Martyrs : comment interpréter la fin du film ?

La vérité peut être cruelle...

Martyrs : comment interpréter la fin du film ?

Rarement (jamais ?) le cinéma français n'était allé aussi loin dans la noirceur et la violence qu'avec "Martyrs". Le film de Pascal Laugier marque par sa brutalité mais se termine sur une note de mystère. Comment interpréter cette fin ? On vous livre notre analyse.

Martyrs : à déconseiller aux âmes sensibles

On résume souvent Martyrs à un déchaînement de violence et à sa polémique lors de sa sortie. Le film est passé tout proche de se récolter une interdiction au moins de 18 ans, une peine qui aurait été catastrophique pour sa carrière dans les salles. Il y a peu, nous revenions sur la difficile production de ce petit miracle et il sera question ici de l'énigmatique fin imaginée par Pascal Laugier.

Martyrs, c'est l'histoire de Lucie (Mylène Jampanoï), une jeune fille portée disparue qui réapparaît lorsqu'elle parvient à s'évader d'une sorte d'entrepôt. Placée dans un institut spécialisé, elle se traîne maintenant un lourd traumatisme et quelques visions d'horreur. Une femme mutilée, monstrueuse, semble la poursuivre. Lucie va faire la connaissance d'Anna (Morjana Alaoui), une autre jeune fille qui a l'air un peu plus stable mentalement. Les deux vont se soutenir, même dans le pire des moments. Devenue grande, Lucie veut se venger. Un beau matin, elle toque à la porte d'une maison, avec un arme. Elle semble certaine d'avoir retrouvé ceux qui lui ont fait du mal pendant son enfance. Le moment est venu de prendre sa vengeance, même si celle-ci va entraîner la chute de son amie...

La descente aux enfers d'Anna

Le film s'articule selon deux axes. Le premier, avec le meurtre de la famille. Le second, quand Anna affronte la mort de Lucie et se retrouve à son tour prisonnière d'une sorte de secte. Le basculement entre les deux se fait au bout de 45 minutes. Mais la scène la plus importante pour comprendre l'intrigue arrive un tout petit peu après, lors d'une rencontre avec Mademoiselle (Catherine Bégin).

Martyrs : comment interpréter la fin du film ?
© Wild Bunch Distribution

Son plan est délirant : trouver et forger des martyrs. Une personne en devient un lorsqu'elle atteint un stade de transfiguration par le biais de la souffrance et qu'elle peut découvrir ce qu'il y a après la mort - sans mourir. Comme l'indique la définition donnée après le plan final, un martyr est un "témoin". Les tortionnaires ont ainsi une ligne de conduite méthodique, avec de la torture (mentale et physique) permanente, de la privation, de la séquestration... Anna a le profil idoine pour atteindre ce stade. Après des longues scènes éprouvantes pour elle et le spectateur, vient le moment où elle atteint le stade souhaité.

La caméra s'approche en travelling avant d'une Anne dans un état déplorable et va jusque dans son oeil. Le plan débouche sur une lumière blanche, puis la caméra fait machine arrière, dans le même mouvement inversé. Un plan qui ne résout rien. En faisant entrer la caméra dans l'oeil, nous somme d'une manière extrême en train d'épouser le regard de la jeune femme. Mais cette lumière ne veut rien dire. Soit Pascal Laugier nous donne la clé de son film en montrant qu'il n'y a rien de plus que ça, que ce vide lumineux. Soit il nous prive de la vision totale d'Anna. Étant une martyre, elle doit pouvoir accéder à une dimension qui échappe au commun des mortels - donc, à nous.

Une fin qui instaure le doute

À ce stade, le mystère reste entier. Mademoiselle, alertée par la situation, se rend au chevet d'Anna pour entendre son témoignage. La caméra montre qu'Anna glisse quelque chose à l'oreille de Mademoiselle, mais le réalisateur refuse qu'on entende quoi que ce soit. Avant de se présenter devant les invités à qui elle dévoilera le contenu du témoignage, Mademoiselle se prépare dans la salle de bain. Étienne, le majordome, la prévient qu'ils l'attendent dans le salon. Sauf que la vieille dame n'a pas l'air de se préparer. Au contraire, elle retire ses artifices : faux cils, maquillage, son voile sur la tête. Elle demande alors à Étienne s'il saurait imaginer ce qu'il y a après la mort. Question à laquelle l'homme répond par la négative. En sortant une arme de son sac, elle lui rétorque "Doutez, Étienne" puis se suicide.

Martyrs : comment interpréter la fin du film ?
© Wild Bunch Distribution

Comment expliquer son geste, alors qu'elle a touché au but ? Anna est la seule, en 17 ans, à avoir rapporté un témoignage. Ce moment devrait être glorieux pour Mademoiselle, pas le moment propice pour se suicider. On peut penser qu'elle décide d'en terminer pour mourir le plus vite et ainsi accéder rapidement à cette vie après la mort, en fonction de la description d'Anna. Mais c'est ce "doutez" qui... Fait douter. Pourquoi se suicider sans avoir communiqué avec les autres membres ?

L'explication la plus solide est que le témoignage d'Anna a été décevant ou - pire ! - qu'il n'y a rien après la mort. À ce moment-là, le plan sur cette lumière blanche aurait donc tout dit en ne montrant rien d'autre que le néant. Tout le travail effectué pendant des années aboutirait à une révélation décevante, que les fidèles ne sauraient accepter. Imaginez, comment les sourires qu'ils affichaient en arrivant auraient disparu. Préférant les laisser dans le doute, Mademoiselle se suicide avec la vérité. Si cette conclusion est la bonne, elle ajoute encore plus de nihilisme à Martyrs car le supplice d'Anna n'aura servi à rien. C'est peut-être, aussi, écrasée par le retour de flamme moral du poids de ses actions, que la vieille dame a fait le choix de s'en aller.