Dali Benssalah (Je verrai toujours vos visages) : "Je me demandais comment ne pas être chiant"

Dali Benssalah (Je verrai toujours vos visages) : "Je me demandais comment ne pas être chiant"

Dans "Je verrai toujours vos visages", Dali Benssalah incarne un détenu qui s'ouvre progressivement grâce au dispositif de la justice restaurative. À l'occasion de la sortie du superbe film de Jeanne Herry, nous avons rencontré le comédien.

Je verrai toujours vos visages : un drame poignant

Réalisatrice de Pupille, Jeanne Herry signe un nouveau film au service de ses personnages particulièrement touchants avec Je verrai toujours vos visages. Un long-métrage qui met en lumière la justice restaurative, un dispositif qui permet à des victimes et auteurs d'infraction d'échanger, grâce à l'encadrement de professionnels et de bénévoles.

Je verrai toujours vos visages
Je verrai toujours vos visages ©STUDIOCANAL

Ce récit choral porté par des comédiens fabuleux (découvrez notre critique) présente de nombreux participants à ce dispositif, parmi lesquels Nassim, qui purge une peine de prison pour un homejacking. Incarné par Dali Benssalah, cet homme renfermé s'ouvre progressivement au contact des autres, et offre au drame certains de ses passages les plus émouvants. Pour la sortie, nous avons rencontré son interprète, qui trouve un nouveau grand rôle après Les Sauvages et Athena.

Rencontre avec Dali Benssalah

Est-ce que vous connaissiez la justice restaurative avant ce film ?

Dali Benssalah : Pas du tout, et je pense que je peux parler au nom de tous les acteurs et actrices du projet, c'était quelque chose d'inconnu. Et c'est bien dommage mais c'est aussi raccord avec la réalité de ces dispositifs, qui sont assez méconnus en France, finalement. Quand on a fait la tournée, on a pu le voir. Dans le Sud, des CPIP (Conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, ndlr) et d'autres personnes qui travaillent ou qui sont bénévoles étaient présents dans la salle. Mais je sais qu'en Bretagne, par exemple, ça n'existe pas du tout.

Et qu'est-ce qui vous a donné envie de participer à un projet qui met en avant ces dispositifs ?

Dali Benssalah : Alors, c'est un très beau roman au départ. Jeanne a une plume très particulière et très précise dans le sens où c'est également une comédienne, et on sent que les dialogues ont déjà été éprouvés. C'est une façon d'écrire où on sent que les dialogues arrivent à la fin.

Après, ce qui me plaît particulièrement, c'est que le personnage évolue et ça c'est toujours ce qui me touche le plus dans un rôle. Ça participe grandement au fait que j'ai accepté avec honneur de participer à ce projet.

Je verrai toujours vos visages
Je verrai toujours vos visages ©STUDIOCANAL

Comment est-ce que vous le percevez Nassim, votre personnage ?

Dali Benssalah : Nassim pour moi - et je pense aussi pour Jeanne parce que c'est écrit avec tellement de précision - c'est quelqu'un qui a une carapace énorme et qui s'est forgé avec un parcours chaotique dans la vie. C'est quelqu'un qui a fait des mauvais choix. On fait tous des mauvais choix dans la vie. Est-ce qu'on grille ce feu orange ou rouge ? Il y a toujours des répercussions, petites,  moyennes voire immenses. C'est donc quelqu'un qui a un parcours de vie chaotique et qui a très vite anesthésié ses sentiments. Donc il va manquer d'empathie mais il va également manquer d'imagination. Et finalement, il y a tout de même une toute petite curiosité qui scintille dans la pénombre parce qu'il participe à ce dispositif, à ces rencontres.

C'est un personnage qui dégage quelque chose de très statique. Ces derniers temps, vous avez fait des films où vous étiez énormément dans le mouvement, que ce soit Mourir peut attendre ou Athena. Il y a une approche différente un rôle comme celui-ci ?

Dali Benssalah : Il y a une approche radicalement différente parce qu'au final, ce qui se passe, c'est qu'on a un personnage monolithique et c'est de là que part la parole. Encore une fois, c'est super bien écrit donc on voit d'où part la parole, comment la pensée avance et comment il respire, et ça en rendez-vous avec Jeanne, on aiguise et elle nous donne des clés qu'on aurait pas eues tout de suite.

Du coup, ça se travaille dans une sorte de rythmique et de compréhension du texte, parce que ça peut être très vite chiant un monolithe. Il n'y a pas de nuances, il n'y a pas d'éclats, ça manque de couleur, c'est tout de suite du noir et blanc. C'est quelqu'un qui parle et qui pense aussi à ce qu'il n'a pas envie de dire en même temps. Il se dévoile parce que ça fait partie des règles du jeu, il va falloir parler à un moment. Donc, c'est surtout un travail de texte.

Je verrai toujours vos visages
Nassim (Dali Bensallah) - Je verrai toujours vos visages ©STUDIOCANAL

Il y a aussi une expression corporelle chez Nassim, qui semble souvent figé et tendu...

Dali Benssalah : J'ai essayé de me préparer en faisant un peu de sport mais pas trop parce que je ne voulais pas être dans le cliché du "prisonnier qui fait de la muscu toute la journée". Je pense que Nassim, ça se passe ailleurs.

