Hirokazu Kore-eda (Les Bonnes étoiles) : "J'ai envie que les spectateurs s'interrogent sur les liens familiaux"

Hirokazu Kore-eda (Les Bonnes étoiles) : "J'ai envie que les spectateurs s'interrogent sur les liens familiaux"

Pour la sortie du drame "Les Bonnes étoiles", nous avons rencontré le réalisateur Hirokazu Kore-eda. Le cinéaste japonais nous a parlé de son envie de travailler avec le génial Song Kang-ho, des points communs entre le film et "Une affaire de famille", ainsi que de la naissance de ses personnages qui cherchent simplement un endroit où s'établir pour tromper l'abandon et la solitude.

Les Bonnes étoiles : une nouvelle affaire de famille

Le nouveau film d'Hirokazu Kore-eda s'ouvre sur une scène poignante, au cours de laquelle So-young (Lee Ji-eun), une jeune mère, vient déposer son nourrisson dans une boîte à bébé par une nuit pluvieuse. L'enfant est recueilli par Sang-hyeon (Song Kang-ho) et Dong-soo (Gang Dong-won), deux hommes qui l'enlèvent afin de pouvoir le vendre à une famille, dans l'espoir de lui offrir une meilleure vie.

Ils se lancent dans un périple pour le présenter à de potentiels parents et sont rejoints en cours de route par So-young. En parallèle, les policières Su-jin (Doona Bae) et Lee (Lee Joo-young) enquêtent sur le trafic de Sang-hyeon et Dong-soo, espérant pouvoir les coincer en flagrant délit.

Les Bonnes étoiles
Les Bonnes étoiles ©Metropolitan FilmExport

Hirokazu Kore-eda se penche sur la question complexe de l'abandon avec Les Bonnes étoiles et remet à nouveau la définition de famille en question (découvrez notre critique ici). Pour la sortie du film, nous avons interrogé le cinéaste japonais sur la naissance de ses personnages bouleversants, sur l'envie de tourner en Corée du Sud et sur la manière dont le road movie s'est imposé naturellement.

Rencontre avec Hirokazu Kore-eda

Comment sont nés ces deux personnages, incarnés par Song Kang-ho et Gang Dong-won, qui enlèvent des enfants pour leur offrir une meilleure vie ?

Hirokazu Kore-eda : Pour ces deux personnages, comme je savais déjà quels acteurs allaient les interpréter, j'ai vraiment écrit les rôles pour eux. Je trouve que Song Kang-ho est vraiment un acteur exceptionnel parce qu'il a cette dualité en lui. Il a à la fois le bien et le mal, la légèreté et la profondeur, le solaire et le lunaire. Donc c'est un acteur qui peut énormément être dans la nuance et dans la complexité. Là, dans le film, il apparaît d'abord comme quelqu'un de très bienveillant. Il prend le bébé dans ses bras, le regarde et lui dit : "J'espère qu'on sera heureux ensemble". Et puis le lendemain, il décide d'aller le vendre. Le bien et le mal se côtoient vraiment en lui. Il a toujours des expressions qui sont très inquiétantes, même quand il a l'air très positif. Il a quand même ce fond très angoissant.

Pour Gang Dong-won, ce qui lui correspondait bien, c'était d'en faire un homme qui n'a nulle part où rentrer, qui n'a pas de foyer, pas d'endroit où revenir. Je trouve que c'est un acteur qui peut avoir ça en lui. Quand Song Kang-ho va boire des coups avec lui, parce qu'ils sont amis, apparemment il lui dit souvent qu'il ressemble à un petit faon qui s'est perdu dans la forêt. C'est vrai qu'il a ce regard très triste.

J'avais donc envie de raconter l'histoire de ces deux hommes qui n'ont nulle part où rentrer et qui essaient de trouver un endroit qui peut les accueillir.

Les Bonnes étoiles
Les Bonnes étoiles ©Metropolitan FilmExport

L'idée de se créer sa propre famille était déjà présente dans Une affaire de famille. Vous avez voulu encore plus explorer ce sujet avec Les Bonnes étoiles ?

