Soupçons : pourquoi Alfred Hitchcock n’a pas pu tourner la fin cruelle qu’il voulait ?

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Soupçons : pourquoi Alfred Hitchcock n’a pas pu tourner la fin cruelle qu’il voulait ?

Dans "Soupçons", Joan Fontaine se met à douter de son mari Cary Grant, qui pourrait avoir assassiné son meilleur ami pour de l’argent. À l’origine, Alfred Hitchcock envisageait une conclusion grinçante pour le film, qu’il n’a cependant pas tournée. Attention SPOILERS !

Soupçons : mariage empoisonné ?

Après avoir retrouvé le succès au Royaume-Uni avec Une femme disparaît, Alfred Hitchcock signe un dernier long-métrage en Angleterre, La Taverne de la Jamaïque, avant de s’envoler pour Hollywood, répondant aux sollicitations du producteur David O. Selznick. Aux États-Unis, le cinéaste tourne d’abord Rebecca, adaptation du roman de Daphné du Maurier. Il enchaîne sur le thriller Correspondant 17 et la comédie Joies matrimoniales.

Les joies matrimoniales, Joan Fontaine les découvre au début de Soupçons, quatrième film américain du réalisateur sorti en 1941 et produit par la RKO. Après Rebecca, la comédienne récompensée par l’Oscar de la Meilleure actrice pour son interprétation de Lina McLaidlaw se retrouve cependant vite au cœur d’une nouvelle union tourmentée.

Alors que ses parents craignent qu’elle demeure célibataire pour le reste de sa vie, l’héroïne tombe sous le charme de Johnnie Aysgarth, flambeur patenté et séducteur invétéré. Folle amoureuse, elle accepte sa demande en mariage. Après leur voyage de noces aux quatre coins de l’Europe, elle s'aperçoit qu’il est fauché et incapable d’assumer son fastueux train de vie.

Soupçons
Soupçons © Warner Bros.

Peu à peu, Lina se rend compte que Johnnie trouve toujours un moyen de contourner ses dettes, ayant recours à des méthodes parfois peu recommandables. Logiquement, sa confiance en lui s'étiole. De plus en plus méfiante, elle craint qu’il ait pu commettre le pire pour s’extirper du gouffre financier.

Outre les retrouvailles avec Joan Fontaine, Soupçons marque la rencontre artistique entre Alfred Hitchcock et Cary Grant, parfaitement ambigu dans le rôle de Johnnie Aysgarth. Par la suite, le cinéaste et le comédien collaborent à nouveau sur Les Enchaînés, La Main au collet et La Mort aux trousses.

Une fin originelle nettement plus cruelle

Soupçons est l’adaptation du roman Préméditation d’Anthony Berkeley paru en 1932, que l'auteur signe sous le pseudonyme de Francis Iles. Alfred Hitchcock choisit à contrecœur de s’écarter de la fin de l’ouvrage, bien plus pessimiste que celle du long-métrage.

Dans la conclusion de Préméditation, Lina revient auprès de Johnnie après l’avoir quitté. Celui-ci planifie de la tuer afin de récupérer l’argent de son assurance vie. Ne parvenant pas à lutter, l’héroïne se laisse empoisonner par son époux.

Dans le film, le personnage joué par Cary Grant est loin d’être aussi machiavélique. Au cours de l’ultime scène, Lina comprend que ses soupçons reposaient sur un malentendu. Johnnie n’est donc pas le meurtrier qu’elle imaginait, à l’origine du décès de son meilleur ami Beaky (Nigel Bruce).

Cary Grant bien trop charmant

Si la nature de Johnnie change entre le livre et son adaptation, c’est notamment en raison de l'acteur qui lui prête ses traits, alors célèbre pour ses rôles charmants dans L’impossible monsieur Bébé, Seuls les anges ont des ailes ou encore Indiscrétions. Interrogé par le réalisateur Peter Bogdanovich, Alfred Hitchcock explique à propos de ce choix, qu’il ne voulait pas initialement :

Dans la vraie fin de Soupçons – qui n’a jamais été tournée, mais que je voulais faire – Joan Fontaine écrivait une lettre à sa mère lui disant qu’elle aime son mari mais qu’elle pense que c’est un meurtrier. Elle ne veut plus vivre et est prête à mourir de sa main. Mais elle considère que la société doit être débarrassée de cet homme. Il monte la voir en lui apportant un verre de lait empoisonné et le lui tend. Avant de boire, elle lui dit : 'Voudrais-tu poster cette lettre à ma mère pour moi ?' Alors, elle boit le verre de lait et elle meurt. Fondu au noir. Le dernier plan, très court, s’ouvre par un nouveau fondu : Cary Grant, joyeux, sifflotant, se dirige vers la boîte aux lettres et poste la missive de sa femme ! Fin. Mais vous voyez, Cary Grant ne pouvait pas être un meurtrier.