Dans le corps, c'est comme avec le parole, c'est un personnage qui est ancré, ancré sur sa position, fermé. C'est un caillou, un dolmen, comme je suis Breton, on va dire dolmen. (Rires) Ça part du bas tout simplement, de son centre de gravité. Il ne peut pas envisager quelque chose ailleurs, il ne peut pas envisager ce que vont lui dire les autres. Et finalement, c'est aussi la beauté du personnage, c'est qu'il sera en totale ouverture...

Ça passe aussi par les yeux, par la voix. C'est marrant parce qu'avec le recul, je me rends compte que quand je tournais, j'enregistrais Batman les week-ends (pour la série audio Batman Autopsie, ndlr). Ce qui fait que cette voix assez profonde était là en permanence. Et en même temps, pour un projet indépendant américain (The Accidental Getaway Driver, ndlr), le réalisateur Sing J. Lee m'avait envoyé une liste de films à regarder assez riche et variée, où il y avait Sonatine de Takeshi Kitano, mais pour une scène particulière. Sauf que j'adore Kitano, donc c'était le prétexte pour tous les remater. Et finalement, ça m'a un peu rassuré de voir Takeshi Kitano, grand acteur, qui est très intérieur. Il ne bouge pas beaucoup mais il se passe une infinité de choses. Il y a tous les champs des possibles avec ce monolithe japonais, surtout à travers ses histoires qui se suivent, ne se ressemblent pas mais finalement un petit peu.

Comment s'est passé le tournage ?

Dali Benssalah : On a tourné dans l'ordre chronologique. Comme c'était un huis clos finalement pour nous étalé sur trois semaines, rien ne nous empêchait de tourner dans l'ordre. On tournait les pages de cette histoire ensemble, on découvrait les personnages, les acteurs et actrices autour de nous, leur manière de travailler. Il y a un travail de concentration supplémentaire sur Nassim je pense. Tout le monde a eu un travail énorme mais ce qui m'était propre, c'est qu'on est à deux/trois caméras, à l'écoute des autres, tous les jours. Mais comment est-ce qu'il réagit aux histoires des autres ? Comment est-ce qu'il réagit avec justement, une réaction minimaliste ?

On est en face de Miou-Miou, ou Leïla Bekhti, qui envoient des choses spectaculaires, phénoménales ! Et ça sur chaque prise ! La première prise, on se dit bon elle va faire quelque chose de bien, on connaît un petit peu la personne et sa filmographie. Mais sur le moment, on est au théâtre et il ne faut pas oublier qu'on est pas spectateurs. Et pour le coup, il faut être très concentré... (Rires)

Je verrai toujours vos visages
Je verrai toujours vos visages ©STUDIOCANAL

Vous avez rencontré des détenus ou des victimes pour préparer le rôle ?

Dali Benssalah : Du tout ! Alors déjà, parce que ces dispositifs sont très protégés, très préservés. Ce sont des espaces de parole très particuliers, donc on aurait pas pu y participer, c'est improbable. Et finalement, ça n'aurait pas servi à grand-chose, ça aurait peut-être même desservi parce que le rôle que Jeanne a écrit, et tous les rôles d'ailleurs, ça part de ses années de travail, de recherche. Et elle, elle a pu rencontrer des gens. Quand on a des questions sur le personnage ou la justice restaurative, c'est notre unique référente.

Chercher des paroles de détenus, ça m'aurait peut-être désaxé parce qu'il ne s'agit pas de faire le biopic de quelqu'un. C'est la parole de ce personnage, son parcours très particulier et très précis qui a été réfléchi.

Certaines scènes ont-elles été difficiles à tourner ?

Dali Benssalah : Je pense qu'on a à peu près tous le même ressenti, je pense que ce sont les monologues. Ce sont les moments où chacun va raconter son histoire. C'est le plus difficile parce que c'est énormément de texte, c'est la matière première, la raison pour laquelle on a signé. Donc il y a une petite pression qu'on se met, en se demandant comment on va mener à bien l'histoire qu'on va raconter. Pour le coup, pour mon personnage, comment ne pas être chiant ? Et on est en face d'acteurs qui se retrouvent dans la même "galère" que nous. Arrive ce moment où il faut qu'on soit à l'écoute de chacun. Chacun avait une pression, mais qui s'est diluée une fois qu'on a commencé et jusqu'au bout, il n'y a pas eu d'accident de tournage sur les textes. Pour le coup, on s'applaudissait à la fin de chaque monologue. Il y avait quelque chose de très chaleureux, dans le partage, quelque chose de théâtral, de la troupe.

Je verrai toujours vos visages
Je verrai toujours vos visages ©STUDIOCANAL

Vous avez envie de quoi pour la suite de votre carrière ?

Dali Benssalah : J'ai envie d'une histoire comme celle de Jeanne, comme celle de Romain Gavras ou de Sing J. Lee. J'aime le facteur surprise. De recevoir un scénario qu'on aurait pas pu imaginer, avec un personnage qui évolue, que ce soit vers la déchéance ou vers le lumineux, peu importe. J'ai eu la chance de toucher à des choses radicalement différentes. Il y a du super-héros, il y a un film algérien qui se passe en 1516 où je joue un corsaire (La Dernière reine, ndlr). Donc voilà, Pirates des Caraïbes au bled, c'est fait ! (Rires)
Ça brouille peut-être les pistes de l'extérieur mais en tout cas, moi je me régale dans tout ce que je fais. Pour moi, c'est toujours un rôle magnifique à défendre...
Je verrai toujours vos visages est à découvrir au cinéma dès le 29 mars 2023.