurait alors dit : "Tu sais, Hemingway avait raison. On ne peut pas devenir un légume dans cette vie. Il faut partir au bon moment." Pedro Armendáriz aurait alors opiné, fait tomber la cendre de son cigare, et dit : "Tu as raison, Ian."

À peine dix jours plus tard, le 18 juin 1963, hospitalisé à l'hôpital universitaire de Los Angeles, Pedro Armendáriz se suicide en se tirant une balle dans le coeur. Il était âgé de 51 ans.