Hirokazu Kore-eda : Je pense qu'il y a des correspondances entre les deux films parce que j'ai écrit les synopsis de ces deux projets à peu près à la même période, après avoir réalisé Tel père, tel fils. C'est pour cela qu'ils sont proches en termes de préoccupations que je pouvais avoir à l'époque. Ce qui m'intéressait ici aussi, c'était de sortir du cadre familial en ajoutant des personnages qui n'étaient pas aussi présents dans Une affaire de famille, comme les policières interprétées par Doona Bae et Lee Joo-young, qui incarnent vraiment ce regard extérieur que l'opinion publique et la société vont avoir tendance à porter spontanément sur eux. J'avais envie de faire évoluer ce regard critique au fil du film. J'ai envie que les spectateurs puissent s'interroger sur les liens familiaux.

Vous avez choisi la Corée du Sud pour justement pouvoir aborder différemment ces thématiques ?

Hirokazu Kore-eda : Je crois que le fait de sortir de mon pays n'était pas tant au départ une volonté de me renouveler ou de me diversifier parce qu'à vrai dire, je ne suis pas tellement quelqu'un qui essaie de se mettre à l'épreuve ou de s'imposer des contraintes pour essayer de progresser. En général, je me laisse plutôt porter par les opportunités et les rencontres. Quand je suis venu en France (pour La Vérité, ndlr), c'est parce que Juliette Binoche avait envie de travailler avec moi. Là c'est pareil, c'est parce que j'ai rencontré Song Kang-ho et les autres acteurs avec lesquels on s'est dit que ce serait formidable de tourner ensemble. Après, il faut reconnaître que le fait d'expérimenter de nouvelles choses a été très bénéfique. Si cela se représentait, je le referais volontiers.

Les Bonnes étoiles
Les Bonnes étoiles ©Metropolitan FilmExport

Que ce soit en France ou en Corée du Sud, la barrière de la langue a-t-elle été un problème ? Avez-vous travaillé de manière différente ?

Hirokazu Kore-eda : En termes de mise en scène, finalement ça ne change pas grand-chose. J'ai tendance à travailler à peu près toujours de la même manière. Bien sûr, le fait que ce soit dans une langue que je ne maîtrise pas nécessite quelques ajustements. Je vais être plus sensible à ce qui se joue en dehors des dialogues, aux intentions, au rythme, à la musicalité de la séquence plutôt qu'au sens des mots. Mais dans le fond, diriger un acteur japonais comme Kōji Yakusho ou diriger un acteur coréen comme Song Kang-ho, c'est à peu près la même chose.

Évidemment, dans la mesure où je ne parle pas la langue, j'ai plein de petites antennes qui se déploient pour essayer de capter des choses que je ne peux pas attraper à travers le langage. Mais je ne rétracte pas non plus toutes ces antennes quand je suis au Japon. Il y a des petites adaptations mais pas de changements fondamentaux dans ma façon de faire.

Il y a une sorte d'apaisement dans le dénouement des Bonnes étoiles, ou en tout cas un sursaut. Vous refusez la fatalité dans votre cinéma ?

Hirokazu Kore-eda : Je crois que si on sent un peu d'optimisme, c'est parce que ce bébé qui est dans une petite boîte au début se retrouve dans une boîte un peu plus grande à la fin qu'est la société. Pour les gens qui sont autour de lui, leur présence physique n'est pas forcément possible mais en tout cas, on peut imaginer, par exemple pour les personnages de Song Kang-ho et Gang Dong-won, qu'ils sont dans un périmètre plus ou moins proche et qu'ils veillent sur ce bébé.

Les Bonnes étoiles
Les Bonnes étoiles ©Metropolitan FilmExport

Vous avez choisi le road movie pour constituer le groupe au fil du film, alors qu'il est souvent déjà établi dans vos précédents longs-métrages ?

Hirokazu Kore-eda : Absolument. Le déplacement était nécessaire. Les motivations initiales sont vraiment d'aller vendre un bébé ou d'aller récupérer un bébé, mais j'avais envie que ce voyage se transforme progressivement en voyage intérieur. Le fait que les personnages embarquent au fur et à mesure puis arrivent tous ensemble à destination permettait d'initier cette dynamique. Le genre s'est imposé du fait de l'histoire.

Les Bonnes étoiles est à découvrir au cinéma dès le 7 décembre 2022.